L’impression 3D pour des expériences de physique exploitant les téléphones intelligents
Je ne suis pas particulièrement doué pour construire des choses. Ça explique, je suppose, pourquoi je suis devenu physicien plutôt qu’ingénieur. Profweb a déjà publié un article sur les expériences que je fais faire à mes étudiants avec les accéléromètres de leurs téléphones intelligents. En cette ère numérique, c’est une façon d’apprendre des concepts de physique à travers des exemples tirés de « la vie quotidienne ». Avec l’aide d’étudiants, mes collègues et moi avons conçu et imprimé en 3D l’équipement nécessaire pour rendre ces expériences plus accessibles à notre réseau grandissant d’enseignants hors de notre collège.
Les 2 expériences en bref
En 2016-2017 et en 2017-2018, mes collègues et moi avons eu le plaisir de recevoir le soutien financier de l’Entente Canada-Québec pour développer des laboratoires exploitant les accéléromètres que l’on trouve dans les téléphones intelligents. Les accéléromètres sont de petits senseurs qui fournissent de l’information sur le mouvement d’appareils numériques variés : bracelets d’entraînement, tablettes, téléphones…
Le premier laboratoire est une activité au sujet des plans inclinés, actualisée pour « l’ère numérique ». Les étudiants analysent les composantes de la gravité à l’« angle critique du téléphone », l’angle auquel l’affichage du téléphone bascule du mode paysage au mode portrait. Pour ce laboratoire, nous avons développé un appareil imprimé en 3D que nous avons appelé « TiltTray » (plateau penchant).
Dans le deuxième laboratoire, les étudiants mettent leur téléphone en mouvement circulaire en le plaçant sur une table tournante. L’accéléromètre leur permet de mesurer les composantes de l’accélération centripète du téléphone. Nous avons créé un second appareil appelé « SpinFrame » (cadre tournant) qui permet au téléphone de tourner sécuritairement dans diverses positions.
Un prototype de SpinFrame reposant sur un tourne-disque. Il a été conçu pour qu’on puisse y déposer une feuille de 8½×11. Déposez votre téléphone dans l’un des coins du cadre, et faites-le tourner! (Courtoisie : Chris Isaac Larnder).
Du prototypage à la fabrication 3D
Je me souviendrai toujours de la phase initiale de développement de mon laboratoire comme d’une période de joyeuse créativité, sur fond d’exploration technologique. « Joyeuse » jusqu’à ce que je réalise que les nouvelles expériences que je créais pour les étudiants ne produiraient pas de résultats très satisfaisants sans équipement spécialisé pour les soutenir! J’ai tenté de remédier à ma panique en fouillant dans les armoires de notre département de physique, mais ce dont j’avais besoin ne m’attendait pas sur une étagère. Je devrais fabriquer l’équipement moi-même.
Comme plusieurs physiciens, je peux concevoir toutes sortes de mécanismes grandioses, mais, quand vient le temps de choisir les matériaux et les outils, je tombe au désespoir. Il y a un écart significatif entre la clarté de ma vision intérieure et le flou du processus nécessaire à la matérialisation de cette vision dans le monde réel.
Mes appréhensions ont rapidement empiré. Qu’arriverait-il si mes collègues aimaient mes nouvelles activités? Et une seule pièce d’équipement dans un local de laboratoire plein d’étudiants ne mènerait certainement à rien de bon : je devrais construire la maudite chose en plusieurs copies. C’est dans ce sombre état d’esprit que j’ai entendu pour la première fois le chant des anges geek me guidant vers le paradis qu’on appelle « impression 3D ».
Pour fabriquer le TiltTray et le SpinFrame, j’ai trouvé un programme de conception 3D « pour les nuls »: Tinkercad. Mais je l’ai abandonné après 6 semaines, parce qu’il ne me permettait pas d’obtenir la grande précision dont j’avais besoin. J’aurais besoin d’aide extérieure, finalement!
Mon premier essai d’impression 3D pour le TiltTray (à gauche) et l’actuel ensemble complet d’appareils TiltTray (à droite) (Courtoisie : Chris Isaac Larnder).
