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28 janvier 2019

Des outils d’analyse de l’apprentissage

Ce texte a initialement été publié par la Vitrine technologie-éducation sous licence CC BY-NC-SA 3.0, avant la création d’Éductive.

en collaboration avec 
Séverinne Parent, enseignante


Depuis plusieurs années, on s’intéresse aux données disponibles dans les institutions d’enseignement. De multiples données sont déjà disponibles : des données sur les programmes (processus scolaires) et les apprentissages ainsi que des données sur les étudiants (profil des étudiants) et leurs perceptions. Ces données peuvent servir à soutenir l’apprentissage et déjà, depuis quelques années, des initiatives mises sur l’analyse des données en éducation.

Toutefois, il importe d’éviter le piège d’évaluer ce qui est facile à mesurer pour plutôt évaluer ce qui a de la valeur (Broadfoot, 2007). Comme le mentionnait Michelle Deschênes, coanimatrice du laboratoire sur l’analyse de l’apprentissage, dans son examen de doctorat : « L’analyse de données d’apprentissage implique d’accéder aux données, de les lier et de les agréger, d’appliquer des modèles statistiques (Cooper, 2012), de présenter les résultats de façon optimale (Breiter et Light, 2006) pour en permettre l’analyse en temps réel (Crawford, Schlager, Penuel et Toyama, 2008; Zavadsky, 2009) afin de soutenir le processus d’apprentissage des étudiants et de fournir des rétroactions au moment opportun (Means, Padilla et Gallagher, 2010), et ce, en tenant compte du contexte ». L’utilisation de l’analyse de l’apprentissage est donc un processus qui s’inscrit dans une procédure à la fois rigoureuse et soucieuse du contexte et du momentum dans lequel elle s’inscrit.

Dans cet article, nous proposons des exemples d’outils tirant profit de l’analyse de l’apprentissage pour soutenir la réussite des étudiants. Dans un premier temps, des exemples à l’extérieur du Québec seront présentés, puis quelques initiatives au collégial seront présentées.

À l’international

Une communauté internationale de chercheurs, la Society for Learning Analytics Research (SoLAR), a été mise sur pied pour comprendre, informer et améliorer l’apprentissage avec l’analyse des données. Depuis 2011, les membres se rencontrent annuellement et présentent des exemples d’utilisation des données dans des applications en laboratoire et en contextes authentiques d’apprentissage. Ils y partagent les avancées concernant entre autres des tuteurs intelligents, des systèmes d’alertes et des jeux immersifs développés avec l’objectif d’améliorer l’apprentissage. Nous vous présentons trois exemples présentés lors de leur conférence annuelle.

OnTask, pour fournir des rétroactions personnalisées

OnTask, une plateforme numérique, permet aux professeurs d’envoyer des rétroactions personnalisées aux étudiants. La plateforme permet de connecter différentes données et de créer des messages personnalisés selon des conditions choisies par le professeur. Par exemple, un professeur pourrait créer une évaluation formative sur Moodle et envoyer, grâce à OnTask, un courriel personnalisé à chacun des étudiants pour fournir des ressources sur les questions avec lesquelles il a eu de la difficulté. L’application développée par un groupe de chercheurs est disponible gratuitement, en version libre.

Learning pulse, pour étudier et prédire la réussite dans l’apprentissage autorégulé

Dans le projet Learning Pulse, développé par Daniele Di Mitri, des biocenseurs portables et l’analyse de l’apprentissage sont utilisés pour étudier et prédire la réussite dans un contexte d’apprentissage autorégulé. Une application mobile permet aux étudiants de donner des rétroactions sur leur motivation, des rétroactions qui sont croisées avec les résultats des biocenseurs. Chaque heure, entre 7 h et 19 h, l’application pose quatre questions aux étudiants : est-ce que l’activité représente un défi pour toi? Te sentais-tu bien préparé pour faire cette activité? Te sentais-tu productif? Est-ce que l’activité était stressante? Au moment de la présentation, le projet en était à l’étape de la preuve de concept. Il pourrait être envisagé qu’avec un système comme Learning Pulse, le professeur pourrait  être informé sur la variation du niveau de productivité, de stress ou de concentration de ces étudiants.

