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11 mai 2016

Badges numériques ouverts en éducation : un regard sous le capot

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Ce texte a initialement été publié par la Vitrine technologie-éducation sous licence CC BY-NC-SA 3.0, avant la création d’Éductive.

Traditionnellement, le badge souligne un accomplissement, une reconnaissance ou l’atteinte d’une compétence. On le rencontre le plus fréquemment chez les scouts et dans les sports. Depuis peu, on retrouve aussi des badges dans des organisations informelles, par exemple, des organismes communautaires souhaitant reconnaître les réalisations particulières d’un individu.

À l’autre extrémité du spectre, les institutions d’enseignement adoptent de plus en plus les badges numériques comme outil de motivation pour souligner l’atteinte d’objectifs intermédiaires et même pour la reconnaissance des acquis et des compétences. Entre cet engouement pours des usages formels et l’expression sociale à un groupe d’appartenance partageant une réalisation commune, de nombreuses applications restent à développer.

Il existe de nombreux usages des badges, de l’élément motivateur à la reconnaissance et à la valorisation, dans le domaine de la formation initiale, du perfectionnement et de l’apprentissage à vie. Dans ce texte, nous considérons plutôt les dimensions techniques liées au format et aux outils.

Plusieurs ont reproché la dimension ludique du badge où le fait de l’obtenir était plus important que la réalisation qui a mené à son obtention. Cela souligne selon nous l’importance pour l’émetteur de se doter de critères précis et sérieux.

En 2013, la Fondation Mozilla, au moyen de l’initiative Open Badges, a proposé des règles permettant de formaliser la représentation et la reconnaissance d’une réalisation dans un cadre formel ou informel. Cette initiative a été accueillie avec enthousiasme, et des plateformes telles WordPress et Moodle proposent maintenant des fonctions de gestion de badges numériques. Depuis 2015, le groupe Instructional Management Systems (IMS) Global Learning Consortium a pris la relève de la Fondation Mozilla afin de développer un standard.

Un badge comme outil de communication

Le badge est un instrument de communication entre trois acteurs, dont deux sont formellement identifiés dans les données associées au badge :

  • le porteur du badge (un citoyen ayant participé à une activité communautaire, un sportif, un apprenant ou un travailleur qui participe à une activité de perfectionnement) ;
  • l’émetteur (un organisme communautaire, une organisation sportive, un établissement d’enseignement ou de perfectionnement en milieu de travail).

Le badge a donc une valeur de reconnaissance par l’émetteur de l’accomplissement réalisé par le récipiendaire ou porteur.

Au-delà de la fierté intrinsèque liée à l’obtention d’un badge, sa véritable valeur réside dans le message véhiculé à un appréciateur externe (parent d’élève, établissement cherchant à établir des équivalences d’étude ou employeur). En principe, le porteur est en mesure de gérer l’exposition d’un badge au public ou à un tiers.

Les acteurs autour d'un badge

Figure 1 : Les acteurs autour d’un badge

Anatomie d’un badge numérique

Le badge numérique est constitué d’une image, en format PNG ou SVG représentant le badge obtenu et de métadonnées non visibles par l’utilisateur, mais qui fournissent des informations sur le porteur du badge, le certificat attribué, les critères d’évaluation et l’émetteur du badge. À l’occasion peut s’ajouter à ces données un énoncé de preuve de l’atteinte du certificat. Le tout à la manière d’une photo numérique qui contient aussi la date de prise de vue, les paramètres d’ouverture et de vitesse, le modèle de l’appareil et quelquefois, les coordonnées de géolocalisation.

On remarquera que les valeurs de ces paramètres sont essentiellement ici des adresses de courriel et des liens Web, c’est-à-dire des pointeurs. La raison est que l’identité du récipiendaire, la preuve, les critères et l’identité de l’émetteur ne sont pas directement inscrits dans les métadonnées, mais qu’ils peuvent être obtenues en suivant ces hyperliens.