Impliquer les étudiants
Ma prochaine étape a été de visiter le département des techniques d’ingénierie ici au Collège John Abbott. J’ai invité leurs meilleurs étudiants à m’aider à produire mes conceptions dans SolidWorks, un logiciel reconnu de modélisation 3D.
En retour, je leur ai offert d’ajouter une ligne dans leur CV : « Consultant en design 3D, Département de physique du Collège John Abbott ». C’était gagnant-gagnant! Je regardais par-dessus leurs épaules pendant qu’ils travaillaient, et je posais plein de questions. J’ai éventuellement appris à contribuer aux ajustements de design moi-même, aux côtés de l’équipe d’étudiants.
Nous avons passé à travers plusieurs itérations de conception, et avons utilisé différents modèles d’imprimantes 3D de MakerBot et de Lulzbot pour tester les résultats. Il y a plusieurs défis dans la création d’un bon design, et il y en a encore davantage dans l’impression elle-même et dans l’assemblage des pièces ‒ des histoires qui dépassent le cadre de cet article.
Possibilités de collaboration
Je pense que le plus grand pouvoir de l’impression 3D réside dans son potentiel ‒ pratiquement inexploité ‒ en tant qu’outil pour améliorer la collaboration dans une communauté. Jusqu’à présent, nous faisons des efforts pour partager nos nouvelles activités de laboratoire avec d’autres collèges en offrant un accès en ligne à tous nos documents pédagogiques. Maintenant, nous pouvons également partager les composants clés du matériel de manière similaire, simplement en partageant les fichiers de conception 3D! C’est un nouveau paradigme pour le partage sur le web. Ça fait tomber les barrières qui se dressent sur le chemin de l’adoption et de l’expérimentation, permettant ainsi à tous les établissements d’enseignement, y compris les petits collèges situés dans des régions éloignées, d’accéder à de l’équipement de pointe.
Maggie Livingstone, par exemple, a présenté nos activités de laboratoire à son département de physique, au Collège Marianopolis, et a adapté le matériel au style de son département. Elle a dirigé des projets pilotes à l’automne 2018 et, maintenant, à l’hiver 2019, l’ensemble du département fait un essai. Andrew Stuart entame un processus similaire au Collège Dawson.
Pendant ce temps, ici au Collège John Abbott, Étienne Portelance évalue de nouveaux laboratoires d’accélérométrie qui font appel à la technologie Bluetooth et à des sujets comme le mouvement harmonique simple. Notre équipe compte également sur les conseils techniques d’Evgeni Kiriy. Evgeni Kiriy provient de notre département des techniques d’ingénierie, là d’où venaient aussi nos étudiants-modélisateurs 3D (F. Prévost, J. Fullum, N. Proulx et D. Boutet) et là où se trouve un parc d’imprimantes 3D entretenues de main de maître par le technicien de laboratoire Nick Sanza.
Pour conclure
L’innovation dans le secteur de l’éducation présente un double défi : l’accessibilité et la longévité. Si une nouvelle approche nécessite trop de ressources pour être mise en œuvre, elle est inaccessible et ne sera pas adoptée très largement. Et si elle ne peut pas évoluer avec sa communauté d’utilisateurs, elle finira par disparaître : c’est la sélection naturelle. L’innovation pédagogique en jeu ici est bien entendu notre ensemble d’expériences de physique basées sur des téléphones intelligents, et nous pensons que l’action la plus prometteuse face à ce double défi est l’impression 3D. L’Entente Canada-Québec a reconnu l’importance de ces défis en soutenant à la fois l’innovation elle-même (en 2016-2017 et en 2017-2018) et son mécanisme de sauvegarde (à partir de 2018-2019).
Nous pensons que l’impression 3D peut permettre autant aux enseignants qu’aux étudiants de prendre le contrôle et de créer les objets qui seront les plus utiles pour leur apprentissage. Nous prévoyons publier les plans du TiltTray et du SpinFrame sous une licence ouverte, en encourageant les autres à imprimer leur propre équipement, à le modifier et à l’améliorer, puis à partager leurs contributions comme nous. Nous espérons que cela mènera à une saine culture de collaboration et d’innovation dont nous pourrons tous profiter.