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13 novembre 2017

Les environnements numériques d’apprentissage (ENA) au Québec : l’air du temps

Ce texte a initialement été publié par la Vitrine technologie-éducation sous licence CC BY-NC-SA 3.0, avant la création d’Éductive.

L’ENA idéal, le Graal !

   Une série d’entretiens avec des experts et responsables pédagogiques a permis d’imaginer l’ENA idéal. Outre le prérequis d’une présentation ergonomique et standardisée des activités et ressources, il en ressort que le parfait ENA devrait être :

  • Simple à utiliser
  • Maîtrisé en 15 minutes maximum
  • Producteur et consommateur de services au format IMS-LTI
  • Adaptatif (prise en compte de l’analyse de l’apprentissage, création d’un espace personnel pour soutenir la pratique réflexive…)
  • Interactif (commentaires dans un fil agrégateur, mises à jour en temps réel, création d’un flux d’annotations…)
  • Mobile grâce à des applications natives consultées depuis son navigateur Web
  • Capable de stocker et d’exploiter des données massives
  • Capable de soutenir des périodes de pointe

Plus globalement, l’ENA idéal devrait ressembler à un outil de gestion de projet en aidant à structurer et organiser des ressources, des compétences, des activités et des modes d’évaluation.  En agissant comme un système expert, l’ENA aiderait à concevoir des séquences d’apprentissage et proposerait des outils adaptés aux compétences et objectifs visés.

Le point de vue des analystes et prévisionnistes est clair. Et sur le terrain, le temps l’est-il autant ? Où en est-on avec les ENA au Québec

Situation actuelle : le temps est bon le ciel est beau ?

Aucune des universités interrogées n’envisage de changer de plate-forme d’ici 5 ans. La grande majorité déclare utiliser Moodle, adopté en partie à cause de l’augmentation des coûts de WebCT lors de son rachat par Blackboard en 2005. Logiciel libre, Moodle permet aux institutions d’économiser les frais de licence, de personnaliser l’expérience de leurs utilisateurs et de faire partie d’une communauté internationale francophone dynamique.

Les quelques institutions qui préfèrent Brightspace mettent en avant les facilités d’interopérabilité, d’analyse de l’apprentissage et de la gestion de la mobilité ainsi qu’un service client particulièrement réactif.

HEC Montréal, l’Université Laval et l’UQTR sont elles aussi satisfaites avec leurs choix respectifs : Sakai pour la première, et logiciels maison pour les autres (avec un module Moodle pour la gestion des forums à l’UQTR).

Dans tous les cas, la gestion est officiellement confiée aux services informatiques, entre autres afin de maîtriser les risques liés à une interruption accidentelle. Si les mises à jour et la maintenance sont effectuées régulièrement, il n’y pas d’effort particulier consacré à l’amélioration fonctionnelle. Ce n’est pas vraiment un problème chez les aficionados de Moodle puisque le système est prévu « clé en main » donc il y existe peu d’alternatives de personnalisation.

Les ENA sont largement utilisés par les professeurs à des fins logistiques et administratives, autant pour les cours présentiels, hybrides et la FAD. Ils s’en servent pour le partage de documents, des liens vidéos pour les classes inversées, la remise de travaux, les quizz des évaluations et le carnet de notes. En revanche, ils ne l’exploitent pas beaucoup pour enrichir leur enseignement et le résultat de leurs initiatives personnelles apparait rarement sur ce support. D’une part, ils reçoivent peu de formation pour le faire et d’autre part, on mesure encore trop leur excellence en se basant sur leurs recherches et non leurs innovations pédagogiques.

Les services pédagogiques et technopédagogiques ne sont plus vraiment concernés par la gestion et le développement des ENA dont les systèmes sont plutôt rigides et ne favorisent pas l’innovation. Ils préfèrent se consacrer à la formation continue des professeurs, aux outils d’aide à la conception de cours ou à la refonte des espaces d’enseignement physiques ou virtuels pour mieux répondre aux stratégies d’apprentissage actif, de cours hybrides et de mobilité des étudiants.

L’impact des nouvelles tendances sur les ENA : avis de tempête ?

Alors que les ENA sont de gros chats assis sur leurs lauriers et ronronnant au soleil, déjà gronde l’orage des nouvelles compétences et des nouvelles technologies auxquelles les étudiants demandent des réponses rapides.  Nouvelles stratégies donc. Et nécessité de s’adapter sans délai. Plus tournés vers l’institution que vers les enseignants, les ENA vont-ils être remplacés ? Sauront-ils s’adapter à l’air du temps ?

D’abord LE vent dominant de ces dernières années : la mobilité des étudiants. Si tous les ENA sont adaptatifs (c’est-à-dire que l’affichage s’ajuste au support), il y a peu d’options possibles pour une  interaction de qualité avec les téléphones intelligents. Chez les utilisateurs de Moodle, on constate de toute façon que la plupart des étudiants accèdent à l’ENA par leur ordinateur et que l’application mobile est peu utilisée (pour l’instant !). En revanche, les utilisateurs de Brightspace suivent les prévisions car les options de mobilité ont été un critère prépondérant dans le choix de leur ENA. Pour l’heure, et ce n’est pas si mal, l’application mobile, permet de recevoir notes, annonces, modifications de calendriers et notifications en temps réel.

