À la fin d’une séance de cours, on peut demander aux personnes étudiantes comment elles ont trouvé le cours. Quelles étaient les forces et les faiblesses du cours? Comment était le rythme du cours? Qu’est-ce qui devrait être fait différemment à l’avenir? Surtout, il faut tenir compte des commentaires recueillis! Il faut faire les efforts nécessaires pour adapter nos méthodes pédagogiques en fonction des rétroactions des élèves.
J’ai expliqué à Annie que je demandais rarement de telles rétroactions à la volée en fin de cours ces temps-ci, car je n’avais pas grand succès quand je le faisais. Une personne hoche la tête, une autre lève le pouce, une autre dit que tout va bien, mais la majorité ne parle pas. Annie me dit que c’est normal; faire une rétroaction, c’est gênant pour les élèves… mais, il ne faut pas arrêter de demander!
La rétroaction peut mettre les élèves dans une position inconfortable, en entrant en confrontation avec l’idée profondément ancrée d’une hiérarchie entre le corps enseignant et le corps étudiant. Cette relation verticale historique inhibe souvent la capacité des élèves à exprimer une critique constructive.
—Annie Lapierre
Les élèves n’ont généralement pas l’habitude que leurs commentaires soient réellement valorisés. Il faut leur faire comprendre qu’ils et elles ont le droit de parler, qu’ils et elles ne sont plus obligés de se taire. Un questionnaire anonyme sur Forms (ou une autre plateforme) peut aussi être utile pour recueillir les propos de tout le monde, y compris les plus timides.
Il faut prendre le temps. On est tellement concentrés sur les objectifs d’apprentissage et les compétences à atteindre qu’on oublie parfois qu’on a des humains devant nous.
—Annie Lapierre
Évidemment, s’adapter en temps réel (ou presque) aux rétroactions des élèves demande de l’agilité. Annie me dit qu’elle n’a pas peur d’oser. Elle l’énonce d’emblée à ses élèves: «Vous êtes mes cobayes. Je vais tester des choses; vous me direz ce que vous en pensez.» Personne n’est offensé, bien au contraire! Et ses élèves préfèrent cela à des exposés magistraux de 3h…
Mais, réalistement, on peut adopter la stratégie des petits pas pour se bâtir une banque de matériel et d’activités pédagogiques au fil du temps. Ainsi, on ne s’impose pas de réinventer la roue chaque session. (Il s’agit ici de présenter nos choix avec transparence à nos élèves.) Cela fait écho à la conception universelle des apprentissages et la pédagogie inclusive: on finit par être en mesure d’offrir aux apprenants et aux apprenantes une variété d’outils pédagogiques adaptés à leur réalité. L’avantage de l’humilité est de nous permettre de prendre connaissance des besoins réels individuels des étudiants et étudiantes qui sont dans nos groupes une session donnée. On peut ainsi orienter nos efforts de développement de matériel ou de création d’activités pédagogiques. (De plus, Annie m’a rappelé que les enseignants et enseignantes ne devaient pas hésiter à demander de l’aide à leurs conseillers et conseillères pédagogiques et technopédagogiques. Une autre façon d’être humble!)
Faire sentir sa présence
Selon Annie, répondre rapidement aux élèves qui nous écrivent des questions, que ce soit par MIO ou sur Teams, permet de diminuer leur anxiété relative aux évaluations. Cela contribue aussi à tisser la relation entre les élèves et nous. Cela est d’autant plus vrai en formation à distance, un contexte qu’Annie connait bien. Quand des messages envoyés comme des bouteilles à la mer sont la seule façon de joindre un enseignant ou une enseignante, recevoir une réponse rapide est sans contredit très important pour bâtir la confiance. Après tout, même à distance, il faut faire sentir notre présence.
Autant en présence qu’à distance, Annie encourage tous les enseignants et toutes les enseignantes à être disponibles (physiquement ou virtuellement) entre les cours. Elle suggère aussi de créer un canal dédié à l’entraide sur Teams (si c’est la plateforme que vous utilisez), afin que les élèves puissent poser leurs questions et répondre à celles des autres. Ils et elles sentent ainsi que leurs questions et interventions sont les bienvenues! Cela allégera un peu votre tâche tout en contribuant à créer une communauté à l’intérieur du groupe-classe.
Annie me donnait l’exemple d’un collègue qui enregistrait chaque semaine, pour son cours à distance, une vidéo de 30 secondes contenant «la blague de la semaine». Il racontait simplement une blague en lien avec les notions à voir cette semaine-là. Cela m’a fait penser à mon entretien avec Saul Bogatti au sujet de l’humour en enseignement collégial. Pour Annie, ce sont de petites actions du type de la «blague de la semaine» qui peuvent faire en sorte qu’un étudiant ou une étudiante aura envie d’aller ouvrir ses courriels cette semaine-là. On peut faire la même chose en présence: commencer son cours par une blague peut motiver nos élèves à se présenter et à nous reparler de la blague ensuite, etc.
