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24 octobre 2006

Les TIC au service des «natures brouillonnes» – Comment une plateforme peut devenir un outil efficace de gestion de classe!

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Il y a quelques semaines, je recevais du répondant TIC (REP-TIC) une invitation à présenter le résultat de mes efforts d’intégration des TIC dans mon enseignement de la philosophie. J’étais au courant des fantastiques réalisations de certains collègues en ce domaine et je n’avais pas le sentiment que mes avancées dans le monde de l’enseignement à l’aide des TIC méritaient qu’on s’y intéresse au point de souhaiter m’entendre là-dessus. Je dois dire que je suis toujours de cet avis. Si j’ai pourtant accepté l’invitation du REP-TIC – et, à sa suite, celle de Profweb – à faire état de mes efforts, c’est que je pense être de la catégorie d’enseignants la moins disposée à l’utilisation des TIC. Les raisons de cette indisposition tiennent en deux traits caractérisant cette catégorie : l’absence du sens de l’organisation et l’ignorance de la technique informatique. Dans les paragraphes qui suivent, je préciserai d’abord brièvement ces traits, puis je raconterai l’histoire de mon entrée dans l’univers des TIC. Cette narration décrira comment je suis parvenu aux portes d’un éden pédagogique certain et comment aussi, en y pénétrant, je suis tombé en enfer. Malgré le ton peut-être alarmant que je prends ici, ma conclusion montrera que mon enthousiasme initial n’a pas été avalé par Belzébuth et que je reste persuadé que le pédagogue peut trouver, par l’utilisation des TIC, un regain d’énergie créative.

Natures brouillonnes

J’appartiens donc à cette catégorie d’enseignants dont un des traits distinctifs s’exprime tout entier par l’expression « nature brouillonne ». Je suis l’une de ces personnes pour qui l’organisation efficace ne peut qu’être le résultat d’un difficile effort de conquête. Le sens de l’organisation est bien loin de m’être inné. M’ordonner exige une dépense d’énergie considérable et je mets un temps fou à y parvenir juste assez pour être en mesure de fonctionner. On comprend sans peine que je me trouvais bien peu disposé à déranger une gestion de mes classes trop chèrement acquise. Les enseignants de cette catégorie sont aussi de piètres utilisateurs de la technologie informatique parce qu’ils ne la comprennent pas. Ces personnes sont peut-être en possession d’un ordinateur, mais celui-ci est plutôt perçu comme une grosse machine à écrire toujours trop performante pour ce qu’ils en font de toute façon. Le seul avantage ici c’est que ceux qui, comme moi, sont affligés de ce trait, savent se contenter longtemps de très vieux appareils. Comme le phoque en Alaska, ces derniers font beaucoup rire les enfants, mais ce rire dure très longtemps.

On comprendra aisément que, marquée de ces traits, cette catégorie de profs, la mienne, constitue un terrain propice au développement d’une solide allergie à l’utilisation des TIC dans l’enseignement. Chez moi, cette allergie s’exprimait symptomatiquement et systématiquement par un « bof, c’est pas pour moi ça » dès qu’on me proposait de m’y intéresser. Pas la peine d’insister. Mon indifférence était définitive. Définitive, jusqu’au jour où, fâché d’un oubli qui m’avait fait dépasser les délais exigés pour la photocopie massive d’un document, la personne responsable de l’intégration des TIC au collège parvint à me convaincre d’assister à une formation sur DECclic. Attiré par la possibilité d’éviter les délais de photocopie, j’ai accepté. C’était le commencement de la guérison de mon allergie, mais je l’ignorais. Il n’a pas fallu longtemps pour que je prenne conscience de l’outil qui s’offrait à moi. Puissant outil pédagogique, mais aussi puissant outil de gestion de classe. Un peu de curiosité accompagnée d’un tout petit acte de bonne volonté et mes yeux se sont dessillés. Cela suffisait pour que je me mette à rêver. Ce que je me suis effectivement mis à faire, le rêve ne présentant pas le risque de voir sa vie professionnelle ébranlée. Ce n’est que lorsque que j’ai décidé de casser le rêve et de construire quelque chose de concret que, à l’instar de Dante, j’ai cru voir le chemin du paradis pédagogique et que, comme lui, je traverse présentement l’enfer. J’exagère à peine.

