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26 juin 2014

Innovation en éducation – Synthèse 2/2

Ce texte a initialement été publié par la Vitrine technologie-éducation sous licence CC BY-NC-SA 3.0, avant la création d’Éductive.

Ce texte constitue la deuxième partie d’une synthèse des échanges réalisés entre plusieurs intervenants lors de trois rencontres laboratoires organisées par la VTÉ sur le thème de l’innovation en éducation. Afin d’ancrer nos discussions sur une réalité concrète, le CRISPESH a généreusement accepté de collaborer à notre démarche. Il a proposé d’aborder le thème de l’accessibilité en classe des documents en format numérique pour les élèves éprouvant divers handicaps visuels.

La variété des points de vue sur l’innovation

Comme c’est souvent le cas sur des thèmes aux contours flous, les points de vue sur l’innovation divergent parmi les participants. Pour certains, l’innovation doit être révolutionnaire. Elle est le fait d’un seul individu. « C’est une démarche pourvue d’un grand I : Innovation ». Les Innovations introduisent la Nouveauté et non des améliorations ou des adoptions. D’autres se réfèrent à Legendre (2005), qui définit l’innovation comme « l’introduction dans un milieu donné d’un objet ou d’un contenu qui en fait une nouveauté ». Ou encore, c’est un phénomène émergent : « L’innovation sort parfois sans qu’on ait conscience qu’il y a un problème ». L’innovation doit-elle porter un rêve? « C’est peut-être l’idée qu’on a de l’innovation qui suscite le rêve ». Mais, il faut « transformer le rêve en projet ». On constate ici la variété des points de vue des participants. C’est une situation courante, lorsque les frontières d’un concept ne sont pas clairement définies. Toutefois, « s’entendre sur les caractéristiques de l’innovation, ne réglera pas les obstacles » à franchir. L’innovation exige une attitude positive et d’ouverture. C’est une occasion « d’apprendre à apprendre, de s’adapter et de vivre ensemble, de faire face à d’autres formes de changement ».

Définition d’une vision de l’accessibilité au Crispesh

D’une vision très large au départ sur les enjeux de l’accessibilité, le CRISPESH en vient à la conclusion qu’il veut amorcer un changement pratique et y participer. « Actuellement, il y a de l’adaptation qui est faite, mais souvent après coup […] l’idée de l’accessibilité en classe, c’est de voir s’il est possible d’anticiper le besoin et que les documents soient accessibles dans la classe dès le début ».

Pour le CRISPESH, intuitivement, il existe un lien entre la technologie adaptative et la technopédagogie. Il constate toutefois « qu’au niveau technopédagogique, la réflexion n’est pas encore ancrée ». La prise en compte dans la classe des besoins et des difficultés est toujours difficile à réaliser. Le CRISPESH fait face au défi d’intégrer cette démarche d’accessibilité dans une vision technopédagogique d’anticipation et non de réactions aux besoins, par les enseignants et les intervenants du milieu.

Besoin des usagers, provenance de la demande

Le besoin des usagers est toujours le point de départ de la recherche d’une innovation. L’observation de son milieu, une curiosité incessante et surtout une ouverture aux moindres détails filtrant de l’environnement des usagers sont nécessaires. Il faut repérer les signaux faibles, porteurs d’informations sur l’expression des besoins et des tendances en émergence. Dans sa démarche, le CRISPESH constate qu’il existe un manque d’accessibilité, en classe, de documents en format numérique pour les élèves éprouvant des handicaps visuels. Une question est soulevée par un participant : « Qui est insatisfait à ce moment-ci, les administrations, nous (intervenants et chercheurs), les enseignants, les élèves. D’où vient la demande » ?  

À cette question, plusieurs réponses sont proposées. « Il y a tellement de besoins variés en mesures adaptées que nous ne pourrions formaliser […], ils sont fonctions des styles d’apprentissage, des intelligences multiples […] une réalité certaine, c’est l’augmentation fulgurante des besoins en services adaptés ». Ou encore, plus précisément « […] ce qui nous intéresse, c’est les personnes qui sont très marginalisées dans une classe, ceux qui n’ont pas accès [à des textes en format numérique] parce qu’on distribue des textes papiers ».

