Des jeux utiles pour résoudre des problèmes sérieux
À l’ère du numérique, plusieurs établissements d’enseignement et de formation empruntent la voie du jeu dans le but de transmettre des savoirs. Je me suis intéressée aux concepteurs qui proposent des jeux visant des populations défavorisées afin de répondre à diverses problématiques.
L’idée d’écrire sur le jeu « utile » m’est venue lors du visionnement de la conférence de Jane McGonigal, intitulée « Gaming can make a better world ». Elle y affirme que si nous augmentons considérablement le nombre d’heures passées à jouer à des jeux sérieux, nous pourrions bien développer des compétences pour résoudre certains problèmes planétaires comme la famine, la pauvreté, le changement climatique, les conflits, l’obésité. Encore faut-il que les jeux proposent des problèmes réels, dans une perspective d’apprentissage transposable à la réalité.
Quelques repères pour s’y retrouver
Il existe plusieurs définitions du jeu sérieux :
- « Un jeu sérieux est un jeu dont l’objectif principal n’est ni la distraction, ni l’amusement » (Michael & Chen, 2005).
- D’autres, comme Alvarez (2007), voient le jeu sérieux comme une « application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo ».
Si un jeu sérieux détient à la fois une fonction ludique, c’est-à-dire destinée à l’amusement, mais aussi une fonction qui ouvre sur des pistes d’applicabilité dans la vraie vie à partir des apprentissages réalisés par le jeu, les jeux « utiles » visent plus haut : en attribuant des missions héroïques aux joueurs, ils visent la résolution de problèmes dans la réalité.
L’idée de jeux « utiles » (tels que je les nomme!) n’est pas tombée de la dernière pluie…
Dans l’article « Origins of Serious games » (2011), les auteurs affirment que l’idée d’utiliser des jeux (et des jeux vidéo plus spécifiquement), pour traiter de situations réelles et sérieuses date de plus longtemps qu’on ne saurait l’imaginer. Certains d’entre vous l’auront bien deviné, l’armée américaine a utilisé les premiers jeux de simulation « utiles ». Pendant la guerre froide (1945-1989), les Américains ont investi beaucoup d’argent dans la recherche et de nombreux projets de cette période ont conduit à des technologies qui sont maintenant largement répandues dans notre vie quotidienne, telles que les ordinateurs ou Internet. Toutefois, bon nombre des premiers programmes informatiques ont été créés pour servir à des fins militaires. Des calculs balistiques à la gestion des ressources, l’armée des Etats-Unis était très accoutumée aux simulations informatiques.
Des initiatives récentes
Au cours de mes recherches, j’ai découvert qu’une organisation internationale versée dans le développement communautaire, Christian Aid, met actuellement en oeuvre l’idée de jeux utiles pour changer la vie des enfants les plus démunis. Il s’agit d’une organisation qui travaille pour le développement durable, la réduction de la pauvreté, le soutien de la société civile dans plusieurs pays de l’Amérique du Sud, les Caraïbes, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie. Voici quelques exemples s’adressant à des enfants, disponibles sur le site de l’organisation :
- Disaster Watch
- Aider des villages du Nicaragua à survivre durant des désastres naturels et des pénuries.
Disaster Watch
- Sneaky Snake
- Aider à résoudre des situations d’injustice.
Sneaky Snake
- Citizen Ship
- Monter à bord du Citizen Ship (« Bateau des citoyens ») et sauver les citoyens du monde des mers tumultueuses, de la faim et de bien plus encore.
Citizen Ship
- Go Goat Go
- Découvrir comment les chèvres du Kenya peuvent contribuer à la santé des enfants.
Go Goat Go
Pourquoi le jeu est-il un moyen digne d’être exploré ?
Selon cette organisation, les jeux facilitent l’assimilation des notions à transmettre auprès des enfants et davantage ceux qui sont défavorisés. Leurs expériences ont également prouvé que les enfants sont des agents de changement très puissants, sur lesquels ils peuvent miser pour éradiquer des problèmes auxquels ils font face au quotidien.
