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3 novembre 2015

Éduquer aux médias : défis et enjeux pour l’école du 21e siècle

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Le 23 octobre 2015, j’ai assisté par webdiffusion au colloque Éduquer aux médias : une priorité collective, présenté par la TELUQ et le Conseil de presse du Québec. Il s’agit du premier colloque dédié à l’éducation aux médias à se tenir à Montréal en plus de 10 ans. L’initiative a été saluée tant des conférenciers que des spectateurs, qui ont d’ailleurs appelé avec enthousiasme à la tenue d’une deuxième édition.

Je vous présente un compte-rendu des enjeux, des réflexions et des objets de débat qui ont constitué, à mon avis, les moments forts de ce colloque.

En quoi consiste l’éducation aux médias?

Le site du colloque décrit ce que constitue une éducation aux médias.

On parle d’éducation aux médias lorsqu’une activité vise à faire acquérir :

  • La capacité d’utiliser pleinement des technologies médiatiques
  • L’aptitude de s’exprimer pleinement à l’aide de ces technologies
  • Un jugement critique sur les médias et les textes médiatiques, et de l’exercer
  • Des capacités d’introspection, en tant que producteur et récepteur de textes médiatiques
  • Un comportement moral et éthique dans des environnements médiatiques

L’éducation aux médias est un mandat ambitieux, puisqu’elle couvre tant les contenus et les représentations dans les médias traditionnels que l’utilisation adéquate des nouvelles technologies. Elle pose inévitablement la question du partage de cette responsabilité, qui relève à la fois du giron scolaire et parental. Si la charge de l’éducation aux médias revient aux enseignants, encore faut-il que ces derniers se sentent suffisamment outillés pour l’enseigner. Voilà donc autant d’enjeux qui ont été abordés par différents intervenants tout au long du colloque : journalistes, personnalités publiques, chercheurs, enseignants, cadres…

Cette diversité s’est également reflétée dans les témoignages projetés, puisque chacune des séances débutait par une vidéo dans laquelle des adolescents, des parents ou des enseignants se prononçaient sur des sujets en lien avec les médias.

Éduquer aux médias : une priorité collective

Informations et transformation des médias

La première séance a présenté un historique de la transformation des principaux médias d’information. Le passage de l’écriture au numérique, ainsi que les adaptations et les mutations profondes qui en découlent, constituent un tournant historique majeur. Pourtant, on en sous-estime encore largement toute la portée: un phénomène imputable à sa récence?

Or, en 2015, la question de l’éducation aux médias ne fait plus de doute pour les intervenants: sans elle, on ne peut exercer pleinement son rôle de citoyen éclairé. Les médias de l’information se transforment, s’adaptent ou disparaissent dans la mouvance du numérique. Les repères traditionnels de crédibilité et de validité des sources s’en trouvent donc chamboulés.

Alors même qu’on peine à distinguer le vrai du faux, la multiplication de l’information sur le web rend d’autant plus crucial le développement d’un esprit critique et de compétences informationnelles.

Acheter des « j’aime »

Les médias sociaux n’échappent pas au nécessaire exercice de discernement. L’astroturfing, une pratique frauduleuse consistant à rémunérer des individus pour qu’ils rédigent de fausses critiques de service en ligne, trouve sur les réseaux sociaux un terreau idéal pour manipuler l’opinion des utilisateurs. Une compagnie d’État a même été condamnée récemment pour avoir usé de ce stratagème. L’anonymat et le caractère citoyen de certaines plateformes favorisent l’émergence d’un sentiment de sécurité et de communauté auprès des utilisateurs, mais il importe de rester à l’affût de certains pièges.

Pour les différents intervenants du colloque, il est essentiel que l’éducation aux médias comporte un volet sur l’éthique journalistique de manière à sensibiliser les internautes, qu’ils soient rédacteurs ou lecteurs des contenus médiatiques.

Vie privée et civilité en ligne

La deuxième séance nous plongeait au coeur de préoccupations relationnelles comme la cyberintimidation, l’hypersexualisation et les représentations sexistes dans les médias.