Academic Reporting Tools 2.0, pour personnaliser l’expérience d’apprentissage

L’Academic Reporting Tools (ART) 2.0, l’outil développé par la Digital Innovation Greenhouse de l’Université du Michigan, permet de personnaliser l’expérience d’apprentissage. Il s’agit d’un outil de visualisation qui permet aux étudiants de choisir leurs cours de façon éclairée, en combinant des données issues de la communauté étudiante. Il permet aussi de consulter les données de cours comme les évaluations de l’enseignement, les profils d’étudiants ayant suivi un cours, la charge de travail évaluée par les étudiants qui ont suivi le cours, etc. Enfin, l’outil fournit aux professeurs un portrait des étudiants qui sont dans leurs classes (leur parcours universitaire antérieur et les cours réussis par l’ensemble des étudiants, par exemple). Ce sont des données qui existent dans certaines institutions, mais l’innovation ici est de rendre ces données accessibles.

Plus près d’ici

Des exemples tirant profit des environnements numériques d’apprentissage ont aussi été présentés. Certains tirant profit de l’analyse des données au niveau de la réussite dans le programme, d’autres au niveau de la classe.

Projet SAVOIR à la Cité collégiale : identifier les étudiants à risque de façon efficace

Afin de soutenir la rétention et la réussite de ses étudiants, La Cité collégiale a créé un système de rétroactions qui permet aux professeurs de fournir des observations sur les étudiants afin que les intervenants pédagogiques de l’institution puissent soutenir les étudiants. Michel Singh a présenté le projet SAVOIR lors d’un laboratoire sur l’analyse de l’apprentissage.

Module de la réussite à l’Université Laval : appui à la réussite et dépistage des étudiants en difficulté

L’Université Laval a développé son propre environnement numérique d’apprentissage. Dans la foulée, il a aussi créé en 2015 un module de la réussite qui se veut un outil de dépistage des étudiants en difficulté et un appui à la réussite.

Le module fonctionne selon des indicateurs de réussite : les résultats et la participation. Ces indicateurs apparaissent dans l’environnement numérique d’apprentissage des étudiants sous la forme de pastilles vertes, jaunes ou rouge.

L’outil vise à informer les étudiants qu’ils sont en difficulté dans au moins un cours et à les inciter à consulter une page de ressources mises à leur disposition pour soutenir leur réussite. Le module soutient les étudiants dans sa réussite, l’enseignant dans son accompagnement pédagogique et la direction de programme dans l’intervention auprès des étudiants présentant des signes de difficulté.

Connaitre pour accompagner au Cégep Limoilou : intervenir rapidement et assurer de l’adéquation de la formation

En 2016, le Cégep Limoilou désirait améliorer le soutien des étudiants vivant des défis, que ce soit des étudiants ayant des besoins particuliers ou vivant des défis d’intégration aux études supérieures. Le cégep a mis en place un système basé en partie sur le système Early Alert, soit une alerte qui informe rapidement du cheminement des étudiants dans ses apprentissages, et sur l’outil Connaitre pour accompagner (CPA) utilisé dans plusieurs cégeps. L’initiative s’incarne dans un outil ajouté dans la plateforme institutionnelle (un module de la réussite dans Omnivox) et dans les données que l’institution possède déjà (portraits de cohorte, questionnaires de perception des étudiants, questionnaires Inventaire des acquis précollégiaux (IAP), Aide-nous à te connaitre (ANATC) puis Sondage provincial sur les étudiants des cégeps (SPEC 1 et 2)) auxquelles s’ajoutent des rencontres de suivi du comité formé spécifiquement pour le suivi des étudiants.  

Comme le mentionne le Cégep Limoilou :

« Alors, qu’auparavant, il fallait parfois attendre un échec à la fin d’une session pour identifier un étudiant en difficulté, les interventions se font dorénavant en amont et dans la confidentialité. En revanche, elles commandent un engagement sans précédent de l’étudiant envers sa démarche vers la réussite. »

Le premier volet de CPA+ porte sur l’accompagnement des étudiants, le deuxième volet concerne le suivi de la formation. En effet, la mobilisation de l’accompagnement des étudiants par l’équipe enseignante et le responsable d’accompagnement programme (RAP) permet d’assurer le suivi de la démarche de formation à la lumière des difficultés observées chez les étudiants, d’améliorer les programmes de formation ainsi que les séquences d’apprentissages prévues. Le projet a permis l’instauration d’une dynamique de coopération professionnelle permettant des échanges pédagogiques entre les intervenants pédagogiques impliqués. Pour la conseillère pédagogique dédiée à la réussite, le projet est un beau défi de collaboration interservices nourrie par une collecte de données systématique misant une intervention rapide et concertée portant sur le contexte dans lequel se vivent les apprentissages. Un véritable cheval de Troie pour aborder l’aspect pédagogique dans les équipes programmes, nous confirmait l’aide pédagogique individuelle dédiée à l’implantation de CPA+.