Paradis à l’horizon

Commençons par la marche en direction du paradis. J’ai d’abord utilisé la messagerie du DECclic. Quel plaisir! J’ai vite constaté que, mon style de vie quotidienne le permettant, je venais de multiplier mon temps de disponibilité par cinq. Par le moyen de la messagerie, je réglais la majorité des problèmes que rencontraient les étudiants : plus de mille messages par session! Ça peut sembler effarant, mais ce ne l’était pas du tout : je me suis mis à travailler de plus en plus à partir de chez moi. Les étudiants ne me cherchent plus. Ils savent maintenant où me trouver. Le besoin d’une rencontre entre quatre yeux s’impose-t-il soudainement? Je suis à mon bureau dans l’instant (j’habite à trois minutes). C’est le paradis, non?

J’ai ensuite exigé de mes étudiants qu’ils me fassent parvenir leur copie par le DECclic et j’ai corrigé à l’écran. Copie corrigée, copie retournée à l’instant même! L’étudiant n’est pas d’accord avec la correction? Il me le signifie par la messagerie et je révise. Les piles de papiers informes n’existent plus. Les pages virtuelles se classent d’elles-mêmes dans le ventre de ma machine, bien en ordre et sans aucune dépense d’énergie. J’ai toujours ces copies sous la main; je sais toujours où les retrouver. Il va sans dire que ma machine est une nouvelle machine; elle ne fait plus rire les enfants, même les grands. Elle nous épate. J’ai découvert ensuite l’existence de la fonctionnalité « forum ». Pour dire autrement les choses : j’ai découvert le moyen d’étirer l’espace et le temps de la classe. Réfléchir à un problème de philosophie, échanger une idée avec des collègues se fait tout aussi bien le dimanche après-midi ou le samedi matin qu’à l’heure prévue à l’horaire. Un cours de philosophie, c’est trois heures : deux heures en présence et une troisième faite d’une autre qualité de présence et qui se déroule au moment qui nous convient le mieux. Peut-être même arrive-t-il qu’on soit mieux disposé à la réflexion philosophique le samedi matin plutôt que le jeudi à 15h30 au retour d’un cours d’éducation physique pendant lequel on a pédalé à toute allure pendant une demi-heure? Il s’agit là d’une espèce de liberté autant pour le prof que pour l’étudiant. Et la liberté, c’est le paradis.

Sur le forum, on discute. Participer au forum, c’est se mériter de précieux points : alors on participe. Malheureusement, la joie du virtuel n’élimine aucunement la paresse et les efforts d’évitement de l’effort à fournir. Rien à faire : tous ne veulent pas toujours travailler; TIC ou pas TIC. Beaucoup ne s’aventurent jamais les premiers sur le forum et se contentent souvent de répéter en d’autres mots ce que les hardis ont déjà dit. C’est vrai, c’est un problème et il me faudra y voir.

La session dernière, un forum avait une durée de dix jours suivis d’une période de rédaction de quatre jours – cinq étaient prévus. Le travail : produire une synthèse des discussions ayant eu lieu sur le forum dans un minimum de deux pages. Dans un premier temps : présentation des thèses en présence ainsi que des principaux arguments qui les soutenaient. Dans un second temps : observation et réflexion sur la manière dont on a discuté : est-on parvenu à résoudre le problème? La discussion a-t-elle dérapé? Pourquoi? Les échanges ont-ils été conviviaux? J’ai eu droit à autant de bonnes copies virtuelles que j’en avais naguère sur papier et à autant de mauvaises, évidemment. Le seul vrai problème que j’ai rencontré, c’est la correction. Comme d’habitude. Cette session-ci, j’ai réduit le nombre de forums à trois. C’est sûr! J’étais en train de crouler sous des masses de papiers virtuels. Je voyais des taches rouges lorsque je me fermais les yeux. Moins de travail pour tout le monde, mais surtout pour certains étudiants : l’heure volante a été volée de trop nombreuses fois. Ça aussi c’est un problème et je suis en train de voir si je peux y voir.