Ensuite l’infonuagique, dont on ne sait pas très bien s’il est l’œil du cyclone ou une ventilation de poussières résiduelles. Pour les ENA, est-ce un sujet ? Oui pour des utilisateurs de Brightspace, non pour les autres qui ne voient pas l’intérêt d’externaliser leur système en infonuagique et privilégient le contrôle des mises à niveau et de la personnalisation, quitte à s’inspirer des améliorations de la communauté internationale utilisant la même plate-forme. 

Interopérabilité : microclimat sur Canvas qui tend à se déplacer vers Brightspace à McGill

Il est étonnant de constater que si tout le monde s’accorde à trouver ce défi majeur (le critère de compatibilité IMS-LTI est apparu dans l’appel d’offre de l’Université d’Ottawa), personne ne se mobilise concrètement pour intégrer des applications pédagogiques à son ENA de  manière pérenne, économique et évolutive. Presque toutes les universités ont cité en exemple Instructure avec Canvas alors que Sakai et Moodle sont elles aussi des plates-formes compatibles avec  la norme IMS-LTI et pourraient ne pas se limiter aux fonctions transversales. La plupart du temps, tant pis pour la dépendance, on laisse aux fournisseurs le soin (la charge ?) d’intégrer eux-mêmes leur logiciel à l’ENA. Cependant, il semblerait que l’intérêt va grandissant du côté de l’Université McGill qui est en train de faciliter la conversion des formats de données et de sécuriser l’intégration d’applications externes vers Brightspace.

Visibilité réduite pour l’analyse de l’apprentissage. Après le brouillard… la brume

Rappelons que cette approche consiste à exploiter des données d’apprentissage d’étudiants issues de systèmes numériques (ici, des ENA). Elle aiderait à un suivi ultra personnalisé et à l’amélioration des matériels et stratégies pédagogiques. L’analyse de l’apprentissage en est à ses débuts. Rien n’est encore très avancé (comme c’est le cas aussi de l’enseignement adaptatif, pratique qui propose un parcours sur mesure en fonction des interactions de l’étudiant avec l’ENA). Etudiants et équipes pédagogiques y réfléchissent, se rencontrent et tentent d’y voir plus clair. En effet, se pose l’épineuse question de l’exploitation des données personnelles et du respect de la vie privée. Actuellement, leur exploitation ne se fait pas au niveau d’une identification des lacunes des étudiants. Elle concerne surtout le suivi de leur présence sur l’ENA pour améliorer le contenu et la forme des cours.

Une mention particulière à la Cité Collégiale qui tend à disperser la brume et a développé Savoir avec le soutien de D2L. Ce logiciel permet de combiner des données factuelles du professeur sur l’engagement de ses étudiants avec des données d’interactions avec l’ENA et conduit à un suivi personnalisé. L’impact semble positif sur la rétention scolaire et le taux d’obtention de diplôme.

Les MOOC comme paratonnerres, les badges numériques comme capteurs, les REL comme des bordées de printemps

Les MOOC avec leurs milliers d’apprenants et autant de données massives donnent une impulsion réelle à l’analyse de l’apprentissage. Ils vont permettre de réaliser des analyses statistiques poussées, notamment grâce au forage de données éducatives. Cependant, pour les institutions interrogées, les MOOC viennent surtout soutenir une stratégie marketing comme produit d’appel et visent à attirer des étudiants potentiels. Les badges numériques sont parfois émis pour valider les acquis et encourager l’investissement personnel des étudiants mais ce n’est pas systématique. Des efforts de mutualisation sont en cours pour réutiliser les ressources produites pendant les MOOC et autres ressources éducatives libres (REL) mais ils sont frileux et on ne peut pas parler de vraie mobilisation. Le temps à consacrer au respect des normes, la rétention d’information et les problématiques de droits d’auteurs sont les principales entraves.

Institutions, professeurs, fournisseurs, experts en technopédagogies… tous les acteurs réfléchissent à une bonne utilisation des ENA en fonction des prévisions de tendances. Attention cependant à ne pas se regarder le nombril trop longtemps. Les nouveaux courants (de pensée ou technologiques) n’en sont déjà plus vraiment quand on descend de son petit nuage intellectuel et qu’on réalise qu’ils sont chauds. Attention au facteur vent ! Les vagues de tendances sont aussi nombreuses que ceux qui sont capables de les surfer… d’autant plus que le marché est lucratif. Action !

Retrouvez d’autres informations concernant les ENA actuels des universités québécoises dans l’étape 2 du Laboratoire ‘Les environnements numériques d’apprentissage : état des lieux’.

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Jean-Pierre Bell
Jean-Pierre Bell
28 mai 2014 18h05

Félicitations. Cela me donne des idées pour soutenir les étudiants ayant un trouble d’apprentissage

Ena Bosso
Ena Bosso
21 mars 2017 16h19

Très bonne méthode pour encourager les étudiants à s’intéresser à la littérature à l’ère du numérique