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Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Depuis quelques années, je constate la nécessité d’ajuster les méthodes d’enseignement que j’utilise avec les étudiants du programme de Techniques de santé animale. Cela est particulièrement notable dans le cours de biologie Cellule et génétique, qui se donne en première session.

La problématique pédagogique

Le cours Cellule et génétique est très théorique. C’est un cours basé sur des connaissances et non des expériences. Il exige une capacité à visualiser l’abstrait et le très petit, ce qui pose problème pour plusieurs étudiants.  Pourtant, ce cours est à la base de leur programme. Pour bien comprendre les cours qui suivront, les étudiants doivent être en mesure de bien transférer leurs connaissances.

Par ailleurs, l’importante proportion d’étudiants bénéficiant des Services adaptés m’a amenée à me questionner sur mes pratiques afin d’être en mesure de répondre aux besoins des étudiants en situation de handicap (dyslexie, dyscalculie, déficit d’attention, hyperactivité, troubles anxieux).

Une nouvelle approche pédagogique

À la session d’automne 2014, j’ai choisi d’utiliser la méthode « juste-à-temps inversée ». C’est une méthode développée par Nathaniel Lasry, Micheal Dugdale et Elizabeth S. Charles, qu’ils ont présentée dans l’article  « Zut! J’ai renversé ma pédagogie », dans la revue Pédagogie collégiale.

Cette méthode pallie plusieurs lacunes dans la façon dont les étudiants abordent habituellement les sujets à l’étude. Généralement, l’étudiant se présente au cours et attend que l’enseignant déverse son savoir. La lecture proposée du manuel du cours complète l’exposé de l’enseignant. Des exercices formatifs sont suggérés à l’étudiant afin de vérifier sa compréhension de la matière. Même avec toute la bonne volonté du monde, ce type d’enseignement ne rend pas l’étudiant très actif dans son apprentissage. Bien souvent, les lectures et les exercices sont laissés de côté, faute d’intérêt ou de temps de la part de l’étudiant.

Avec la méthode « juste-à-temps inversée », avant chaque cours, à la maison :

  • L’étudiant doit réfléchir à ce qu’il connait déjà du sujet à l’étude.
  • Il doit s’informer au moyen de lectures, d’animations et de tutoriels vidéo que je dépose sur la plateforme Moodle.
  • Il s’exerce en répondant à un questionnaire formatif également déposé sur Moodle. L’étudiant peut évaluer sa compréhension, ce qui stimule la métacognition.

La méthode « juste-à-temps inversée » place l’étudiant au cœur de ses apprentissages. Elle rend l’étudiant actif tout en lui laissant la liberté de déterminer le moment et le moyen les plus propices pour en apprendre davantage sur les sujets du cours. Grâce à l’approche métacognitive mise de l’avant, l’étudiant devient plus motivé à la tâche lors de la rencontre hebdomadaire en classe avec l’enseignant.

En classe, les étudiants :

  • Répondent à des questions formatives sur la matière à l’étude
  • Font des exercices
  • Parcourent la matière s’ils n’ont pas terminé à la maison

Les locaux munis de portables permettent aux étudiants d’écouter des vidéos en classe. Je peux ainsi me rendre plus disponible pour ceux qui en ont le plus besoin. Je peux :

  • Répondre aux questions
  • Préciser la matière
  • Donner des exemples
  • Etc.

Ce faisant, je deviens davantage une accompagnatrice qu’une narratrice.

Bilan de l’expérimentation pédagogique

J’ai dressé un bilan préliminaire de mon expérience à partir des commentaires des étudiants et des résultats d’un sondage que j’ai fait passer à la sixième semaine de cours. Cela m’a permis d’évaluer les avantages et les inconvénients de mon approche pédagogique expérimentale.

Ce qui plaît aux étudiants :

  • La méthode donne plus de temps de travail en classe.
  • On peut poser plus de questions à l’enseignante.
  • On peut travailler en groupe et discuter de nos réponses.
  • Les lectures à la maison nous permettent d’essayer de comprendre par nous-mêmes.
  • Cette méthode nous apprend à être autonomes.
  • Chacun peut aller à son rythme.
  • Il n’y a pas de longs cours magistraux.
  • Les cours sont moins chargés.
  • Les questions formatives aident aux examens.
  • Les ressources visuelles et les capsules vidéo aident à étudier et à apprendre.

Les ressources sur Moodle les plus appréciées

Extrait des résultats du sondage réalisé auprès des étudiants avant la mi-session : ce qui plaît.