Par le passé, ils avaient utilisé du matériel didactique ludique pour enseigner aux enfants des notions de santé, d’hygiène, de prudence, et ces derniers ont non seulement retenus les connaissances, ils les ont mises en application et les ont partagées au sein de leurs familles. L’organisation a donc décidé d’enseigner à des enfants âgés entre 6 et 12 ans d’autres notions (survivre des catastrophes naturelles, résoudre des situations d’injustice …) utiles capables d’avoir un impact sur leur famille et leur communauté. Cette expérience démontre que les jeux peuvent être de puissants outils pédagogiques en raison de leur caractère intrinsèquement motivant. La motivation liée au jeu est telle que les joueurs croient qu’ils sont capables individuellement de changer le monde dans le monde virtuel… et réel. Si cette expérience s’est révélée fructueuse en dehors du contexte académique, pouvons nous nous attendre à des impacts semblables, -c’est-à-dire l’apprentissage, la mise en application et même le partage des notions enseignées par le jeu-, dans le domaine de l’éducation au niveau collégial?
Réalité : prolongement du monde ludique?
McGonigal, docteur en design de jeux conçus pour améliorer la vie réelle et résoudre des problèmes réels, explique qu’il y aurait une transmission spontanée des compétences acquises dans le jeu dans le monde réel. Le jeu nous donne un « sens héroïque » qui nous pousse à vouloir agir et à remplir des missions motivantes, des missions à « l’échelle de la planète », pour reprendre ses propres mots. Aucune distinction d’âge n’est faite par l’auteur. Cela suppose que les jeux agissent de la même façon sur les individus de tout âge.
Ci-dessous, une liste de jeux plus utiles que sérieux destinés à un public hétérogène, créés par le trio J. Van Looy, W. Win et F. De Groove, chercheurs en médias et en communication, pour sensibiliser à des problèmes sociaux divers et susciter des solutions dans la vraie vie.
- Poverty is Not a Game (PING) : vaincre la pauvreté, Van Looy, W. Win et F. De Groove
- World Without Oil : survivre sans l’or noir, de Jane McGonigal
- Superstruct : sauver le monde en 23 jours, de Jane McGonigal
Vous trouverez également une liste d’une vingtaine de jeux dans le même registre sur le site de Mission to Learn.
Conclusion
Le jeu s’avère une stratégie d’apprentissage détenant un potentiel fort intéressant. Lorsque les objectifs d’un jeu sont axés sur la résolution de problèmes réels, il est possible de transposer des notions permettant de solutionner des problèmes authentiques, du même genre, dans la vraie vie. En effet, des expériences ont démontré que le passage de l’environnement de jeu à la réalité se faisait sans heurt, permettant ainsi aux joueurs d’appliquer les notions apprises de manière ludique dans la vraie vie. Cependant, cela prend une masse critique de joueurs désireux de s’attaquer aux problèmes sérieux auxquels fait face notre planète. Les résultats des expériences qui seront conduites seront-ils assez concluants pour amener des changements globaux? C’est à suivre…
Suggestions de lecture autour du jeu
- De la ludification des apprentissages à la narration transmédia, publié par Jean Desjardins sur le site de Profweb.
- Les jeux sérieux : enseigner autrement, publié par Avery Rueb sur le site de Profweb.
- .. toute la vie! Perception des jeux sérieux dans le contexte de la reconnaissance des acquis et des compétences au collégial au Québec et propositions de solutions, publié par Audrey Corbeil sur le site de la Vitrine technologie-éducation.
Lecture qui s’inscrit en complémentarité avec cet article sur le potentiel mobilisant/mobilisant des jeux vidéos. http://www.numerama.com/pop-culture/207755-le-jeu-video-un-media-militant.html