De quoi est fait le badge

Figure 2 : Un badge numérique est fait d’un fichier comprenant une image et des métadonnées. L’utilisation de Dropbox comme conteneur dans cet exemple est discutable, surtout s’il s’agit d’un compte personnel dont les données peuvent facilement devenir inacessibles.

Les métadonnées d’un badge doivent permettre de préciser sans équivoque plusieurs éléments d’information, idéalement sous forme de références indiquées par des hyperliens :

  • le porteur du badge

Une façon simple d’identifier le porteur du badge est d’indiquer son adresse de courriel. Tant que celui-ci fréquente un établissement, travaille au même endroit ou retient les services du même fournisseur d’accès, cette adresse reste valide.

Il n’est pas simple d’imaginer un identifiant fixe pour un individu donné, qui ne comporte pas une part de données privées, tels les numéros d’assurance maladie, d’assurance sociale ou de permis de conduire. Au Québec, un code permanent d’étudiant est attribué à chaque individu qui fréquente un établissement d’enseignement reconnu. Ce code nous apparaît comme un compromis acceptable, bien qu’il n’existe pas d’annuaire en ligne permettant de lier un code donné à un individu précis. Une bonne pratique pourrait être de fournir à la fois une adresse de courriel stable et ce code permanent.

  • un lien vers la description de la réalisation

L’approche idéale consiste à fournir un lien vers une description structurée et formelle de la réalisation afin d’éviter des problèmes d’interprétation liés à un contexte organisationnel ou culturel non familier. Dans une utilisation formelle, on songera à une entrée taxonomique de compétences bien que la majorité des établissements ne disposent pas de cette information sous forme de référentiel en ligne.  Au minimum, on fournira l’identification de la source de référencement, puis l’énoncé tel quel, en texte clair dans les métadonnées.

Trois types d'information essentielle dans un badge

Figure 3 : Trois types d’information essentielle dans un badge numérique

  • l’identification non équivoque de l’émetteur du badge.

Lorsque l’établissement est une organisation reconnue dans un registre public, comme  une organisation sans but lucratif (OSBL), une corporation ou un établissement d’enseignement, un hyperlien vers le site officiel peut être utilisé. Un numéro d’établissement attribué par un ministère ou la raison sociale d’un établissement peuvent également être utilisés.

  • un lien optionnel vers une preuve.

Pour étayer l’affirmation contenue dans le badge, un lien fourni vers un élément d’un portfolio électronique ou une photographie peuvent être utilisés comme preuve.

Outils de création et de conservation

Afin de faciliter l’adoption rapide des badges numériques, la Fondation Mozilla a distribué BadgeKit offrant des modules à code ouvert. Plusieurs plateformes,  dont WordPress, Moodle et Drupal, offrent le support des badges, ce qui facilite à la fois leur création et leur conservation.

Pour assurer la conservation des badges dans un tel environnement au-delà de sa période d’acquisition, il est nécessaire que l’organisation s’engage à soutenir un accès en ligne à long terme aux détenteurs de badges, une fois qu’ils auront terminé leur activité. Il faut éviter à tout prix que des badges disparaissent avec un organisme communautaire ou avec un enseignant qui fait cavalier seul.

Outre ces plateformes qui peuvent être adoptées par les organisations, on retrouve plusieurs services commerciaux qui permettent la création de badges avec quelques options gratuites, dans l’espoir d’attirer et de retenir une clientèle pour des services plus élaborés. Puisque l’utilisateur n’a aucun contrôle sur les termes de cette gratuité, il risque de perdre à tout moment l’accès à son matériel, soit parce que le fournisseur modifie son offre, soit parce qu’il disparaît tout simplement. Parmi les fournisseurs privés les plus actifs, on retrouve Credly et Acclaim. Un autre service, CB Factory, que nous avons mentionné en 2014, est devenu inaccessible, ce qui illustre les risques liés à l’adoption hâtive d’une plateforme.

Par ailleurs, on choisira idéalement des outils qui permettent la création de badges par lot (comme Moodle ou Drupal) ou de façon automatisée (Credly) en fonction de critères précis. Dans Youtopia, on peut facilement sélectionner plusieurs énoncés et les accepter en bloc pour octroyer des badges.

