Fermer×
21 septembre 2017

Les jeux vidéo comme moyen d’offrir des expériences d’apprentissage en profondeur aux étudiants

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Selon l’Association canadienne du logiciel de divertissement (ALD), 57% des Canadiens jouent à des jeux vidéo et y consacrent en moyenne 11 heures par semaine. Puisque nos étudiants font partie de ces statistiques, nous avons décidé d’expérimenter l’usage des jeux vidéo en classe. Nous espérions que le fait de jouer à des jeux dont le sujet est lié aux contenus de nos cours mène nos étudiants à un niveau plus élevé de compréhension, grâce à une expérience émotionnelle.

Johnathan a un grand intérêt pour les jeux vidéo et il utilise Portal dans son cours Humanities 101 (Knowledge) depuis plusieurs années. Cette approche a même fait l’objet d’un récit sur Profweb intitulé Portal: une immersion dans la Caverne de Platon (2014). Récemment, il a décidé d’intégrer cette approche dans un autre cours, Critical Approaches, offert dans le programme d’Arts et Lettres. Cette fois, il utilise The Stanley Parable. Ce jeu vidéo propose une courte expérience interactive qui explore la structure narrative. En y jouant, les étudiants comprennent l’importance des séquences narratives dans une oeuvre de fiction. Le jeu leur permet d’essayer une version courte d’un récit traditionnel, suivi d’une structure en 3 actes et de métarécits.

The Stanley Parable permet au joueur de faire des choix dans la structure narrative du récit, puisqu’il peut décider ce qui arrive par la suite.

Pascale, qui enseigne dans le programme de Techniques d’éducation spécialisée, avait du mal à trouver un moyen pour que ses étudiants comprennent mieux la clientèle issue de communautés des Premières Nations et d’origine inuite. Puis, elle a vu Johnathan jouer à Never Alone, un jeu développé par une communauté inuite de l’Alaska, qui utilise le récit (storytelling) pour transmettre les valeurs et les traditions ancestrales du peuple inuit. Le jeu intègre les aspects spirituels de leur culture ainsi que le sens de la communauté. Les séquences de jeu sont entrecoupées de courts documentaires. Des gens de la communauté inuite y expliquent le sens symbolique et les valeurs associés à l’environnement avec lequel le joueur interagit. Pour Pascale, c’était presque comme si un ancien de la communauté venait dans la classe pour présenter sa culture.

La vidéo de présentation du jeu Never Alone.

Nous nous sommes tournés vers des jeux de divertissement ou commerciaux, car ils offrent généralement des expériences extrêmement bien ficelées. Ils ne sont pas seulement ludiques. Ils sont développés avec l’aide de psychologues afin de créer un échafaudage soigneusement contrôlé, qui rend le jeu de plus en plus motivant à mesure que le joueur avance dans ses différents niveaux. Ceux que nous avons choisis traitent de problèmes et d’émotions complexes, pour aider les étudiants à mieux comprendre les notions enseignées en classe à travers une expérience concrète.

Notre théorie

Nous avons une théorie, que nous aimerions explorer davantage, selon laquelle les jeux vidéo peuvent mener à un apprentissage en profondeur. Elle repose sur 2 hypothèses:

  • Les jeux vidéo sont une forme de jeu pouvant conduire à des interactions sociales significatives, lorsqu’on y joue avec d’autres personnes.
  • Les jeux vidéo donnent au joueur la possibilité d’apprendre de nouvelles compétences et le sollicitent de plus en plus afin qu’il réutilise les compétences acquises de différentes manières, tout au long de sa progression dans le jeu.

Ces 2 caractéristiques contribuent à la motivation du joueur, puisqu’elles l’encouragent à garder un esprit ouvert et à assimiler de nouvelles informations. Pour soutenir cette hypothèse, nous nous basons principalement sur la théorie du développement social de Vygotsky, plus particulièrement la notion de zone proximale de développement, dans laquelle il affirme que le jeu traditionnel (les jeux vidéo n’existaient pas à ce moment) fait partie intégrante de l’acquisition des connaissances d’une personne. Nous n’avons pas encore éprouvé notre théorie par une recherche, mais nous espérons être en mesure de le faire prochainement.

Relier les jeux vidéo au contenu du cours

Pour nous assurer que les étudiants soient capables de transposer leur expérience de jeu aux notions théoriques étudiées en classe, nous avons créé une série de questions pour accompagner l’activité. Pour les étudiants, il s’agit d’une nouvelle façon de jouer. Nous leur avons demandé d’être attentifs à l’expérience et d’analyser le jeu comme ils le feraient avec une oeuvre de fiction ou un article. Johnathan a trouvé qu’il était plus facile de tenir des discussions avec les étudiants après avoir joué à un jeu vidéo, comparativement à la lecture d’un texte. Pascale considère aussi que les discussions ont été très fructueuses.

Pascale estime qu’environ 70% de ses étudiants ont réellement compris la signification profonde du jeu et les liens entre celui-ci et le contenu du cours.

L’atteinte des objectifs

Bien qu’il soit difficile de savoir si nous avons vraiment atteint nos objectifs, nous avons tous les deux remarqué des changements positifs parmi nos étudiants suite à cette expérience. Les objectifs de Pascale, soit de créer une compréhension, de l’empathie et une ouverture d’esprit envers les communautés des Premières Nations et du peuple inuit, ont pu être observés à travers un changement de perspective de la part des étudiants. En s’attachant au personnage principal, Nuna, et en découvrant son univers grâce aux capsules documentaires, les étudiants semblent avoir développé une compréhension découlant de l’empathie, plutôt qu’une connaissance issue d’un manuel.

