La 2e remise du carnet autoethnographique
Dans les 2 autres remises du carnet, nous allons un peu plus loin dans l’approche réflexive. Je demande notamment aux personnes étudiantes de se positionner sur la façon dont leurs propres identités et valeurs risquent d’influencer leurs interventions sur le terrain.
Dans le 2e travail, plus précisément, elles doivent se positionner par rapport à 2 communautés spécifiques: les personnes noires et afrodescendantes et les personnes autochtones. Dans ce cours, nous portons une attention particulière aux racines historiques et sociales des iniquités au Québec en lien avec ces populations. Nous nous intéressons à la façon dont s’est construite la relation avec elles et aux inégalités dont ces groupes sont victimes et qui nuisent à leurs rapports avec la police.
Les personnes étudiantes écoutent les témoignages de 2 personnes noires et de 2 personnes autochtones qu’on retrouve sur le portail.
Je leur propose ensuite d’identifier les sentiments qui caractérisent le mieux leur rapport personnel aux Premiers Peuples (honte, culpabilité, indifférence, admiration, colère,etc.) et de faire des liens avec des valeurs qu’elles ont précédemment nommées. Puis, elles refont l’exercice, cette fois en lien avec les populations noires et afrodescendantes. Les résultats sont parfois très différents dans le rapport à chacun des deux groupes marginalisés.
Le tout premier sentiment qui me vient en pensant aux Premiers Peuples est vraiment la honte. En raison de toutes les atrocités qu’ont subies ces gens, autant les enfants dans les pensionnats que les femmes dans le dossier des femmes disparues et assassinées. Comme une de mes valeurs profondes est la justice sociale, ces horreurs et cette façon de traiter nos semblables fait rouvrir chez moi toute la question de la valeur humaine. Pourquoi ma vie vaudrait plus que celle d’une autre femme ou d’un autre enfant? Le traitement judiciaire et la rigueur qu’on y met devraient être égaux pour tous les humains sur cette Terre. Comment peut-on accorder si peu de valeur à la vie humaine? L’entraide et le respect sont, pour moi, des valeurs qui n’ont pas de couleur, pas d’origine et que l’on doit promouvoir dans notre société.
— Extrait du travail d’une personne étudiante
Le but de l’exercice est de permettre de prendre conscience de ses biais. Les personnes étudiantes doivent choisir un biais (qu’elles ont ou ont déjà eu) sur un groupe ethnoculturel le plus précisément nommé et expliquer comment cette idée reçue s’est construite. Elles doivent faire des liens avec leurs expériences personnelles, avec l’éducation familiale et scolaire qu’elles ont reçue ou avec leur entourage actuel ou passé. Les sources de leurs biais sont ainsi identifiées, contextualisées et analysées.
J’observe que dans certains cas, les biais et préjugés sont basés sur des expériences personnelles. Mais dans la plupart des cas, ils tirent leur source de l’entourage ou de l’éducation familiale. Déjà, si les personnes étudiantes prennent conscience de cela, ce sera un pas de plus pour alimenter leur réflexion. Le seul fait de coucher ses biais et ses préjugés sur papier (ou d’en parler dans un enregistrement audio ou vidéo) permet déjà de les faire passer de l’inconscient au conscient. Pour plusieurs d’entre elles, c’est la 1re fois qu’elles sont plus formellement amenées à réfléchir à cela de manière guidée et structurée.
Plusieurs s’avouent gênées de leurs préjugés et nomment qu’elles préféreraient ne pas avoir de biais du tout. Je leur réponds que c’est normal (et impossible), que nous avons tous et toutes des biais, mais que l’important, c’est d’en être conscients et conscientes. C’est essentiel au travail de déconstruction et de transformation des pratiques, surtout dans une profession comme la leur. C’est là toute la force de l’approche ethnographique. Et c’est peut-être la clé pour, je l’espère, ouvrir une porte dans l’esprit de certains et certaines et les amener à se demander: «Et si telle ou telle certitude que j’ai était fausse, en réalité?»
La 3e partie du carnet
Pour le dernier travail à déposer dans le dossier nuagique, les personnes étudiantes doivent réfléchir à la façon dont elles peuvent se positionner en tant qu’alliées, sans reproduire des façons de faire qui imposent des solutions unilatérales ou des recettes «toutes faites».
Les policiers et policières sont formés et formées pour faire respecter des lois qui, selon plusieurs observateurs, excluent d’emblée certains groupes. Le rapport de chaque personne étudiante à ce problème est très différent: tantôt confrontant, tantôt nuancé. Comment conjuguer cet écart avec ses valeurs personnelles? Quels usages pourra-t-elle faire de son pouvoir discrétionnaire?
Pour cette dernière partie du carnet, les personnes étudiantes reviennent sur leurs valeurs initiales et les dimensions identitaires explorées, puis expriment ce qui, dans tout cela, est susceptible de faire d’elles de meilleurs policiers et de meilleures policières. C’est beau à lire, touchant, réfléchi, profond et encourageant. Je me sens toujours très fière de leur cheminement en fin de session, y compris chez des jeunes plus campés et campées dans des positions qui diffèrent des miennes. Au moins, nous avons conversé et ouvert des pistes de réflexions sur des enjeux qui sont, pour moi, centraux, surtout pour de futurs gardiens et futures gardiennes de la paix.
Selon moi, les mesures de discrimination positive sont une très bonne chose. Il s’agit d’une technique qui laisse place à plusieurs [diversités] autant culturelles, ethniques, de genres, etc. Lorsque j’ai fait mon entrée en Techniques policières, plusieurs de mes collègues de classe mentionnaient à quel point ils trouvaient que cette façon de faire était discriminatoire pour eux et que ce n’était pas juste. J’étais très surpris d’entendre de tels propos et même triste de voir combien de personnes étaient du même avis. Pour moi, il s’agit de donner une chance à des personnes qui ne partent pas de la même place que la majorité. Leur laisser une chance de pouvoir atteindre un but qui pouvait leur sembler impossible puisqu’ils devaient travailler encore plus fort pour y arriver. Devoir mettre des bouchées doubles puisque la vie ne met pas tout le monde sur le même pied d’égalité au commencement de notre vie. De plus, pour moi, dire que la discrimination positive n’est pas juste est signe de privilège. Seulement les personnes privilégiées peuvent penser de cette façon. Je suis très reconnaissante que cette technique soit encore d’actualité aujourd’hui puisque je ne serais pas en train d’écrire ces lignes pour un travail de Techniques policières si elle n’était plus utilisée. En effet, l’arrivée des femmes dans la police est le résultat de la discrimination positive. Je crois donc qu’elle est essentielle et que nous devons la laisser en place pour avoir de plus en plus de diversité dans tous les domaines.
— Extrait du travail d’une personne étudiante
Consignes pour la 3e partie du carnet
C’est un projet qui a tellement de sens et très certainement un impact positif chez les étudiants.es.
BRAVO et merci!