Dans ces réponses, on perçoit une certaine difficulté à préciser la source exacte de la demande. Pris un peu par surprise avec cette question, nos participants ont émis plusieurs idées misant sur une approche de divergence dans la génération d’idées. Il aurait été bien de poursuivre cette période de divergence pour déterminer la provenance de la demande. Le contexte du laboratoire ne le permettait pas. Toutefois, l’exercice doit être poursuivi. L’étape qui devra suivre en sera une de convergence des idées. Le CRISPESH déterminera avec précision, parmi les suggestions obtenues, la cible vers laquelle il dirigera ses efforts d’innovation. Il devra la caractériser en l’impliquant dans sa démarche pour saisir avec précision les besoins à rencontrer.

Les handicaps potentiels visés

Lors des discussions, plusieurs points sont ressortis concernant la nature des divers handicaps et de la clientèle cible. Un participant souligne qu’un « handicap fait référence à des niveaux définis par la médecine mais, qu’il existe aussi divers niveaux de capacité reconnus par des enseignants […] les individus qui ne suivent pas le rythme, et c’est souvent dû à certaines incapacités ». Et le problème n’est pas uniquement lié à l’imprimé, à l’écrit. Il y a aussi le visionnement de présentations PowerPoint, de vidéos, de schémas. En fait, « tous les médias visuels qui sont utilisés en situation d’enseignement et d’apprentissage ». Certains handicaps sont temporaires, comme les infections de l’œil et de l’oreille, ou d’autres apparaissent progressivement. La population en général se dirige vers une clientèle vieillissante qui pourrait avoir des besoins similaires. Donc, l’accessibilité des documents est aussi un problème de société. Elle concerne tout le monde et non seulement une clientèle spécifique d’élèves.

Formulation d’un énoncé de vision du problème

Avec le partage des points de vue entre les intervenants, l’analyse de la demande et des types de handicaps, le CRISPESH a précisé son énoncé de vision du problème. Il clarifie dès lors ses intentions et les objectifs qu’il désire atteindre. Dans sa démarche d’innovation vers une meilleure accessibilité, la problématique sur laquelle il désire se consacrer s’énonce ainsi :

« L’accessibilité en classe des documents en format numérique et des aides technologiques soutenant l’apprentissage d’une personne ayant une incapacité à lire les imprimés ». 

L’énoncé de vision fournit un cadre général qui oriente la recherche d’un problème plus spécifique. Une deuxième étape d’analyse s’amorce alors : quel est le défi particulier auquel le CRISPESH désire s’attaquer?

Démarrage d’un projet

Les discussions précédentes ont orienté la démarche d’innovation vers un objet spécifique de l’accessibilité : les imprimés. C’est autour de cet objet, les imprimés, que se concentreront les discussions pour formuler un défi d’innovation à entreprendre. Plusieurs propositions divergentes sont soumises par les participants : « démocratiser l’utilisation des outils d’aide technologiques; faire connaître les outils à l’ensemble des intervenants; l’apport des applications mobiles; peut-être une pédagogie à réinventer, impliquer l’éditeur pour la lecture des textes; la pédagogie inversée. Ou encore, s’orienter vers les technologies pour standardiser une approche inclusive : l’Universal design; la CUA (conception universelle de l’apprentissage); les FabLabs;  la EPUB ».

Toutes ces idées et plusieurs autres alimentent actuellement l’équipe du CRISPESH. À travers celles-ci, l’équipe doit, dans un exercice de convergence, faire le tri, retenir et formuler le défi qui sera relevé. Celui-ci doit être clair et concis. Il doit laisser place à la créativité, à l’imagination et aux idées de solutions originales.

L’engagement des acteurs

Pour établir un portrait global des enjeux, le CRISPESH a également établi une liste des différents acteurs, ou intervenants, interpellés dans son processus d’innovation. Comme le montre le tableau I, ci-dessous, ils sont nombreux et ils agissent à divers niveaux dans le système d’éducation. Ce sont des collaborateurs potentiels, en mesure de fournir des ressources (matérielle, professionnelle, didactique, informatique etc.) pour la réalisation du projet. Chacun d’eux a sa propre mission et ses propres priorités. Dans un effort d’innovation ouverte, le CRISPESH doit déterminer ceux qui peuvent lui offrir une expertise complémentaire et miser sur la convergence des intérêts de chacun de ces acteurs, vers son objectif d’accessibilité, pour les intéresser à son projet d’innovation.

