La classe d’apprentissage actif à « faible technologie » du Cégep de Sept-Îles
Les mots « classe d’apprentissage actif » évoquent généralement des images d’un espace épuré, rempli des plus récentes technologies et d’appareils dernier cri. Ce n’est pas le cas au Cégep de Sept-Îles. Pour répondre à nos besoins et à nos objectifs d’enseignement et d’apprentissage, nous avons délibérément opté pour une salle dans laquelle l’interactivité – et non la technologie – occuperait un rôle central. Nous sommes tout de même en 2017 : cela ne signifie absolument pas que nous avons complètement délaissé les appareils électroniques. Voici la petite histoire derrière notre décision d’implanter une salle d’apprentissage actif à faible technologie (low-tech).
Imaginer notre classe d’apprentissage actif
Même si notre classe d’apprentissage actif (CLAAC) a officiellement ouvert ses portes à la session d’hiver 2017, son histoire débute 5 ans plus tôt. J’avais pris part à une visite de plusieurs CLAAC à l’Université McGill, au Collège Dawson et au Cégep Champlain (campus de Saint-Lambert). Cette visite, organisée par La société pour l’avancement de la pédagogie dans l’enseignement supérieur, s’est avérée une expérience concrète inestimable, que je recommande sincèrement à tous ceux qui désirent militer en faveur d’une classe active dans leur établissement. J’ai eu la chance d’échanger avec des « gourous » de la CLAAC : Adam Finkelstein, Jim Sparks, Chris Whittaker et Elizabeth Charles. Cette expérience m’a aussi permis de faire quelques observations qui allaient orienter notre projet au Cégep de Sept-Îles :
- L’espace est très important. Les étudiants doivent pouvoir bouger sur leur chaise et se déplacer dans la pièce.
- La température est une autre considération importante. Lorsque les étudiants s’activent, la température peut monter rapidement dans la pièce. Les appareils électroniques dégagent à eux seuls beaucoup de chaleur.
- Il est essentiel de considérer le bruit et l’acoustique. S’il n’y a pas d’éléments dans la pièce pour absorber le bruit, cela peut vite devenir assourdissant lorsque les étudiants se mettent à parler.
- Les grandes tables permettent aux étudiants de se disperser, mais elles nuisent aux conversations, ce qui peut augmenter encore plus le niveau de bruit!
- Les stations de travail peuvent aussi constituer une « barrière physique » à la conversation, puisque les étudiants doivent se parler par-dessus ou entre les écrans d’ordinateur.
Partager une vision
J’ai documenté ma visite avec des photos et des vidéos, que j’ai ensuite partagées à l’administration de mon collège. Comme enseignante militant en faveur d’une classe d’apprentissage actif, le fait de rassembler la documentation pertinente et des références théoriques et pédagogiques pour appuyer ma vision s’est avéré essentiel pour présenter un argumentaire convaincant.
Les administrateurs m’ont parlé de mes idées de « classe d’apprentissage en ligne » ou de « laboratoire informatique ». J’ai dû leur préciser que l’apprentissage actif n’est pas qu’une affaire de technologie; il s’agit avant tout de faire collaborer les étudiants.
Les services techniques et d’approvisionnement du collège avaient leur propre vision quant à l’équipement et au design de la classe. D’un point de vue enseignant, par exemple, les chaises sur roulettes étaient non négociables, même si cela signifiait qu’on pourrait accueillir moins d’étudiants dans la pièce. La solution la plus économique n’est pas forcément la meilleure : imaginez le bruit d’une vingtaine d’étudiants qui se déplacent sur des chaises qui craquent avec des roues qui grincent.
Toutes les décisions par rapport au design doivent s’appuyer, avant toute chose, sur des considérations pédagogiques; pas sur ce qui « peut » ou « ne peut pas » se faire en raison des coûts ou du protocole. Les enseignants doivent demeurer fermes par rapport à leur vision de la classe d’apprentissage actif.
Impliquer des collègues dans le processus de conception de la salle
Après que l’idée d’une classe d’apprentissage actif ait reçu l’appui de l’administration, nous avons préparé un sondage sur SurveyMonkey. Nous voulions savoir quels enseignants utilisaient déjà des techniques d’apprentissage actif – même s’ils ne les désignaient pas nécessairement en ces termes. Environ 80% des répondants utilisaient déjà des approches comme l’apprentissage par projet, les études de cas, la classe inversée ou la rétroaction par les pairs. Je voulais également que d’autres enseignants se joignent au projet, pour que la CLAAC ne soit pas le projet d’une seule femme. Tout le monde a eu la possibilité de s’impliquer. Nous avons formé un groupe de travail, ce qui nous a permis de travailler en tenant compte de points de vue et d’expériences différents. Ce fut très enrichissant. Au total, 6 enseignants ont obtenu une libération pour faire de notre rêve de classe active une réalité. Les réunions subséquentes ont mené à sa conception finale, qui incluait :
- 5 tableaux blancs (3 sur les murs et 2 sur roulettes)
- Des chaises pivotantes sur roulettes
- Des tables étroites en forme de trapèze, avec une extrémité plus large vers les tableaux blancs. Elles ont été construites sur mesure et leurs couleurs représentent des éléments de notre région.