Il est tentant de croire que l’intimidation est un phénomène typiquement adolescent. Pourtant,  les comportements inadéquats en ligne ne sont pas uniquement imputables aux jeunes. Il arrive que leurs parents n’agissent guère mieux. Un constat: les parents doivent aussi être éduqués par rapport à leur utilisation des réseaux sociaux, car ils seront, après tout, les premiers à donner l’exemple.

Tout comportement inadéquat constitue-t-il de la cyberintimidation? Il semble que ce soit surtout la fréquence qui permet de le déterminer. Cette forme de violence serait plus prévalente parmi les jeunes filles, mais la cyberintimidation demeure surreprésentée par rapport à ce qui se passe réellement dans les établissements scolaires.

Plusieurs intervenants ont souligné que l’apprentissage des comportements pro-sociaux, comme la civilité et les comportements adéquats en ligne, s’échelonne nécessairement sur plusieurs années. L’éducation aux médias, si elle est prise en charge par le système scolaire, aurait donc intérêt à miser sur le long terme. Après tout, on n’en exige pas moins pour l’apprentissage de matières de base comme le français ou les mathématiques. À cet égard, le fait de sévir est généralement moins efficace que d’éduquer aux bons comportements. Quelques pistes suggérées par les participants :

  • Présenter des mises en situation ou des questions éthiques aux jeunes pour les encourager à discuter et à réfléchir à la portée de leurs comportements socionumériques.
  • Leur apprendre à rédiger des commentaires valorisants sur les réseaux sociaux.
  • S’assurer d’être un modèle positif en ligne, donner le bon exemple.

Internet, l’omniscient

La préservation de la vie privée est un enjeu majeur du web 2.0. Autrefois, on disait volontiers que Dieu est partout. De nos jours, on peut en dire autant d’Internet. Dès lors que nous nous y branchons, chacune de nos actions est enregistrée, d’où l’importance de sensibiliser les étudiants à leur utilisation des technologies et à leur identité numérique.  Le concept d’extimité, défini comme ce que l’on montre de notre intimité, est particulièrement évocateur et a immédiatement été adopté par plusieurs intervenants.  

Cet apprentissage est d’autant plus crucial que l’omniprésence des technologies favorise une normalisation des comportements:

Par exemple, aux personnes qui expriment un malaise face à la multiplication des mécanismes de surveillance, on répondra : « Pourquoi? Avez-vous quelque chose à cacher? » La surveillance est devenue la norme.

Dans un contexte où il y a prévalence de solutions technologiques qui misent sur la sécurité au détriment de la liberté, toute réticence devient suspecte. Dans la même lignée, des applications ludiques pour appareils mobiles sont conçues afin de nous simplifier la vie, mais elles sont de plus en plus intrusives quant à nos habitudes de vie et de consommation. Pensons à ces applications d’assurance automobile qui promettent de récompenser les bons conducteurs ou encore, aux nouvelles applications de suivi médical et pharmaceutique. Leur utilisation sera-t-elle un jour normalisée?

Ce processus de normalisation mérite d’être questionné afin de préserver le libre choix. Les participants du colloque croient qu’une éducation aux médias s’avère essentielle pour comprendre les impacts de ces technologies sur notre vie privée et pour ensuite être en mesure de prendre des décisions éclairées.

Éduquer aux médias: par qui, comment?

La troisième séance a permis le partage d’expériences d’enseignants du secondaire ayant intégré l’éducation aux médias dans leur pratique.

Des élèves de première secondaire ont ainsi été sensibilisés à la manipulation des images médiatiques grâce à une activité qui, au départ, consistait à créer une vidéo publicitaire dans un cours de français. La compréhension des procédés de marketing et des trucages, obtenus grâce à de simples logiciels, a changé le regard que ces jeunes posaient sur les images véhiculées par les médias et leur a permis d’aiguiser leur sens critique.