 

Tableau I : Intervenants potentiels liés au défi d’accessibilité *

  • Communautés de pratiques (sur les intérêts partagés comme UD, CUA etc.)
  • Conseillers pédagogiques
    (pour accompagner les changements de paradigmes et de pratiques)
  • Direction et réseau des collèges
    (Mettre à profit l’expérience acquise pour innover et résoudre des problèmes)
  • Enseignants et syndicats d’enseignants
  • Étudiants et associations d’étudiants
    (demandes répétées auprès d’éditeurs)
  • Intervenants des services adaptés
  • Maisons d’édition commerciale
    (Intérêts commerciaux)
  • MESRS 
    (Légiférer ou non?)
  • Organismes collégiaux liés à la production ou la diffusion de matériel didactique : CCDMD et CDC
  • Parents, les futurs employeurs, les tuteurs informels et formels
  • Répondants TIC

* Ordre alphabétique et non de priorité  


Les contraintes et la résistance

La formulation d’un défi d’innovation doit aussi tenir compte des contraintes de réalisation et d’implantation, de même que de la résistance au changement des acteurs impliqués. Le défi doit donc être réaliste, pouvoir se conclure sur une période assez brève et tenir compte des obstacles à franchir. Les difficultés ou obstacles soulevés par nos participants sont de plusieurs types. Nous les avons regroupées dans quelques catégories. Le tableau II, ci-dessous, cite quelques exemples :

 

Tableau II : Difficultés et obstacles à l’innovation en éducation

 Contraintes

Exemples proposés par les participants

 Structurelles

Le besoin d’une structure pour soutenir un enseignant ou une enseignante qui participe dans sa classe à un projet pilote; des organisations sont lentes à changer, qui travaillent dans une perspective de réduction de coûts par la standardisation et non de personnalisation; la communication d’un collège à l’autre pour le partage de certains outils;

 Professionnelles

La liberté de choix dans les plans-cadres et les devis du ministère, la liberté académique des enseignants; la question des droits d’auteurs, l’autonomie des enseignants dans la classe, l’autonomie d’un enseignant à l’autre; la question aussi du pouvoir dont les individus ou les organisations dispose; 

 De formation

Très peu de cours sur les aides technologiques sont offerts à l’université, l’aspect techno n’est pas traité à sa juste valeur, celle qui correspond à la réalité d’aujourd’hui;

 D’approvisionnement 

Des documents adaptés qui sont inégaux en termes de qualité, la difficulté de réunir autour de la table les maisons d’édition et d’utiliser un format numérique unique, l’édition pédagogique commerciale qui ne voit pas l’enjeu de l’accessibilité comme important;

 De diagnostic

Le fait de pas savoir qui sont les étudiants qui auraient un besoin d’aide au début d’une session, tu t’aperçois alors que tu as trois, quatre ou cinq étudiants qui ont des besoins particuliers à peu près à la deuxième semaine de cours, ça fait en sorte qu’on ne peut pas adapter des documents avant le début de la session.

 Individuelles

Le facteur de motivation, un handicap non déclaré ou un diagnostic non divulgué;


Préparer et suivre l’innovation

L’élaboration et le suivi du projet d’innovation du Crispesh constituent en lui-même un premier défi. Peu de recherches et d’outils d’évaluation des résultats sont disponibles sur l’étude des supports technopédagogiques dans la réussite des élèves en situation de handicaps. Plusieurs questions demeurent en suspens à ce sujet : « Comment évaluer les initiatives? Quels en sont critères? Comment évaluer l’innovation? Par rapport à quoi doit-on l’évaluer »?

Au fil des discussions, quelques suggestions sont formulées par les participants. Parmi celles-ci : la création d’un design expérimental, l’utilisation d’un groupe de contrôle et d’indicateurs de comparaison, le suivi de la progression des étudiants, de la perception de la réussite éducative par les étudiants et leurs enseignants.

Les difficultés du suivi sont également soulignées. « La CUA est remplie d’initiatives intéressantes, mais repose sur peu de fondements scientifiques ». De même, on remarque que « lorsqu’on évalue l’étudiant, comment voir si la réussite est attribuable à un modèle ou à un autre ». Le problème d’évaluation est pertinent. Non seulement la difficulté consiste-t-elle à évaluer les résultats des élèves, mais encore, il faut évaluer le dispositif innovant mis en place. Le Crispesh devra donc se pencher sur les volets de méthodes et d’évaluation. Ceux-ci pourraient constituer en eux-mêmes des objets d’innovations!