Outils d’analyse dans le Knowledge Forum : suivre l’activité et la collaboration en réseau

Le Knowledge Forum (KF) est un outil de télécollaboration qui soutient la co-construction de connaissances et l’apprentissage par les pairs. L’outil offre un support aux individus qui désirent mettre en commun leurs connaissances, leurs savoirs, leurs opinions pour résoudre un problème ou un ensemble de problèmes. C’est un outil développé par des chercheurs, dont certains sont de l’Université de Toronto, de l’Université Laval et de l’Université de Hong Kong.

À l’Université Laval, le KF est, entre autres, utilisé dans un cours sur l’apprentissage en réseau où on s’intéresse à la réussite éducative. L’utilisation de l’outil s’inscrit dans une coconstruction des connaissances et du discours, basés sur les échafaudages qui précisent les intentions d’écriture (parmi les échafaudages proposés : ma théorie, je veux comprendre, nouvelle information, mettons notre savoir en commun).

Le KF propose différents outils d’analyse du discours :

  • Analyse lexicale (nuage de mots)
  • Activity Dashboard: qui permet consulter l’activité (lire, écrire, modifier) sur une période
  • Social Network Visualizer : présente visuellement à l’aide d’un diagramme d’accord (chord diagram) quels utilisateurs ont lu la contribution d’un autre utilisateur
  • statistiques : nombre de notes écrites, leur distribution dans la semaine, l’utilisation des échafaudages

Fovéa : documenter la variation de l’engagement des étudiants envers la matière

Selon Michelle Deschênes et Séverine Parent, les créatrices de Fovéa, les professeurs ont besoin des toutes les données pour faire les meilleures interventions au meilleur moment. Fovéa a été créé pour répondre au besoin des professeurs d’avoir accès à un meilleur portrait de leurs étudiants. Si les professeurs ont déjà accès à un certain nombre de données, comme les notes aux évaluations, les créatrices de Fovéa, elles-mêmes professeures, ils n’ont toutefois que peu d’informations sur ce que ressentent leurs étudiants au terme d’une séance.

Fovéa donne une voix aux étudiants : grâce à Fovéa, les étudiants partagent leurs perceptions sur leur implication dans le cours à la fin de chaque séance. Les professeurs sont ainsi mieux renseignés sur les besoins des étudiants, ce qui leur permet d’offrir une expérience d’apprentissage personnalisée.

L’outil a été développé par et pour des professeurs dans une démarche de design thinking qui permet de connaitre les gens qui vivent une problématique et de collaborer avec eux à créer une solution, de l’idéation à l’implémentation. Il vise à soutenir les professeurs et les intervenants pédagogiques à appuyer leurs décisions sur des données fournies en temps réel par les étudiants.

Fovéa permet aux professeurs de choisir un thème pour lequel ils souhaitent en savoir davantage sur leurs étudiants. Un questionnaire s’appuyant sur la recherche est rendu disponible selon l’horaire de leurs cours. Les étudiants reçoivent une notification et répondent à deux questions – des étoiles ou des émojis. Leurs réponses sont automatiquement compilées dans un tableau de bord. Le professeur accède au tableau de bord afin de visualiser les données des étudiants en temps réel, tout au long de la session. Fovéa n’évalue pas le cours ni le professeur, il permet de rendre visibles les perceptions des étudiants.

Conclusion

De nombreux autres outils d’analyse d’apprentissage sont actuellement disponibles et d’autres continueront d’émerger dans les prochaines années. La quantité de données stockées, puis analysées, de même que toutes les nouvelles méthodes de collecte des données, posent de nouveaux défis, notamment en ce qui concerne l’utilisation éthique des données et le respect de la vie privée. 

À propos de l'auteure

Michelle Deschênes

Michelle Deschênes est détentrice d’un doctorat en technologie éducative et professeure en psychopédagogie de l’enseignement professionnel à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ses recherches portent sur développement professionnel des enseignantes et des enseignants, en particulier à la mise à profit du numérique pour soutenir l’exercice d’agentivité de ceux-ci. Elle s’intéresse aussi à l’engagement, aux communautés d’apprentissage et de pratique, de même qu’à l’intelligence artificielle, à l’analyse de l’apprentissage et aux systèmes de recommandations. Auparavant, elle a enseigné le développement web au collégial et a contribué à la formation initiale et continue des enseignants du collégial, du secondaire, du primaire et du préscolaire à l’Université Laval et à l’Université de Sherbrooke.

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