Les services commerciaux proposent également la conservation des badges, mais comme nous l’avons indiqué, leur offre peut être modifiée à leur guise et l’étudiant peut être dans l’obligation de payer un abonnement pour conserver un accès aux badges obtenus.

Alors, comment conserver ses badges à l’extérieur d’une plateforme ou d’un service afin de les faire valoir auprès d’employeurs potentiels ?

La Fondation Mozilla propose Backpack, un site permettant de rassembler une collection personnelle de badges. Les badges contenus dans Backpack et dans Credly peuvent être liés à la section « Certification » d’un profil LinkedIn.

Vu l’incertitude concernant la continuité du support des outils de la Fondation Mozilla, nous recommandons « la cuisson » des badges numériques. L’analogie avec un biscuit vient de l’idée de fusionner l’image du badge et les métadonnées dans un même fichier, comme nous l’avons évoqué avec les fichiers photo.

Cependant, le problème est que plusieurs plateformes et services commerciaux n’offrent pas cette option de cuisson, de sorte qu’il est impossible de recueillir les badges pour les rassembler dans un endroit déterminé. Et même si on parvient à recueillir ses badges et qu’on souhaite en assurer soi-même la conservation, on devra avoir recours à un espace infonuagique plutôt qu’un disque rigide ou une clé USB, tous deux sujets au vol ou au bris.

Une solution encore en devenir

Malheureusement, l’interopérabilité entre les plateformes et les services est loin d’être assurée. Nous n’avons pas pu trouver d’outils qui permettaient la rédaction et l’attribution de badges par lot, ce qui impose à l’enseignant un travail considérable.

Outre les aspects liés à la vie privée et à la conservation de badges, un des obstacles les plus importants est d’assurer le niveau de confiance pour identifier et authentifier l’émetteur et le porteur du badge. En ayant recours à des références externes par accès Web, on diminue considérablement les risques de falsification ou de fraude. De plus, en utilisant une clé privée et en intégrant sa signature électronique au certificat lui-même, l’émetteur peut créer une empreinte numérique (hash, en anglais) incorporée au badge. Cette chaîne de caractères peut être utilisée pour s’assurer que personne n’a essayé de modifier le contenu du certificat.

Par ailleurs, une approche prometteuse est celle des registres électroniques de transaction (blockchain, en anglais) en se basant sur les outils de monnaie cryptographique (bitcoin). Ces systèmes sont durables, dotés d’estampilles temporelles, et décentralisés. Outre les applications en économie collaborative et innovation ouverte, ces registres conviennent tout à fait pour soutenir la dimension de confiance envers les données du badge. Ce système prend toute sa valeur au moment où une tierce partie souhaite valider avec confiance une déclaration de réalisation pour se voir confier une fonction de responsabilité dans une organisation sociale ou chez un employeur potentiel. Il fournit également une solution au problème de conservation des badges à long terme que nous avons mentionné plus haut.

Dans un registre accessible à tous en lecture seulement, il est alors possible de vérifier l’identité du porteur et de l’émetteur et de valider le contenu du badge. Cette approche a également le mérite d’offrir une solution intéressante au problème de conservation des badges dans un établissement ou par un individu, pour autant qu’on ait adopté un identifiant permanent du porteur du badge.  Il suffirait de consulter le registre pour obtenir la liste des badges détenus par un individu.

Même si des progrès restent à faire, tant sur le plan de la création d’outils que des pratiques, le principe fondamental d’association de métadonnées à une image garantit que les initiatives actuelles pourront être supportées à long terme. S’engager dès maintenant dans l’attribution de badges numériques est une excellente manière de soutenir l’évolution de ces pratiques.

À propos de l'auteur

Pierre-Julien Guay

Collaborateur de la VTÉ sur des projets spécifiques, président du Groupe québécois de travail sur les normes (GTN-Q) et rédacteur pour le comité international ISO SC36 sur les technologies de l’information pour l’éducation, la formation et l’apprentissage.

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