Je tente maintenant la fonctionnalité « équipe » du DECclic. Chaque équipe dispose de son forum, de son salon de clavardage et de son espace virtuel où on peut échanger des documents à volonté. Les membres d’une équipe se rencontrent quand ils le veulent dans le même lieu virtuel, mais pas nécessairement dans le même temps. Je serai moi-même membre à part entière de chacune des équipes. Il y aura ainsi beaucoup moins de correction puisqu’une seule synthèse sera produite par équipe et par forum. Moins de correction mais plus de forums et l’heure volée, comme la cloche de Pâques, reviendra à son clocher. Le forum, pour qu’il réussisse, nécessite la participation constante de l’enseignant : poser les questions qui débloqueront la discussion stagnante, indiquer les pistes à suivre pour qu’elle atteigne son but, fournir ponctuellement l’information pertinente. Avec un minimum de 140 étudiants en train de discuter sur cinq forums à la fois, c’est trop.

Des personnes compétentes ont accepté de participer et d’animer les forums. Toutes sont à l’extérieur de la région et pourtant ça ne pose aucun problème. On serait en Chine que ça ne poserait pas de problème! Il n’y faut que le goût, la bonne volonté et … les TIC. Jusqu’à présent, tout est beau et bon. Bien sûr, il y a eu assez souvent des problèmes embarrassants et des périodes de stress difficiles. Toutefois, la plupart de ces problèmes provenaient non pas de la plate-forme elle-même, mais bien de mon peu de compétence technique. L’enfer que je visite présentement ne consiste en rien de tout cela. Les causes sont ailleurs.

Oui, mais…

Il m’arrive de temps à autre de donner un cours de « rattrapage » en philosophie dans une autre institution d’enseignement. Je donne ce cours depuis plus de vingt ans et avec succès, à des adultes issus du marché du travail. J’ai donc décidé, l’automne dernier, d’intégrer ce cours au DECclic. De cette façon, je pouvais offrir aux étudiants une grande disponibilité. Je pouvais leur éviter la dépense d’un gros recueil de notes de cours et je pouvais expérimenter le forum avec des adultes dont la moyenne d’âge tourne autour de 35 ans. Les choses ont très bien fonctionné, l’évaluation du cours par les étudiants est excellente. Ils ont beaucoup apprécié, leurs témoignages sont éloquents.

L’occasion de poursuivre l’expérience s’est présentée à nouveau dès la session d’hiver. Ravissement! Des 45 personnes inscrites au cours, une seule n’avait pas d’accès facile au web. Les conditions étaient donc favorables à une continuation sereine. Malheureusement, la réalité s’est avérée toute autre : dès le début de la session, des problèmes d’ordre technique se sont manifestés et aucun d’entre eux n’avait pour cause la plate-forme elle-même. Le tout a généré de la confusion et de l’insatisfaction. L’ambiance du cours en a été affectée négativement.

Une grande partie des problèmes rencontrés aurait d’ailleurs été évitée si j’avais pu disposer d’un local équipé d’ordinateurs avec accès au web, et ce, une seule fois au tout début de la session. Ce n’était pas possible. D’autres problèmes se sont posés rapidement. On aurait juré que les machines de mes étudiants s’étaient décidées à la rébellion. Certaines ont refusé d’imprimer les documents nécessaires; d’autres, plus radicales, ont tout simplement refusé de fonctionner. Des étudiants découragés ont préféré fonctionner avec des moyens plus traditionnels. J’ai été dans l’obligation « d’inventer » des solutions individuelles qui se sont avérées trop nombreuses, trop diverses et trop réparties dans le temps, pour que je puisse les gérer de manière efficace. J’ai dû abandonner le calendrier initial une première fois, en créer un nouveau que j’abandonnai une fois de plus.

J’imagine qu’il s’agit là de l’une des plus pénibles situations qu’un enseignant de ma sorte puisse rencontrer : le retour à un état désorganisé. Personne n’en mourra, mais c’est bien triste. Cette situation d’échec pédagogique, nouvelle pour moi, devrait à elle seule suffire à me faire renoncer à tout jamais à l’intégration des TIC dans mon enseignement. Mais, je le répète, il ne peut en être question. Le continent à explorer me paraît trop riche et trop réjouissant : trop de possibilités d’inventions s’offrent à moi pour que j’y renonce.

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