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7 mars 2016

Classe inversée et enseignement explicite en Techniques d’éducation spécialisée

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Comment repenser le design pédagogique d’un cours pour offrir plus de temps de classe dédié à la pratique dirigée? Julien Marceaux et Isabelle Lavoie, enseignants en éducation spécialisée, ainsi que Bruno Lemieux, conseiller pédagogique, nous partagent le fruit de leur démarche pour le cours Processus clinique et observation.

Ils ont retenu une formule pédagogique qui fusionne les principes de la pédagogie inversée et de l’enseignement explicite. Cette réflexion pédagogique s’inspire de la boucle d’intervention, un élément clé du programme et du métier d’éducateur spécialisé. Les étudiants apprécient la nouvelle mouture du cours. L’équipe est fière des résultats!

Observation, analyse, planification, intervention et évaluation

La boucle d’intervention en éducation spécialisée

Julien explique : « C’est en lisant un article de la revue Pédagogie collégiale sur l’enseignement des savoir-faire par la pédagogie inversée que l’idée a fait son chemin. La pédagogie inversée amène l’étudiant à voir une partie de la théorie à la maison afin de libérer du temps pour la pratique en classe. Les enseignants réfléchissaient déjà à des façons de proposer des mises en situation lors des cours. Ils ont eu l’idée d’utiliser cette approche et de la fusionner, par le biais de tutoriels vidéo, à l’enseignement explicite, une méthode permettant de clarifier les étapes d’un raisonnement (souvent implicite) et d’en modeler les procédures. »

Étape 1 modelage, étape 2 pratique dirigée et étape 3 pratique autonome

Les 3 étapes de l’enseignement explicite, Steve Bissonnette

Mise en contexte

La recherche d’une nouvelle approche pédagogique est née des observations de l’équipe d’enseignants confrontée à diverses problématiques vécues dans le cours Processus clinique et observation :

  • Le temps. Bien que le cours s’échelonne sur 5 heures par semaine, il est le résultat de la fusion de 2 cours : Observation des comportements humains et Processus clinique. Le contenu à aborder dans un seul cours est donc plus dense et les stratégies pédagogiques se doivent d’être variées pour favoriser efficacement la motivation et la participation des étudiants.
  • Le devis pédagogique. La fusion des 2 cours a, par le fait même, regroupé 2 compétences :
    • Savoir observer (relever des renseignements relatifs aux comportements de la personne)
    • Élaborer un plan d’intervention

Dans les 2 cas, le développement de ces compétences requiert l’acquisition de savoir-faire et de procédures qui répondent à des critères précis. Dans leur formule précédente, les cours théoriques portant sur la dimension analytique, qui précède le processus d’intervention, grugeaient une bonne partie des heures contact. Il ne fallait pourtant pas négliger le volet intervention et rétroaction ainsi que le temps de pratique nécessaire au développement d’une bonne intervention.

Au fil du temps, nous faisions le constat d’un manque de temps pour enseigner et pratiquer en classe ainsi que pour assurer un suivi plus individualisé des étudiants. Les étudiants eux-mêmes exprimaient manquer de temps de pratique en classe.
Isabelle

Bruno place quelques éléments de contexte :

  • La fusion des 2 cours constitue un défi pédagogique, autant sur le plan des stratégies d’enseignement que les situations d’apprentissage ayant comme objectif le développement de compétences à la fois distinctes et connexes.
  • Les productions des étudiants (observations écrites, plans d’intervention) étant issues d’une analyse individuelle, plusieurs pistes de réponses peuvent être valables. L’équipe enseignante souhaitait que les étudiants se concentrent davantage sur le processus d’analyse et ses critères que sur la recherche de la « bonne et unique réponse », inexistante dans ce contexte.
  • Le développement du volet réflexif et analytique nécessite du temps, de l’accompagnement et beaucoup de pratique, car le jugement critique des étudiants est en construction.
  • La diversification des clientèles exige de revoir certaines pratiques dans le but de les rendre inclusives, notamment en raison d’une hausse constante d’étudiants ayant des difficultés d’apprentissage dans le programme d’éducation spécialisée.

Isabelle précise que « lorsque les procédures étaient enseignées en classe afin de rendre le raisonnement explicite, l’étudiant inattentif ou qui manquait un cours éprouvait beaucoup de difficulté à rattraper la matière. Les notes de cours n’étaient pas conçues pour modéliser les stratégies et les savoir-faire. »

Julien ajoute :

De plus, la majorité des questions des étudiants surgissent alors qu’ils sont en situation d’application. Lorsqu’ils font les exercices, ils sont souvent seuls, à la maison ou ailleurs. Une fois rendus en cours, soit ils ont oublié leurs questions ou ils n’osent pas les formuler. Cela pose un problème pour les soutenir dans leurs apprentissages.

De son côté, l’équipe programme souhaitait que les étudiants retiennent davantage les notions apprises dans le cours, puisque celles-ci sont réinvesties à plusieurs reprises par la suite, notamment dans l’épreuve synthèse de programme.

Comment maximiser la pratique guidée en classe?