Nuna, le personnage principal du jeu Never Alone.

Johnathan croit qu’il a surtout atteint son objectif d’inciter les étudiants à essayer quelque chose de différent et à développer leur esprit critique grâce à leur expérience avec les jeux vidéo. De plus, ils constatent que la réflexion critique peut aussi bien être une source de divertissement qu’une compétence essentielle pour traiter de problèmes sérieux. Notre objectif d’utiliser des jeux vidéo pour traduire quelque chose d’abstrait et de théorique en quelque chose de tangible et de concret s’est montré concluant lors des discussions subséquentes ainsi que dans les résultats d’évaluation.

Les réactions des étudiants

La majorité des étudiants a apprécié l’expérience, mais il y a toujours 1 ou 2 étudiants qui nous disent qu’ils auraient préféré voir un film. Johnathan trouve que le jeu apporte à la fois une expérience sociale et émotionnelle aux étudiants. Nous avons fait jouer les étudiants dans nos cours afin de pouvoir les aider s’ils éprouvaient de la difficulté avec le jeu. L’aspect social du jeu s’est illustré par le fait de jouer avec un coéquipier ou en petits groupes, ce qui favorise l’interaction entre les pairs.

Pascale a fait jouer ses étudiants en équipes et le jeu était projeté sur 4 écrans différents dans la classe. L’ambiance était énergique. Une réaction émotionnelle qui s’est démarquée est survenue lorsque le renard, qui symbolise l’esprit auxiliaire animal de Nuna, meurt soudainement. Certains étudiants ont été surpris par sa mort subite et ont exprimé leur consternation. Je crois que cette réaction émotive leur a permis à la fois d’apprendre et d’expérimenter le lien émotionnel profond des Inuits avec la nature et donc, de mieux comprendre leur culture en général.

Quelques conseils avant de vous lancer

Si vous souhaitez expérimenter les jeux vidéo dans vos cours, voici quelques conseils utiles:

Jouez d’abord vous-même

Cela peut sembler évident, mais il est important que vous compreniez l’ensemble du jeu afin de décider comment l’intégrer dans votre enseignement et de pouvoir en extraire les éléments d’apprentissage pertinents.

Préparez des questions pour animer les discussions

Vous devrez aider les étudiants à analyser l’expérience et à faire des liens entre le jeu et les contenus présentés en classe.

Restez concentré sur le volet éducatif

Il est facile de se laisser emballer par le jeu. Votre objectif doit toujours demeurer l’apprentissage, avant, pendant et après le jeu.

Tentez l’expérience à quelques reprises

Comme pour toute autre approche pédagogique, la première tentative ne sera pas forcément une réussite. Ne vous découragez pas: après quelques essais, vous saurez exactement comment faire.

Choisissez un jeu compatible avec plusieurs types d’appareil

Cela le rendra accessible à tous les étudiants.

Ayez accès à de l’équipement technologique (ou à un technicien)

Comme pour n’importe quel autre type de technologie, les choses peuvent et vont mal aller! Aussi bien vous préparer à l’avance.

Notre prochaine étape consiste à mener une recherche plus poussée pour valider notre théorie, selon laquelle le fait de jouer à des jeux vidéo en classe soutient l’apprentissage en profondeur des concepts. Si vous avez déjà utilisé des jeux vidéo dans vos cours, nous aimerions beaucoup que vous nous racontiez votre expérience!

À propos des auteurs

Johnathan Mina

Johnathan Mina (M.A., B.A. Hons.) est professeur de Humanities au Collège LaSalle à Montreal, au Canada. Il détient une maîtrise en littérature anglaise (Université Dalhousie) et un baccalauréat spécialisé en arts libéraux (liberal arts) et en littérature anglaise (Université Concordia). Il est récipiendaire du Prix d’excellence en enseignement de CICan en 2023 et du Prix d’excellence en enseignement du Réseau d’éducation LCI en 2018. Ses intérêts de recherche sont liés aux études de jeux, à la ludification, à la pensée critique, à l’empathie et à l’intégration de la technologie dans les espaces éducatifs.

Il est co-auteur d’un rapport de recherche sur l’utilisation de jeux vidéo basés sur le divertissement en classe au collégial, subventionné par Ministère de l’Enseignement supérieur du Québec (MEES). Il est également récipiendaire d’une «mini-bourse» de recherche SALTISE en 2018 pour l’intégration de la réalité virtuelle en classe et d’une «mini-bourse» de recherche SALTISE en 2017 pour l’intégration des stylos intelligents (smartpens) en classe.

Pascale Warmoes

Pascale Warmoes enseigne dans le département de Techniques d’éducation spécialisée au Collège LaSalle (Montréal) depuis 2008. Elle détient une maîtrise en éducation (Université de Sherbrooke) et un baccalauréat en psychologie. Sa passion et son intérêt pour l’exploration d’approches pédagogiques nouvelles et innovantes dans sa classe l’ont menée à recevoir:

  • le prix d’excellence en enseignement du Collège LaSalle en 2018
  • une « mini-bourse » de recherche de SALTISE [en anglais] en 2017, pour l’intégration de stylos numériques en classe
  • une bourse de recherche de SALTISE en 2018, pour l’intégration de la réalité virtuelle en classe

En 2020, elle a reçu une subvention dans le cadre du programme PREP, financé par le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, pour réaliser une recherche sur l’implantation de jeux vidéos en classe. Son rapport de recherche a été publié en juin 2022.

S’abonner
Notification pour
guest

1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires