École 42: l’apprentissage se fait tout seul (c’est-à-dire à plusieurs)
Avez-vous déjà imaginé l’école sans professeurs? Personne pour vous dire quand commencer, quoi noter, quand terminer. Une école où l’étudiant progresserait à son rythme, au gré de sa motivation, et où il serait inévitablement le principal acteur de son développement? Cela semble une utopie irréelle, mais c’est pourtant le pari que fait l’école 42 avec son programme pédagogique surprenant.
42 est une école privée française qui forme exclusivement des futurs codeurs informatiques. Complètement gratuite, elle a été développée par des professionnels du milieu et elle utilise la ludification (gamification) pour faire progresser les étudiants. Ceux-ci sont (presque) seuls maîtres de leur apprentissage et du rythme de leur progression. Son programme se base sur un système d’apprentissage par les pairs qui met l’accent sur l’importance d’échanger entre apprenants. Même les évaluations se font entre pairs. Ce principe s’applique partout. Autonome, l’étudiant qui a une question est invité, voire obligé, de s’adresser à un collègue pour trouver des réponses. Le concept de son audacieuse proposition est simple: la collaboration et l’entraide en sont les valeurs centrales. Elles sont la base de sa pédagogie qui se targue de former les codeurs les plus en demande et les plus polyvalents du milieu informatique.
En quête d’initiatives inspirantes
Du 3 au 13 mars 2017, le groupe de recherche Living Lab en innovation ouverte (LLio) du Cégep de Rivière-du-Loup réalisait un voyage d’exploration de lieux innovants en France. J’ai eu la chance de participer à l’aventure à titre d’agente de recherche. L’objectif du séjour consistait à aller prendre acte de différentes initiatives en innovation sociale et de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs pour rapporter des idées à implanter chez nous. Nous nous sommes d’abord posés à Paris, puis à Saint-Etienne pour la Biennale de design qui portait sur les mutations du travail. Pendant ces 10 jours là-bas, nous avons découvert divers tiers-lieux.
Citation « Les tiers-lieux sont des endroits qui, sans être la maison ou le bureau, sont des lieux d’appartenance sociale, d’innovation et de collaboration: espaces de travail collaboratifs (coworking), fab labs et tout autre lieu qui favorise, encourage et se dédie à l’innovation sociale à travers la collaboration. »
À ce titre, une visite de l’école 42, un établissement d’autoformation privé, fondé à Paris en 2013, était un incontournable de notre voyage.
Une pédagogie atypique pour l’école de demain
L’école 42.
L’accès au bâtiment donne déjà le ton: on est ici dans un club sélect. N’entre pas qui veut dans le bâtiment ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Il faut un badge pour passer les guichets de l’entrée. Pour être admis dans cette école dont la scolarité est gratuite, une épreuve très sélective sépare les quelque 900 futurs étudiants des 40 000 postulants annuels. Cela dit, les critères de sélection ne sont pas connus. On sait seulement qu’un étudiant est choisi:
- Pour son aptitude potentielle à faire face à cette pédagogie atypique et exigeante
- Pour la nature de sa personnalité
- Pour la richesse et la diversité qu’il pourra représenter pour la cohorte
Suivant ces critères, un premier refus à l’admission sera aussi le dernier. L’école 42 n’étudiera pas 2 fois une candidature, puisqu’on ne risque pas de changer fondamentalement de personnalité entre 2 demandes d’admission.
Charles Maublanc, responsable des communications de 42, dans une des salles de travail. Photo Rachel Berthiaume.
Une approche de ludification collaborative
C’est une fois admis que la magie opère. Dès les premiers jours de sa formation, l’étudiant connaît l’ensemble des étapes qui jalonnent son parcours jusqu’à sa finalité. Ce programme prend la forme d’une espèce de plaquette de jeu virtuelle où l’étudiant fait avancer son pion, à son rythme, au fur et à mesure de ses accomplissements (travaux, ateliers, projets calqués sur ceux du monde professionnel, etc.).
Essentiellement, l’apprentissage s’opère dans les grandes salles communes offrant chacune 300 postes de travail. L’étudiant connaît les étapes qu’il devra réussir et occupe son temps comme il le veut. Il apprend par lui-même, par essai et erreur, à l’aide de tutoriels créés par l’école ou grâce à l’appui des autres étudiants qui l’entourent et qui sont tous rendus à un point différent de leur formation. Il devient impossible de réussir sans recourir à l’aide de ses pairs.
Une équipe pédagogique s’occupe de créer les ateliers et les projets qui sont proposés aux étudiants. Cette équipe est formée de professionnels du milieu et d’étudiants stagiaires, choisis à même 42. À savoir si des professionnel de la pédagogie officient dans cette équipe, ce n’est pas clair. Mais 42 esquive habilement la question: elle évolue en dehors du système scolaire, ne répond d’aucun ministère ou instance publique. Elle est conçue par et pour le compétitif et innovant monde des technologies informatiques.
Un coin du « bocal » où officie l’équipe pédagogique. Photo: Rachel Berthiaume.