Étapes de la démarche pédagogique

Ampoule

Julien a eu l’idée de créer des tutoriels vidéo explicitant les divers procédés et raisonnements inhérents au processus clinique en éducation spécialisée. Les tutoriels sont conçus à l’aide de montages PowerPoint animés. Ils sont ensuite déposés sur la plateforme Léa sur Omnivox.

Objectif :

  • Acquisition d’un savoir-faire pour présenter une procédure générale. Ces tutoriels exposent les étapes du raisonnement clinique et ses procédures de façon explicite

Procédure :

  • À visionner avant le cours = introduction à la matière

Isabelle a eu l’idée d’ajouter un exercice en lien avec le tutoriel:

  • De cette façon, la démarche générale proposée dans le tutoriel est rattachée à un contexte.
  • L’exercice peut servir de base pour les périodes de pratique guidée en classe.
  • Il est consigné dans un portfolio de l’étudiant en vue de sa pratique autonome.

Bruno précise que « le gros du travail a été de segmenter les contenus et de les hiérarchiser de façon à ce que les tutoriels soient clairs, logiques, cohérents et qu’ils puissent se suivre. Cela a demandé aux enseignants une planification supplémentaire ».

Les résultats obtenus :

  • Plus de temps pour la pratique en classe
  • Une plus grande responsabilisation des étudiants
  • Une plus grande flexibilité pour les étudiants
  • La possibilité de réinvestir les savoir-faire dans des tâches plus complexes
  • L’augmentation du sentiment de compétence
  • La création d’outils de référence (tutoriels et vidéos téléchargeables) pour l’élaboration d’un portfolio

Notre démarche étape par étape

Planification en 5 étapes

Identifier les contenus qui pourraient se prêter la création de tutoriels. Découper et hiérarchiser la matière afin de créer des capsules qui abordent 1 sujet à la fois. Harmoniser les procédures entre tous les enseignants et les modéliser de façon claire et cohérente. Sélectionner un outil pour créer des séquences vidéo consultables sur différents appareils. Créer les tutoriels et les scénarios pédagogiques.

Étapes de planification

Intervention – Avant, pendant, après

Séquence de 5 scénarios pédagogiques. Pour chaque scénario, les étudiants devaient :

Avant le cours :

  • Consulter un tutoriel sur la procédure à adopter pour le prochain cours.
  • Réaliser un exercice leur permettant de reproduire une première fois la procédure abordée dans la capsule vidéo.

Intégration d’une séquence vidéo pour enseigner la description objective de comportements

Séquence d’identification des composantes d’un objectif spécifique (plan d’intervention)

Exercice de portfolio pour exercer la rédaction d’un objectif spécifique

Le jour du cours :

  • Présenter leur exercice complété à l’enseignant en début de cours (des points sont alloués à la réalisation des exercices).
  • Proposer des pistes de réponses, prendre la correction en note et remettre le tout à l’enseignant.
  • Effectuer d’autres exercices en pratique guidée, en amenant progressivement d’autres contextes de réalisation.

Après le cours :

  • Prendre connaissance des rétroactions des enseignants sur l’exercice qu’ils ont remis.
  • Insérer l’exercice dans leur portfolio.
  • Réinvestir les habiletés développées dans une nouvelle situation, plus complexe, abordée dans un tutoriel subséquent.

Bruno indique que cette façon de remanier le cours a permis de proposer une séquence d’apprentissage graduée (du simple au complexe) et de faire plus de place pour la deuxième compétence portant sur l’intervention en elle-même.

Plusieurs enseignants du programme transforment leur pratique dans l’intention de proposer des situations d’apprentissage flexibles et engageantes, adaptées à la communauté étudiante. Le nombre d’activités d’apprentissage mettant à profit l’utilisation d’un appareil mobile intelligent ou d’un ordinateur à la maison est en croissance. Il faut mentionner qu’une collaboration avec l’équipe TI favorise le déploiement de pratiques durables et améliore l’expérience de l’utilisateur.

Conclusion : Des gains pour tous!

L’équipe programme est très satisfaite de la nouvelle structure du cours et les étudiants aussi. Il y a eu un bon investissement de la part des enseignants pour planifier et préparer le matériel. Ils ont observé une meilleure compréhension de la part des étudiants et ont pu approfondir des parties de la matière. Le sentiment de compétence des étudiants semble s’être amélioré aussi, comme le mentionne Isabelle : « On avait des étudiants moins stressés à l’épreuve finale et les résultats dans les évaluations ont sensiblement augmenté. On retrouvait moins d’erreurs typiques, puisque nous les avions déjà abordées en classe lors des périodes de pratique. »

Forts de leur première expérience, les enseignants envisagent de nouvelles phases à leur projet : la création d’un forum, la migration vers la plateforme Moodle, l’adaptation des tutoriels, l’adaptation de l’évaluation finale.