- Un poste de travail à hauteur réglable pour l’enseignant
- Un projecteur et des hauts parleurs comme ceux que l’on trouve dans les autres classes.
La classe d’apprentissage actif du Cégep de Sept-Îles.
Les couleurs de la pièce représentent des éléments de la flore (bleuet, épinette) et de la faune (goéland, petit rorqual) locales. Les couleurs du mur et du plancher illustrés dans ce dessin n’ont pas été retenus dans la conception finale.
Trois éléments sont essentiels pour assurer le succès d’une classe d’apprentissage actif : des tables et des chaises modulables ainsi que des surfaces sur lesquelles on peut écrire.
Faiblement technologique, mais actif?
Comme le montre la liste précédente, nous avons manifestement opté pour une approche à « faible technologie », pour plusieurs raisons :
- C’est moins stressant pour les enseignants et les étudiants, puisqu’il n’y a aucune pression pour utiliser les technologies en tout temps.
- C’est plus accessible d’un point de vue économique.
- N’importe quel dispositif technologique qui fait partie intégrante de la salle est susceptible de devenir obsolète un jour.
- Les tableaux blancs interactifs offrent des fonctionnalités intéressantes, mais des marques ou des modèles différents peuvent entraîner des problèmes de compatibilité. De plus, ils sont rarement utilisés à leur plein potentiel.
Est-ce que cela signifie que nous évitons les technologies au Cégep de Sept-Îles? Bien sûr que non! Nous avons des chariots d’ordinateurs portables et de iPad que les étudiants peuvent utiliser dans la classe d’apprentissage actif, lorsque nécessaire. Par conséquent :
- Les étudiants ne considèrent pas la salle d’apprentissage actif comme un simple laboratoire informatique, mais comme un espace dans lequel ils peuvent collaborer de plusieurs manières.
- La technologie n’est jamais une source de distraction. Elle est utilisée seulement lorsqu’elle permet de rehausser les apprentis sages.
- Il y a une meilleure continuité du travail entre les différents espaces, puisque les étudiants peuvent utiliser les mêmes appareils et plateformes (comme Moodle ou Google Drive) partout ailleurs.
- La salle offre une plus grande flexibilité, puisqu’il n’y a pas de stations de travail fixes ou de câbles qui nuisent au mouvement.
Les étudiants apprennent de manière active, sans utiliser la technologie.
Premières expériences et observations
Une fois que notre classe d’apprentissage actif était prête à accueillir ses premiers groupes d’étudiants, les enseignants concernés ont créé un dossier sur Google Drive pour documenter notre utilisation de la CLAAC. Cela incluait des images, une liste de problèmes et de solutions ainsi qu’un document dans lequel nous avons colligé nos idées et nos bons coups. Voici quelques exemples de notes prises par des enseignants et qui représentent plusieurs disciplines :
Leçon traditionnelle | Leçon par apprentissage actif |
---|---|
« Intrigues » |
J’ai énuméré les événements d’une nouvelle dans l’ordre où ils apparaissaient dans l’histoire. L’intrigue contenait plusieurs retours en arrière et des répétitions. Les étudiants devaient les placer en ordre chronologique. Chaque groupe a utilisé son tableau blanc pour créer un diagramme de l’intrigue de la nouvelle. |
« La synthèse des protéines » |
Chaque équipe recevait une protéine à synthétiser. Les étudiants ont d’abord cherché de l’information en ligne et dans leur manuel de cours. Puis, ils ont discuté des concepts et les ont illustrés sur le tableau blanc. À la fin de l’activité, chaque équipe présentait un sketch pour expliquer la synthèse de leur protéine aux autres équipes |
« Le système respiratoire » Questionnaire individuel. |
Les étudiants devaient procéder à de mini études de cas (1 par table). Chaque équipe avait un marqueur d’une couleur différente pour écrire leur interprétation sur le tableau blanc. Après 10 minutes, ils changeaient de table et essayaient de résoudre la prochaine étude de cas. Ils pouvaient ajouter ou modifier l’information déjà inscrite sur le tableau. Lorsque toutes les équipes ont terminé, nous avons fait un débreffage en classe. |
Les diagrammes de l’intrigue d’une nouvelle produits lors de l’activité « Lignes d’intrigue » décrite précédemment montrent comment différentes équipes ont utilisé leur tableau blanc de manière créative pour exécuter la tâche demandée.