Les salles de travail. Source: www.42.fr
Les étudiants de l’école 42 sont d’âges variés (même si, en général, on vise les 18-30 ans) et proviennent de tous les horizons. La multiplicité des profils contribue à la richesse de l’endroit, mais aussi à la qualité de l’apprentissage. Celui-ci tient à la fois du savoir, du savoir-vivre et du savoir-être: comme dans la vraie vie. La motivation à réussir et à progresser appartient à l’étudiant seul: pas de professeur pour exiger, réguler, évaluer. Chacun fait son parcours à son rythme. L’intégration des apprentissages et leur validation se font à travers des épreuves, aussi appelées des piscines, et des stages en entreprises.
Puisque l’apprentissage ne peut s’effectuer qu’en mode présentiel, les lieux sont conçus pour donner à l’étudiant l’envie de rester. Les espaces sont aménagés selon cet objectif: il y a les salles pour travailler, mais par dessus tout, 42 est pensé pour être un lieu de vie. On y trouve des pièces pour se reposer, d’autres pour jouer à des jeux vidéo et aussi une cafétéria très design avec des fruits gratuits à disposition et même un barbecue à l’extérieur. Partout dans l’école se tient une exposition permanente de street art, également ouverte au public 2 soirs par semaine.
La salle de jeux. Source: www.42.fr
Le comptoir de la cafétéria. Source: www.42.fr
Ce projet atypique est rendu possible grâce au financement (exclusif!) d’un riche entrepreneur français, Xavier Niels, qui est parti de rien et qui souhaite redonner à la France, pays où il a fait sa fortune. 42 semble recevoir un soutien indéfectible du milieu professionnel, à en juger par le nombre de places de stages offertes aux étudiants. L’école a l’ambition que ses étudiants fondent au moins 5 géants de l’internet (par année!) qui devraient contribuer à faire vivre l’école en retour, via la taxe française d’apprentissage.
Visionnaire, utopique et… transposable?
En somme, 42 sort du cadre et donne l’impression d’être une révolution de l’éducation, fondée sur des valeurs fortes et propres à l’école du XXIe siècle:
- L’autonomie
- La motivation intrinsèque
- La collaboration
- L’entraide
- Les situations réelles
- Les environnements beaux et stimulants
De l’extérieur, c’est l’eldorado, l’utopie, le rêve. La réussite apparente du modèle et l’enthousiasme des gens rencontrés là-bas font envie. Cette visite me force à porter un regard réflexif sur mes conceptions de l’éducation. Je tente de réfléchir à une manière de réinvestir de manière pertinente ce qu’on a vu là chez nous, à transposer certaines des idées de 42 dans d’autres domaines que celui du codage.
Un exemple de street art qui orne les murs de l’école. Photo: Rachel Berthiaume.
Pour ce faire, il importe aussi de prendre une distance critique par rapport à un tel modèle. Au delà de la première piscine, qui dure un mois et qui constitue le véritable examen d’entrée de l’école, d’autres séances d’immersion totale sont prévues dans le parcours de la formation. Il s’agit de périodes de quelques jours au termes desquelles les futurs codeurs doivent rendre un certain nombre de projets, en équipe et individuellement. Il est normal de ne pas dormir et de passer des dizaines d’heures consécutives à l’école à travailler. Du propre aveu de notre guide, même un codeur professionnel ne pourrait pas rendre les projets demandés à terme dans les délais accordés. Je ne doute pas que les étudiants apprennent énormément à travers ces exercices, mais on peut légitimement remettre en question la valeur pédagogique de placer ses étudiants sous une telle pression. Si cela présente l’avantage de préparer les étudiants pour la vie professionnelle, permettez-moi de questionner l’atmosphère de ces milieux de travail qui portent l’épuisement professionnel et la réalisation de l’impossible au statut de fierté.
Loin des considérations actuelles d’inclusion et de la conception universelle de l’apprentissage, le modèle de l’école 42 est élitiste. Il fait en sorte que les plus faibles s’éliminent d’eux-mêmes. Le discours qui entoure l’organisation ne fait état que de ses réussites, mais je serais curieuse de connaître le taux d’abandon. Cela dit, le modèle est inspirant à d’autres niveaux. Une visite là-bas frappe vraiment l’esprit. Il faut voir comment les lieux sont invitants et donnent envie de s’y installer. On y sent la fébrilité, le fourmillement, la créativité. S’agit-il d’un nouveau paradigme de l’éducation, d’une utopie ou d’une fumisterie? Il m’apparaît qu’il y a clairement quelque chose de pertinent à retirer de cette version de l’école, mais quoi exactement? Par où commencer? À l’image de la pédagogie de 42, je présume que commencer par vous consulter, mes pairs, serait déjà la meilleure idée que je puisse suivre.
En ce sens, je vous invite à visiter le site web de l’école qui explique, de manière beaucoup plus exhaustive que moi, la philosophie et le fonctionnement de 42.
Pour voir les capsules réalisées par le LLio sur les autres tiers-lieux inspirants que nous avons visités pendant notre voyage, consultez notre page Facebook Exploration des tiers lieux.