J’enseigne les Humanities au Collège LaSalle. Ce sont des cours dont la mission est semblable à celle des cours de philosophie des collèges francophones. En Humanities, les étudiants sont introduits à la pensée critique par l’étude des types d’intelligence (émotionnelle, affective, rationnelle), la linguistique, la psychologie ainsi que l’étude des médias et de la culture.
Depuis 3 ans, un des principaux outils de ma pratique enseignante pour le cours Humanities 101 (Knowledge) est un jeu vidéo grand public intitulé Portal (disponible en français et en anglais). Paradoxal? Risqué? C’est l’opinion de certains de mes collègues. Ceci dit, des recherches préliminaires – entrevues, tables rondes et questionnaires – démontrent que les étudiants trouvent l’intégration du jeu en classe stimulante et que leur motivation est à la hausse.
Le jeu Portal se prête très bien au contenu du cours Knowledge et à la réflexion qui est opérée dans ce cours. Au-delà de cela, l’intégration de Portal était pour moi une façon de stimuler la motivation et la participation étudiante tout en donnant de la chair aux concepts plus abstraits à l’étude. Étant moi-même adepte des jeux vidéos, j’ai décidé de tenter l’expérience dans ce cours. Le jeu est intrigant, ludique et accrocheur. Les étudiants, garçons et filles, adorent ça et sont maintenant dans un mode d’apprentissage plus actif.
Portal
Portal en est maintenant à sa 2e édition. Développé par Valve, le jeu est disponible sur ordinateur et sur console. J’utilise le premier volet du jeu, celui sorti en 2007. C’est très accessible pour les étudiants, on peut le trouver pour 10$.
Annonce du jeu mettant en scène la vue subjective, l’environnement et certaines énigmes à résoudre
L’intrigue du jeu se prête très bien à l’enseignement des Humanities. On contrôle en vue subjective un personnage féminin qui se réveille dans un laboratoire visiblement abandonné. Aucune information n’est donnée, si ce n’est que par un ordinateur qui invite le joueur – avec assurance et réconfort – à se contenter de trouver du gâteau pour se nourrir. Cet ordinateur tentera constamment de « noyer le poisson » devant les indices toujours plus suspicieux sur la raison de la présence du personnage dans ce laboratoire. Tout au long de l’aventure, le joueur est invité à remettre en question tout ce qu’il voit et à penser par lui-même afin de trouver la sortie du laboratoire. Le parcours est truffé d’embûches, d’énigmes et de jeux de logique à résoudre au moyen d’un téléporteur – d’où le nom du jeu.
L’allégorie de la caverne à l’ère du jeu vidéo
Portal fait son apparition dans le cours vers la 3e semaine de la session. Les étudiants jouent à ce jeu avec en tête la recherche des valeurs à l’œuvre derrière l’intrigue du jeu, la différence entre un savoir et une croyance, ce qu’est une opinion, comment décoder ce qui a lieu dans le laboratoire, etc. La ligne directrice de ces réflexions est l’allégorie de la caverne de Platon, un texte auquel les étudiants sont introduits dans les premières semaines du semestre. Le jeu leur permet de s’approprier ce texte, d’y réfléchir et de l’appliquer comme outil d’analyse.
En bref, Portal me permet de circonscrire et mettre de l’avant les objectifs ministériels du cours Humanities 101 (Knowledge) : appliquer un processus logique ou analytique à la façon dont le savoir est organisé et utilisé.
Le jeu me permet d’introduire en classe un objet concret que les étudiants peuvent manipuler et dont ils peuvent faire l’expérience (du fait que c’est un jeu d’aventure), un objet auquel je peux rattacher plusieurs concepts appris dans nos lectures.
Cependant, si le jeu me sert d’outil pour enseigner, l’objectif du cours n’en dépend pas. Les étudiants peuvent produire leurs travaux de sessions sur tout autre sujet vu en classe. C’est une nuance importante : le cours ne porte pas sur le jeu vidéo, j’utilise le jeu dans le cadre d’une pédagogie qui interpelle les étudiants à merveille.
Un défi pour l’enseignant?
Si, pour quelque raison que ce soit, un étudiant ne peut pas y jouer à la maison, je lui permets de le faire à mon bureau pendant mes heures de disponibilité. Je garde toujours deux ordinateurs portables à cet effet.
Par ailleurs, il y a aussi le problème des contrôles… Le jeu est attrayant, mais certains pourraient trouver la mécanique difficile. Dans ce cas, je propose des films à l’étudiant au lieu du jeu. L’intégration du jeu en classe reste assez simple. Il ne faut pas oublier que, pour plusieurs étudiants, ce type de jeu est une réalité quotidienne!
Et l’expérience étudiante dans tout ça? Depuis que j’utilise Portal, je demande à mes étudiants en début de session s’ils sont inquiets quant au jeu et, en fin de session, s’ils ont aimé l’expérience et s’ils la recommanderaient à d’autres étudiants. En début de session, les filles sont un peu plus inquiètes que les garçons. Si elles sont en grande majorité satisfaites (89 % des répondantes), elles seraient aussi une majorité à recommander l’expérience (58 % le recommanderaient sans hésiter, et 42 % le feraient probablement). Du côté des garçons, les commentaires sont tous extrêmement positifs! Tout cela est pour moi très motivant. Je prépare maintenant un projet de recherche qui explorera comment l’intégration de jeux vidéo en classe au collégial peut influencer la motivation étudiante.
Avez-vous pensé intégrer les jeux vidéo à vos cours? Quels ont été les défis rencontrés?