Quelques commentaires des étudiants

  • «Une manière d’apprendre moins stressante, qui nous permet de mieux apprendre à le contrôler [le stress]. »
  • «En ayant déjà fait des exercices sur la matière avant le cours […] cela me permettait de cibler mes questions sur la matière et aussi d’être plus attentive au cours. »
  • « C’est une façon d’apprendre qui m’a rendu plus autonome. »
  • « Personnellement, j’aime mieux la façon traditionnelle d’apprendre. Ça m’a moyennement aidé, car on ne peut pas poser de questions à l’ordinateur. »

À propos des capsules :

  • « J’ai la sécurité de toujours pouvoir aller les consulter »
  • « Ça nous a permis de prendre de l’avance sur la matière et je crois qu’avec cela, elle est mieux comprise! À garder! Absolument! »
  • « Je n’arrivais pas à me concentrer devant l’ordinateur. Les tentations de faire autre chose étaient trop grandes. »
  • « J’ai énormément de difficultés de lecture dues à une difficulté au niveau de mon attention et de ma concentration, donc l’idée de faire un PowerPoint avec une voix qui explique le contenu a été, pour moi, 100 fois plus bénéfique qu’une lecture de mes notes. »
  • « C’est comme si j’avais un cours privé à la maison! »

À propos des auteurs

Bruno Lemieux

Un dynamique conseiller pédagogique à la Direction des études du Collège Mérici, est aussi répondant TIC pour son organisation. Il possède une maîtrise en didactique et est chargé de cours au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval.

Isabelle Lavoie

Elle a travaillé pendant une dizaine d’années auprès des jeunes ayant des difficultés d’apprentissage et d’adaptation en milieu scolaire. Enseignante en Techniques d’éducation spécialisée depuis 2012 et étudiante à la maîtrise en éducation, elle est soucieuse de développer des stratégies pédagogiques pouvant répondre aux besoins des étudiants tout en stimulant leur implication et leur autonomie. Impliquée auprès de ceux-ci, elle est en mode solution afin de favoriser leur réussite.

Julien Marceaux

Julien Marceaux est technopédagogue et enseignant en éducation spécialisée au Collège Mérici, à Québec. Il détient un diplôme en éducation spécialisée ainsi qu’un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale. Il est également titulaire d’un certificat en intégration pédagogique des technologies immersives de l’Université de Lyon 1 (France).

Depuis plus de 10 ans, il conçoit, produit et met en œuvre des activités de formation utilisant les réalités virtuelle et augmentée pour des programmes techniques et universitaires, notamment dans les domaines sociaux et médicaux, en plus de jouer un rôle de formateur et de consultant dans le domaine des réalités étendues (XR) auprès des cégeps et universités québécoises.

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7 Commentaires
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Barbara Morin
Barbara Morin
8 mars 2016 19h00

Votre démarche est très intéressante et une belle initiative pour le domaine. Je serais intéressée à suivre vos avancements et vos constats après quelques essais.

Pierre Richard
Pierre Richard
8 mars 2016 20h25

Bravo à vous trois pour cette belle initiative!

Diane Cyrenne
Diane Cyrenne
9 mars 2016 17h37

Ce cours représente un défi de taille pour les étudiants.Ces diverses modalités d’apprentissage contribuent assurément à une meilleure maîtrise des compétences d’observation et d’élaboration d’un PI pour TOUS les étudiants. Je suivrai avec intérêt les nouvelles phases de votre projet!

Caroline Villeneuve
Caroline Villeneuve
9 mars 2016 19h12

Merci pour ce partage Julien, Bruno et Isabelle! Bruno, suite à nos échanges sur les travaux de monsieur Bissonnette, voici un article repéré aujourd’hui : l’effet enseignant et l’enseignement explicite http://www.formapex.com/telechargementpublic/bissonnette2015b.pdf

Nicole Perreault
Nicole Perreault
14 mars 2016 14h55

Bravo pour ce beau projet et pour la clarté de votre récit. Petite question en lien avec un des dossiers du Réseau REPTIC (http://www.reptic.qc.ca/dossiers/tic-reussite/guide-accompagnement/ ). Avez-vous eu l’occasion d’évaluer l’impact de l’activité sur la réussite des étudiants (motivation, résultats scolaires, acquisition d’habiletés cognitives de haut niveau) ? Encore une fois bravo et merci !

Nicole Perreault
Nicole Perreault
14 mars 2016 16h11

Un dernier petit mot pour vous dire que votre démarche en 5 étapes s’intègre vraiment bien au modèle TPACK que certains parmi vous connaissent probablement : intéressant ! Selon ce modèle, l’intégration réussie d’une activité TIC en classe doit tenir compte de trois composantes : le contenu, la pédagogie, la technologie. Ce modèle est un des trois cadres de référence dont s’inspire l’équipe TIC et réussite pour concevoir son guide d’accompagnement d’une activité pédagogique intégrant les TIC (voir mon premier commentaire). Voici un lien vers une brève capsule vidéo qui présente PACK. Merci encore ! https://www.youtube.com/watch?v=6cfah3Xt1Y4

Caroline Grondin
Caroline Grondin
15 septembre 2017 2h42

Bravo pour ce superbe travail Isabelle, Julien et Bruno !