Faire preuve d’empathie
L’humilité pédagogique est très liée à la pédagogie de l’empathie. Annie recommande de prendre le temps de discuter avec les élèves individuellement, de connaître leur parcours et leur quotidien. Il faut aussi nous présenter nous-mêmes aux élèves de façon authentique, pour pouvoir être en relation réelle avec elles et eux.
Prendre le temps de leur demander comment ils et elles vont, de façon sincère, peut faire une énorme différence. Comprendre les circonstances personnelles des élèves est essentiel pour adapter nos méthodes pédagogiques et répondre aux besoins individuels (qu’ils soient émotionnels, économiques, sociaux ou scolaires).
Une relation empathique entre personne enseignante et personnes apprenantes a de nombreux effets positifs. Annie a été témoin du travail d’une enseignante dont l’approche pédagogique basée sur l’humilité a donné des résultats remarquables: le taux d’absentéisme était exceptionnellement bas et, fait notable en contexte d’enseignement à distance, les élèves gardaient spontanément leurs caméras allumées. Cette expérience a confirmé à Annie que l’adoption d’une posture humble et à l’écoute par la personne enseignante crée un climat de confiance qui favorise l’engagement des élèves. Les résultats parlent d’eux-mêmes.
Respecter la culture des élèves
Dans un contexte interculturel comme celui dans lequel Annie enseigne, l’humilité passe aussi beaucoup par le respect de la culture des étudiantes et des étudiants.
Le concept d’humilité culturelle a été développé en 1998 par Tervalon et Murray-Garcia [PDF, en anglais]. Faire preuve d’humilité culturelle, c’est prendre le temps de bien comprendre les expériences de vie (et scolaires) que vivent les élèves et leurs familles lorsqu’ils et elles ne font pas partie de la culture majoritaire. Concrètement, ça peut être d’intégrer des études de cas, des exemples et des théories provenant des diverses cultures des élèves de la classe. Il ne faut pas imposer sa propre culture, mais être à l’écoute de la richesse de l’autre.
Quand Annie enseigne le développement humain, par exemple, elle ne présente pas que des théories développées par des hommes blancs; elle parle aussi des concepts issus des cultures des Premières Nations (ou toutes autres théories, en fonction des nations présentes dans la classe). Elle demande à ses élèves comment telle ou telle chose se dit dans leur langue, dans laquelle plusieurs concepts sont désignés par des périphrases. Connaître le sens exact des mots permet de mieux comprendre les perspectives des élèves, et ainsi être plus en mesure de les aider à apprendre.
Avouer qu’on ne sait pas tout
Une approche humble implique que nous admettions ouvertement ne pas tout savoir. C’est l’humilité intellectuelle. Si vous montrez que vous ne savez pas tout, ce sera plus facile pour vos élèves d’oser poser des questions.
Après tout, l’intellect et l’ego sont distincts!
Montrez à vos élèves que vous êtes ouvert ou ouverte à réévaluer vos points de vue et que vous respectez les points de vue des autres. Intégrez le vécu des élèves dans votre enseignement.
Dans la pratique, cela peut passer par l’adoption d’une posture de personne facilitatrice plutôt qu’une posture de personne formatrice.
Dans ses classes, Annie essaie de déconstruire le schéma classique voulant que l’enseignante ou l’enseignant soit «supérieur» à ses élèves. Au lieu d’une relation hiérarchique, elle veut être dans une situation d’apprentissage mutuel. L’enseignant ou l’enseignante n’a plus le monopole de la connaissance. Ultimement, les élèves ressentent de la bienveillance plutôt que de la pression.
À cet égard, le codéveloppement est une approche très intéressante. Annie l’a utilisé récemment avec de très bons résultats pour une activité qu’elle a réalisée avec des enseignants et des enseignantes.
J’ai demandé à Annie si l’humilité intellectuelle était susceptible de limiter la confiance des élèves envers les compétences de l’enseignant ou de l’enseignante. Elle m’assure que non. Après tout, l’humilité intellectuelle ne nous rend pas soudainement moins compétent ou moins compétente, il s’agit simplement d’arrêter d’avoir peur de dire «je ne sais pas». Plutôt que d’éviter les questions difficiles, on peut faire des recherches avec les élèves pour trouver les réponses. Cela permet de créer un espace sûr (safe space).
Un collègue d’Annie lui a dit un jour: «Tu sais, Annie, si tu sors du cours plus fatiguée que tes élèves, il y a un problème.» L’enseignant ou l’enseignante doit préparer le cours en amont, mais, pendant le cours, ce sont les élèves qui doivent travailler.
Pour en savoir plus
Annie a écrit un chapitre sur l’humilité pédagogique en formation à distance dans le livre Enseignement à distance au collégial. Expertises et pratiques (sous la direction de France Lafleur et Ghislain Samson, aux Presses de l’Université du Québec, en 2024). Elle a également animé un atelier sur l’humilité pédagogique au colloque 2024 de l’AQPC.
Quelle belle rencontre inspirante ! Plusieurs concepts intéressants, qui font réfléchir.
Faire preuve d’humilité intellectuelle et chercher ensemble la réponse à une question de nos personnes étudiantes est une manière très concrète de leur montrer qu’on apprend toute notre vie. 🙂