Ce qui déplaît aux étudiants

  • Il est difficile d’assimiler la théorie sans cours magistraux.
  • Il est difficile de se concentrer pour les lectures à la maison.
  • Ce n’est pas évident d’étudier à la maison et de comprendre la matière par nous-mêmes.
  • La matière est moins claire et plus difficile à comprendre si on n’a pas un enseignement magistral avec différents exemples.
  • Nous n’avons pas assez d’explications sur ce qu’on doit faire et quoi étudier.
  • On ne sait pas vraiment où se lancer quand on voit une nouvelle matière.
  • Nous devons consacrer beaucoup de temps personnel en dehors du cours pour tout faire à temps.
  • Il est difficile d’apprendre par soi-même et de trouver la motivation de se mettre à la tâche.
  • Nous sommes habitués à apprendre en étant assis devant un professeur qui explique dans ses mots.
  • Nous devons nous débrouiller et nous mettre au travail tout seul et si on ne comprend pas, on ne peut plus avancer dans la matière sans rencontrer la professeure.

La préparation avant le cours

Extrait des résultats du sondage réalisé auprès des étudiants avant la mi-session : la préparation

Constat

Force est de constater que la pédagogie « juste-à-temps inversée », pour des étudiants de première année, demeure un défi important, notamment en ce qui concerne l’autonomie. La liberté de déterminer le moment et le moyen les plus propices pour en apprendre davantage sur les sujets du cours est devenue progressivement un problème pour les étudiants moins organisés.

Extrait des résultats du sondage réalisé auprès des étudiants avant la mi-session : appréciation globale de la méthode

Et maintenant?

Le bilan de l’expérimentation m’oblige à repenser mon approche pédagogique et à y apporter des ajustements. Voici les pistes que j’explorerai à la prochaine session :

  • Encadrer davantage les étudiants par rapport à leur démarche autonome :
    • Leur rappeler leurs responsabilités, les échéanciers et les ressources disponibles.
    • Faire un suivi plus fréquent et plus serré des échéanciers suggérés.
  • Adopter une approche progressive vers l’autonomie de la première à la dernière semaine de cours (principe des «marches» vers l’autonomie).
  • Vérifier les ressources consultées par les étudiants en cours de session à partir des rapports fournis par Moodle.
  • Réaliser des interventions individuelles, au besoin, auprès des étudiants qui n’utilisent pas ou peu les ressources proposées (ou sont en retard sur les échéanciers suggérés).
  • Introduire des capsules théoriques en classe pour des éléments de matière plus difficiles.
  • Faire des rétroactions plus fréquemment.
  • Organiser davantage de quiz ou de discussions en classe après l’acquisition de la matière à la maison (réactivation des connaissances acquises).

Considérant que mon expérimentation vise notamment à répondre aux besoins des étudiants en situation de handicap, je vais explorer davantage les principes de la conception universelle de l’apprentissage (CUA). De l’avis de Bernard Gagnon (conseiller pédagogique TIC dans mon cégep), la CUA pourrait également me servir d’assise pour remanier mon cours. Il existe d’ailleurs dans Profweb un dossier sur le sujet.

Il semble y avoir un beau potentiel pédagogique à fusionner la classe inversée «juste-à-temps» aux principes de base de la conception universelle de l’apprentissage. C’est à suivre. L’expérimentation se poursuit!

À propos de l’auteure

Sophie Dion enseigne la biologie au département des Sciences du Cégep de Saint-Félicien depuis 1998. Elle fait aussi partie du comité organisateur de l’Expo-Sciences du programme de Sciences de la Nature de son établissement depuis le début des années 2000 et prête par intermittence son cerveau d’organisatrice à celui de la Journée de Réflexion sur les Sciences

Sophie n’a pas peur de remettre sa pratique pédagogique en question, que ce soit pour suivre les nouvelles technologies ou pour répondre aux besoins d’une clientèle cible.

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Guy Germain
Guy Germain
20 janvier 2016 19h16

Bravo Sophie ! Quelle belle expérience. Curieusement, les points jugés négatifs par les étudiants et les correctifs jugés intéressants à y apporter par la suite ont bien peu changés depuis les dix dernières années. Dans un projet d’approche par problème (2005-2007), qui finalement ressemblait beaucoup à ta méthode, les difficultés et les commentaires des étudiants étaient sensiblement les mêmes. Tout comme dans l’apprentissage de la marche il n’est pas simple de changer le centre de gravité du pied droit au pied gauche, il semble complexe en éducation de changer le centre de gravité de la passation des savoirs vers l’apprentissage. Encore bravo !

Marie-France Calabretta
Marie-France Calabretta
18 mai 2016 7h10

Très intéressant! Quel travail! Mais c’est admirable! J’enseigne le français en Italie. J’ai déjà commencé, moi aussi, à utiliser la méthode juste-à-temps inversée. Je crois qu’avec une évaluation à la fin du cours, interrogation orale ou mini-test, les étudiants sont plus motivés à préparer la leçon. Bravo chère Sophie!