Pour chaque cours enseigné dans la CLAAC, les enseignants disposaient d’une période supplémentaire dans la salle pour explorer et planifier leurs activités. C’était important pour surmonter 2 préoccupations majeures que partageaient plusieurs collègues :
- La perte de contrôle (gestion de classe)
- La perte de temps (efficacité)
L’apprentissage dans CLAAC donne certainement l’impression d’être « désordonné », mais il est plus profond et plus efficace. Les activités semblent plus chaotiques et moins productives, mais mes étudiants ont l’impression de tirer beaucoup plus avantage de leur expérience d’apprentissage. Dès qu’ils entrent dans la pièce, ils se mettent à parler. C’est rafraîchissant de les voir ainsi, plutôt que rivés à leur téléphone intelligent en attendant que le cours commence!
Les activités d’apprentissage peuvent avoir l’air moins ordonnées, mais les étudiants sont plus concentrés et apprennent de manière plus efficace.
Dans cette vidéo, des enseignantes qui faisaient partie du groupe de travail de la CLAAC témoignent de leur expérience et de leur perception de l’apprentissage actif.
Témoignage d’enseignantes au sujet de l’apprentissage actif au Cégep de Sept-Îles.
Astuces pour avoir votre propre classe d’apprentissage actif
Cela a pris des efforts considérables, mais je suis fière de dire que la classe d’apprentissage actif du Cégep de Sept-Îles est une véritable réussite! Si vous êtes intéressés par la mise en place d’une CLAAC dans votre établissement, les étapes suivantes s’avèrent cruciales :
- Créez un groupe de travail et impliquez autant les enseignants que l’administration dans le projet.
- Identifiez quels sont vos besoins spécifiques et faites des recherches.
- N’essayez pas de réinventer la roue – regardez ce qui se fait ailleurs et allez visiter en personne, si possible.
- Gardez toujours la pédagogie comme objectif principal; considérez seulement la technologie comme un outil de soutien.
- Obtenez une libération pour planifier et instaurer la CLAAC.
Lorsque vous planifierez vos premiers cours dans la classe d’apprentissage actif, choisissez soigneusement vos activités, mais laissez toujours place à la créativité et à la flexibilité. Plutôt que de vous demander « que vais-je dire à mes étudiants? », songez plutôt à ce que vos étudiants pourraient faire pour atteindre les objectifs d’apprentissage. Gardez les choses simples. Placez l’interactivité, et non la technologie, au coeur de votre démarche.
Merci, Sharon, pour ce récit qui démystifie en quelque sorte la complexité technologique souvent perçue lors de la mise en place d’une CLAAC. Une bonne préparation, la complicité des enseignants et du collège mais, surtout, une conception tout d’abord pédagogique de l’activité sont des atouts de choix. Bravo Sharon, d’autant plus que de plus en plus de recherches mettent en lumière l’impact positif des activités apprentissage actif sur la réussite.
Merci pour le partage de cette expérience.
Il y a une petite erreur de photos, deux photos identiques ayant deux légendes différentes. J’aimerais bien voir la première photo (les équipes qui collaborent sur un même projet à tour de rôle).
Beau projet inspirant!
Olivier Lalonde
Bonjour M. Lalonde, merci de nous avoir signalé l’erreur. Il y a effectivement eu un doublon lors de la mise en ligne. Cela été corrigé. Bonne journée!
Bien intéressant cet article. Je ne sais pas si les gens de la CLAAC du Collège Ahuntsic seront d’accord avec moi, mais en lisant cet article je me dis qu’il faut maintenant insister sur la distinction à faire entre classe du 21e siècle et classe d’apprentissage actif.
Bonjour Marilyn,
la « Classe du 21ième siècle », c’est le nom de mes articles sur le sujet qui ont un peu lancé l’idée des classes d’apprentissage actif dans les cégeps francophones (disons que je prêchais pas mal dans la désert à l’époque car y’avait pas mal de résistence).
Les articles sont ici: https://eductive.ca//la-salle-de-classe-du-21e-siecle
http://clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=2177
La vraie appellation est classe d’apprentissage actif (active learning classroom en anglais).
Cordialement,
Raymond