À travers cette anecdote, il y a l’expression d’une réalité partagée dans le milieu collégial, soit que les initiatives en matière de technologies et d’éducation aux médias s’effectuent généralement sur une base volontaire. L’acquisition d’une littératie numérique est une compétence nécessaire au 21e siècle, mais les enseignants ne se sentent pas forcément bien outillés pour la transmettre. La réussite de ce projet dans le système scolaire reposerait d’abord sur une volonté de formation continue de la part des enseignants. Or, dans le contexte actuel, l’éducation aux médias est une tâche supplémentaire qui s’ajoute à leur horaire déjà bien rempli. Il faut également déterminer à qui incombe la responsabilité de l’éducation aux médias: aux parents ou à l’école? Les participants soulignent les similitudes entre ce questionnement et celui qui se pose en matière d’éducation sexuelle: dans les 2 cas, on reconnaît l’importance du projet, mais on souligne aussi, inévitablement, la réalité enseignante et ses limites.

On attend généralement de l’école qu’elle apprenne aux élèves à exercer un meilleur jugement, qu’elle leur permette de développer un esprit critique. Et parce que l’école doit préparer les élèves à faire partie intégrante de la société, il semble qu’elle sera appelée, tôt ou tard, à assurer l’éducation aux médias de manière plus globale, en collaboration avec les parents. L’intérêt est là, de part et d’autre.

S’il y a un point sur lequel tous les intervenants s’entendent, c’est que l’éducation aux médias est une compétence nécessaire au 21e siècle. Pour que les jeunes deviennent des utilisateurs avisés, mais aussi des citoyens du numérique en développant une conscience éthique et critique.

Mes suggestions de ressources pour le collégial

DoNotTrack : série documentaire consacrée à la vie privée (12 mai 2015). Billet publié sur Éduc’en ligne (Luc Blain, Cégep de Sainte-Foy) : « Do Not Track est une série documentaire consacrée à la vie privée et à l’économie du web. Les auteurs explorent les différentes manières dont le web enregistre et traque nos activités, nos publications et nos identités. Pour aider à comprendre comment nos informations sont utilisées, ils nous demandent de participer avec nos données par la création d’un compte. Si vous consentez à partager vos données personnelles, vous aurez l’occasion inédite d’observer en temps réel comment votre identité est traquée en ligne. »

Just Delete Me : supprimer adéquatement ses comptes web inutiles (7 octobre 2013). Billet publié sur Éduc’en ligne (Luc Blain, Cégep de Sainte-Foy). Justdelete.me répertorie les principaux sites web et évalue leur niveau de difficulté pour la suppression définitive d’un compte. Idéalement, à consulter avant de s’inscrire sur un site, car pour certains des sites les plus populaires, il est difficile, voire impossible de supprimer définitivement un compte.

Marc L.*** Article paru dans le magazine français Le Tigre en 2008. L’auteur dresse un portrait détaillé de la vie privée d’un inconnu, choisi au hasard, à partir d’informations recueillies sur internet. L’objectif : prouver que nous ne faisons pas suffisamment attention aux informations privées que nous laissons sur le web et que celles-ci, une fois mises ensemble, permettent une (inquiétante) incursion dans notre quotidien, nos habitudes, nos relations personnelles et professionnelles. Peut être partagé aux étudiants dans le cadre d’un exercice réflexif de sensibilisation à l’empreinte numérique.

MonImageWeb.com Une initiative du réseau des REPTIC. Le site comporte des ressources et des vidéos sur des sujets comme la cyberintimidation, les rencontres hors ligne, la cyberréputation et le droit à l’image, l’usurpation d’identité.

La semaine du 2 au 6 novembre 2015 marque la 10e Semaine de l’éducation aux médias, qui a pour thème Le respect dans un monde numérique. Participez sur Twitter avec le mot-clic #SemEdMed.

À propos de l'auteure

Andréanne Turgeon

Andréanne Turgeon a été éditrice pour Profweb de 2014 à 2019. Elle a ensuite coordonné l’organisme jusqu’à son intégration chez Collecto. Depuis 2022, elle est directrice du nouveau secteur des Services de pédagogie numérique chez Collecto, auquel se rattache la plateforme Éductive.

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Daniel Cardin
Daniel Cardin
30 juillet 2023 17h35

Les liens vers Ste-Foy ne fonctionne plus on dirait. De même pour MonImageWeb.