Renouveler le cours Méthodes quantitatives en l’ancrant dans la réalité
Depuis 2013, graduellement, mes collègues Annie Turcotte et Steve Fortin et moi-même avons revu en profondeur la façon dont nous donnions le cours Méthodes quantitatives.
Nous donnons maintenant le cours dans une classe d’apprentissage actif (CLAAC), et réalisons des activités basées sur des situations-problèmes ancrées dans la réalité. Pour une activité, nous collaborons avec des organismes communautaires de notre milieu: les étudiants mettent à profit leurs compétences pour répondre à des besoins de ces organismes.
Résultats de tout cela : le taux de réussite du cours a significativement augmenté… et mes collègues et moi adorons donner ce cours qui nous rebutait auparavant.
Des changements nécessaires
Avant 2013, au Cégep Lévis-Lauzon, le taux de réussite du cours Méthodes quantitatives, obligatoire en Sciences humaines, était aux alentours de 60%. L’enseignement était surtout magistral. Les étudiants travaillaient avec Excel au laboratoire d’informatique à la mi-session et à la fin de la session, dans le cadre d’un travail long. Mais la rétention des notions liées à l’utilisation d’Excel n’était pas satisfaisante…
L’inspiration
Au colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) en 2012, mes collègues et moi avons assisté à un atelier animé par Hélène Beaulieu et Jocelyne Guénard, enseignantes de mathématiques au Cégep de Saint-Félicien.
Hélène Beaulieu et Jocelyne Guénard ont expliqué comment elles avaient transformé leur cours de méthodes quantitatives en exploitant un local où les étudiants pouvaient travailler en équipes, chacun avec un portable. C’était l’une des premières classes d’apprentissage actif du réseau collégial. Cela permettait aux étudiants d’utiliser Excel presque chaque cours.
De plus, dans leur cours, Hélène Beaulieu et Jocelyne Guénard exploitaient l’apprentissage par problème pour rendre les contenus plus concrets et ainsi augmenter la motivation et la réussite de leurs étudiants.
Nous avons communiqué avec Hélène Beaulieu qui a, de façon exceptionnellement généreuse, accepté de nous transmettre, à nous et aux enseignants du Cégep de Victoriaville, tout son matériel pédagogique. Nous nous n’en serions assurément pas là où nous en sommes aujourd’hui sans ce très généreux partage, ni sans le travail collaboratif que nous avons fait avec les enseignants du Cégep de Victoriaville!
Les situations-problèmes
Plutôt que d’être largement basé sur l’enseignement magistral et de concentrer les travaux sur Excel à 2 moments, dans le cadre d’un seul travail long, nous faisons maintenant travailler les étudiants avec Excel presque chaque cours. Puisque notre cours est monté sur Moodle sous forme de 30 rencontres, les élèves peuvent bien se structurer et le passage à la pédagogie active se fait plus aisément.
Les rencontres se déroulent principalement de la manière suivante :
- Au début des cours, nous voyons quelques notions théoriques.
- Puis, les étudiants se regroupent en équipe pour travailler, chacun avec un ordinateur. Ils travaillent sur les laboratoires avec Excel, puis leur situation problème.
Notre cours est structuré autour de 3 activités dans le cadre desquelles les étudiants analysent, en équipe, une situation-problème basée sur des données réelles ou réalistes.
Voici, sommairement, de quoi traitent les 3 situations-problèmes du cours :
- Analyser l’évolution chronologique de données. Cela peut consister à :
- Calculer les mesures de variation (variation, variation relative et variation moyenne) du nombre d’habitants au Québec et dans une municipalité particulière, entre 1996 et 2014, à partir des données de l’Institut de la statistique du Québec. Puis, rédiger un commentaire présentant l’évolution démographique du Québec et de la municipalité ciblée, une comparaison des 2 ainsi que l’interprétation des mesures de variation du nombre d’habitants au Québec et dans la municipalité.
- Étudier la démographie d’un pays étranger, à partir des données de la Banque mondiale. Par exemple, analyser l’utilisation des technologies mobiles au Congo.
- Traiter des données (moyennes, écarts-types, etc.) et créer des tableaux, des graphiques.
- Faire des estimations, analyser des corrélations. Par exemple :
- Étudier les différents facteurs qui influent sur la préparation d’une personne pour les études (scolarité de la mère, revenu familial, etc.).
- Étudier les déterminants de saines habitudes de vie.
Dans certains cas, les données réelles ne sont pas disponibles. Pour ces situations, Steve a programmé en VBA dans Excel pour générer, pour chaque équipe, un jeu de données réalistes qui concorde avec les informations (réelles) contenues dans la mise en situation.
Le fait de travailler sur des situations-problèmes réelles avec, lorsque possible, des données réelles représente une belle amélioration, pour susciter l’intérêt et soutenir la motivation des étudiants.