Vendre son projet

Nous avons déjà abordé l’importance de vendre, de faire connaître son innovation, dans la première partie de ces deux synthèses. Nous ne reviendrons pas ici spécifiquement sur ce sujet. De nombreux exemples de projets ont été cités par nos intervenants. Pour ceux et celles qui sont intéressés, vous trouverez dans le lien suivant les références qui ont été proposées.  

Conclusion sur les trois rencontres

Dans notre première synthèse, nous disions de l’innovation que c’est un processus à apprivoiser et une occasion d’apprentissage. Ensemble, nous avons partagé nos points de vue, nos expertises et quelques rêves. Pour conclure, voici ce que les participants ont retenu de cette expérience : 

  •     Ce qui est intéressant, c’est de partager, de ne pas faire le processus tout seul.
  •     Parler de notre réflexion en public, ce n’est pas évident. Mais, j’ai beaucoup appris de tous.
  •     Ça conditionne à voir l’innovation sous un angle différent. Ce n’est pas si inaccessible que ça.
  •     Ce n’est pas important d’où on vient, on s’est tous rencontrés autour d’un même thème.
  •     On essaie de faire émerger l’intelligence collective […] c’est extrêmement riche.
  •     Au début, je me sentais pas mal seul et à la fin des 3 labs, je vois vraiment un réseau potentiel.
  •     C’est le fait qu’on se sent inclus, qu’on se sent à l’aise de sortir de notre zone de confort.
  •     Les rôles et les statuts ne sont pas déterminants, ensemble on peut faire des choses fabuleuses.
  •     Il y a énormément d’énergie et de bon vouloir et je trouve ça tout à fait sain et rafraîchissant.
  •    Je réalise que l’innovation, ça se fait en groupe et ça a besoin des idées, de la collaboration et de l’énergie de tout le monde. Ce que je retiens, c’est l’importance de la mise en réseau.
  •     Inclure des gens avec qui on a moins l’habitude de travailler, je pense que c’est salutaire.
  •     Ça m’a donné le goût d’aller voir plus loin dans le processus d’innovation.
  •     Et pour terminer, nous conservons ce commentaire sur un réel besoin de société : innover! 
  • « C’est important de laisser aux gens ce goût du risque et d’essayer quelque chose. Et je pense que c’est d’autant plus important qu’on est à une époque où ce que l’on peut léguer aux étudiants (es), c’est l’esprit d’innovation. Je suis certaine qu’ils en auront besoin. Donc, si on les inclut dans ce qu’on fait, on est en train de les former. De former leur esprit pour qu’ils aient les moyens de faire face aux problèmes, aux réalités et aux difficultés auxquelles ils seront confrontés, qu’ils aient des handicaps ou pas ». 

Webographie (adresse active au 23 juin 2014)

Centre de recherche pour l’inclusion scolaire et professionnelle des étudiants en situation de handicap (CRISPESH) 
www.crispesh.com

Centre de formation en ligne adapté aux apprenants sourds 
www.elsem-formations.com

Le Réseau de Recherche Adaptech 

Le CEFRIO 
http://www.cefrio.qc.ca

PERFORMA

Les 24 heures de l’innovation des défis lancés par des entreprises
http://www.24h-innovation.org/fr/

Échofab 
http://www.echofab.org/

ÉcoHack 
http://ecohackmtl.org/

Communautique  
http://www.communautique.qc.ca/

Articles de Profweb :

Article de EDUCAUSE

Article de WIRED

Ouvrage 

À propos de l'auteur

Pierre Gignac

Pierre Gignac, doctorant en mesure et évaluation en éducation à l’Université de Montréal
Pierre travaille à développer un outil de mesure sur la capacité d’absorption de connaissance en innovation. Il étudie comment les gens sont capables d’utiliser de nouvelles connaissances pour produire des

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1 Commentaire
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Nicole Perreault
Nicole Perreault
22 avril 2013 14h43

À la liste des productions qui voient le jour grâce à l’Entente Canada-Québec dont parle ici Louise, j’aimerais ajouter celle-ci qui sera bientôt disponible : un ensemble de capsules vidéo bilingues, sous forme de tutoriel, qui s’adresseront aux étudiants des cégeps francophones et anglophones. Ces capsules portent sur le développement d’habiletés contenues dans le Profil TIC des étudiants du collégial. Le lancement officiel des capsules aura lieu à la rencontre du Réseau REPTIC des 12 et 13 juin prochain au Collège Dawson.