Avant et après la CLAAC
Dans nos premières itérations du cours renouvelé, de 2014 à 2016, nous ne disposions pas d’une CLAAC dans notre collège. Nous donnions donc la première heure du cours dans une classe ordinaire, et la deuxième dans un laboratoire informatique. Mais comme il n’y avait pas de laboratoire informatique assez grand pour 40 étudiants, les étudiants étaient divisés en 2 locaux et l’enseignant devait aller de l’un à l’autre. Définitivement pas des conditions gagnantes!
Depuis la fin de la session d’automne 2016, nous donnons le cours dans la CLAAC de notre collège. Chaque étudiant a un portable, et les étudiants sont assis en îlots de 4 personnes. Cela facilite grandement les choses!
La collaboration avec les OBNL
Depuis 2 ans, je siège à la Commission de l’enseignement collégial (CEC). C’est là que j’ai rencontré Bastien Beauchesne, fondateur de Thulé Évaluation et responsable scientifique chez Votepour.ca.
Bastien m’a expliqué qu’il connaissait de nombreux organismes communautaires (des organismes à but non lucratif — OBNL) qui se posent des questions pour lesquelles l’obtention de réponses passe par l’utilisation des méthodes quantitatives. Plusieurs de ces organismes n’ont pas les moyens de répondre à ces questions. Les étudiants du cours pouvaient être d’une aide précieuse! Cela cadrait très bien avec les notions liées à la 2e situation-problème de notre cours.
À la rentrée de la session d’automne 2018, Thulé Évaluation a fait un sondage auprès de jeunes de la région afin de répondre aux besoins de 5 OBNL :
- Votepour.ca
- l’Unité régionale de loisir et de sport de la Chaudière-Appalaches
- le Forum jeunesse Chaudière-Appalaches
- le Forum jeunesse de la région de la Capitale-Nationale
- la COOP FA
Lors de la présentation de la 2e situation-problème aux étudiants, Bastien est venu en classe pour parler aux étudiants. Il a « vendu » les méthodes quantitatives de façon spectaculaire! Il a vraiment su convaincre les étudiants de l’importance des méthodes quantitatives « dans la vraie vie ».
Puis, chaque équipe d’étudiants a choisi, parmi les 5 organismes, celui qui l’intéressait le plus. Les étudiants ont utilisé les données recueillies lors du sondage réalisé par Bastien pour effectuer des études quantitatives pouvant être utilisées par l’OBNL concerné.
Exemple de SP2 :
Au terme du projet, certains des étudiants ont présenté les résultats de leurs travaux à des représentants des organismes.
Une diapositive extraite de la présentation PowerPoint utilisée par des étudiants pour présenter leurs résultats aux responsables de la Coop FA
Des étudiants font une présentation devant leurs pairs et des représentants de l’organisme Votepour.ca
C’est certain que cela a représenté beaucoup de travail pour Steve et moi, qui donnions le cours cette session-ci. Un rapport écrit présenté à l’OBNL serait clairement plus simple à gérer qu’une présentation orale à l’auditorium, et nous envisageons cette avenue pour la session prochaine.
Les étudiants ont aimé le projet, qui a eu sens pour eux en étant concret et ancré dans la réalité. Et les OBNL participants en sont très satisfaits!
Les résultats
Dans le cadre de notre transformation du cours, Annie, Steve et moi nous sommes questionnés sur l’ensemble des aspects du cours : le contenu, les stratégies d’apprentissage ciblées, le matériel pédagogique, etc. Cela a été extrêmement fructueux : le taux de réussite est passé du 60% qu’il était aux environs de 74%!
Avant, je n’aimais pas donner le cours de Méthodes quantitatives. Maintenant, je suis déçue quand il n’est pas dans ma tâche!
La suite
À partir de maintenant, ce que j’aimerais, c’est que d’autres cours de Sciences humaines « embarquent » dans le projet, dans une perspective d’approche programme. Je pense évidemment en premier lieu au cours Initiation pratique à la méthodologie des sciences humaines (IPMSH) et, peut-être aussi au cours Démarche d’intégration des acquis en sciences humaines (DIASH). Et au-delà de ces cours, un enseignant de sociologie, par exemple, pourrait utiliser les données du projet pour questionner ses étudiants (et renseigner les OBNL) sur la raison qui fait que 71% des jeunes sondés n’ont pas voté aux élections municipales de 2017.
Bravo et merci pour ce récit qui met en valeur les forces de la classe d’apprentissage actif lorsque doublée avec une approche « terrain » où les étudiants développent leurs compétences en méthodes quantitatives avec des données concrètes dont l’analyse est utile pour les organismes concernés. La nette augmentation du taux de réussite des étudiants est un bon indicateur de la pertinence de votre approche. À propager !
Merci Nicole
Encore plus vrai qu’il faut propager notre projet avec le nouveau programme de sciences humaines qui vient de sortir et qui fait que nous ne pourrons plus enseigner ce cours.