Simulation clinique en Soins infirmiers : débreffage et développement du jugement clinique des étudiantes
Le projet de simulation par immersion clinique au Cégep de Sainte-Foy est né suite au retrait de l’Examen clinique objectif structuré (ECOS), que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec utilisait lors de l’examen professionnel. Cet examen servait à évaluer le jugement clinique des finissantes dans des situations pratiques. Notre Département utilisait aussi les ECOS des années précédentes pour évaluer les étudiantes à la fin de chaque session, leur permettant du même coup de se préparer à l’examen professionnel à la fin de leur parcours collégial.
Depuis le retrait de l’ECOS en 2014, l’examen professionnel se concentre sur les aspects théoriques de la pratique infirmière. Comme professeurs, nous nous sommes retrouvés devant un « vide » en matière d’évaluation pratique des compétences, qui se limitait désormais aux stages effectués en milieu hospitalier. Or, l’exposition aux différentes problématiques rencontrées chez la clientèle hospitalisée n’est pas la même pour toutes les stagiaires. Dans ce contexte, comment uniformiser les apprentissages et les évaluations? Cette situation nous a conduits vers l’adoption d’une stratégie pédagogique différente dans le cursus de formation en soins infirmiers: la simulation clinique haute fidélité.
La nécessité d’un lieu pour la formation pratique des futures infirmières
En soins infirmiers, le besoin de formation pratique est criant. Malgré la théorie et les laboratoires, les étudiantes ne font pas toujours de bons liens entre les notions apprises. En milieu clinique, la sécurité est notre préoccupation première. Ce sont de vraies vies qui sont en jeu: les professeurs et infirmières responsables ne peuvent pas s’arrêter pour expliquer aux étudiantes pourquoi l’état d’un patient se dégrade. Les étudiantes n’ont donc pas toujours la possibilité d’analyser leur processus de pensée et de remettre en question les liens, parfois erronés, qu’elles font avec la matière. Par exemple, il arrive que les étudiantes développent certains automatismes, pensant que « si j’interviens ainsi avec Mme X, je pourrai faire de même avec Mme Y ». Le contexte des stages fait qu’elles n’ont pas toujours l’occasion de développer pleinement leur jugement clinique.
La simulation haute fidélité offre cet espace de réflexion nécessaire et la possibilité de développer de bons réflexes. Notre objectif avec cette approche est d’aider les étudiantes à pratiquer davantage, à réfléchir sur leur pratique et à transposer leurs apprentissages dans le milieu de stage.
Avantages et objectifs pédagogiques de la simulation clinique
Des études montrent que l’apprentissage par la simulation favorise une prestation de soins plus efficiente. La simulation permet d’augmenter significativement la capacité d’une infirmière à reconnaître des signes de détérioration auprès des patients, ce qui contribue à améliorer leur survie (Ozekcin, 2015). De plus, la simulation comme activité pédagogique complémentaire peut remplacer des heures de stage, et ce, sans affecter le taux de réussite lors de l’évaluation des compétences cliniques (Hayden, Smiley, Alexander, Kardong-Edgren et Jeffries, 2014).
Le tableau suivant résume les avantages pédagogiques de la simulation clinique par rapport aux stages dans la formation en soins infirmiers :
Limites de l’enseignement clinique traditionnel (stage) | Avantages pédagogiquesde la simulation |
---|---|
En milieu hospitalier, l’exposition clinique des étudiantes est aléatoire. | La simulation permet d’uniformiser les situations et les apprentissages. |
Le temps du professeur est majoritairement dirigé vers les besoins des patients. | Le débreffage qui suit immédiatement une simulation devient un moment privilégié pour discuter de manière approfondie avec l’étudiante. |
L’atteinte de certaines compétences est plus difficile à évaluer. | La simulation permet d’évaluer :
|
La sécurité du patient ou de l’étudiante supplante le développement des compétences. | L’étudiante est exposée à différentes situations pour lui permettre d’explorer plusieurs avenues dans un contexte sécuritaire et de façon autonome. |
Visite des lieux et présentation de nos patients
Le premier défi qui s’est posé était de mettre en place un lieu physique approprié et le matériel nécessaire afin de mener les premiers tests de simulations cliniques. Au début, nous avons utilisé un local de rangement du Cégep et nous avons « bidouillé » un mannequin à partir d’ordinateurs et d’appareils électroniques inutilisés. Ce premier mannequin à basse fidélité, que nous avons nommé M. Francoeur, nous permet de réaliser des interventions variées en soins infirmiers :
- Prises de sang
- Installation de soluté
- Tout autre soin ne nécessitant pas la technologie de détection des médicaments
Yvon Brunet et M. Francoeur, le premier mannequin de simulation au Cégep de Sainte-Foy.
Depuis, 4 mannequins haute fidélité se sont ajoutés à M. Francoeur :
- Hall est le plus spécialisé, principalement sur le plan de l’électronique de la détection des échanges gazeux au niveau pulmonaire.
- Suzi sert principalement pour les soins infirmiers et permet de réaliser toutes les tâches qu’une étudiante puisse faire en stage.
- Ped-Hall un mannequin pédiatrique qui permet les simulations pédiatriques sans risque pour la vie des jeunes patients.
- Un mannequin néonatal est utilisé pour les simulations post accouchement ou pour les simulations en soins intensifs néonatals.
Nous utilisons également des acteurs pour certaines simulations. Pour l’obstétrique, nous avons acheté une prothèse qu’une actrice peut enfiler afin de représenter une femme enceinte.
Avant de bénéficier des infrastructures actuelles, la simulation était filmée avec une caméra sur pied. Il fallait ensuite la brancher à un projecteur pour revoir les séquences pertinentes. Nous comptons maintenant 2 salles de simulations tout équipées avec le matériel informatisé pour les enregistrements. L’aménagement de ces salles se caractérise par 3 éléments:
- Une salle de simulation où se trouve tout le matériel nécessaire (mannequin, civière, etc.).
L’une des salles de simulation clinique du Cégep de Sainte-Foy.
- Une salle de contrôle où les opérateurs et le professeur interagissent durant la simulation et effectuent les enregistrements vidéo.
La salle de contrôle. Le professeur et l’opérateur peuvent suivre le déroulement de la simulation grâce à la vitre sans tain et interagir avec l’étudiante par micro.
- Une salle de débreffage où les étudiantes observent leurs collègues durant la simulation. C’est également dans ce local que se déroule le débreffage de l’étudiante à l’aide des séquences vidéo.
L’écran de visionnement dans la salle de débreffage permet aux étudiantes de voir leur collègue pendant la simulation. Elles disposent de plusieurs prises de vue sur la salle. Lors du débreffage, les séquences vidéo enregistrées sont projetées sur ce même écran.
La salle de débreffage est également dotée de caméras. L’enregistrement des séances de débreffage sert à la formation des professeurs et nous permet d’assurer une rétroaction sur nos interventions et de nous améliorer.
La caméra de l’entrée principale.
Tout au long de la démarche d’acquisition du matériel haute fidélité, l’équipe de professeurs du Cégep s’est assurée que la considération pédagogique demeure centrale.
Une salle dotée de matériel de haute technologie n’est qu’une salle avec des outils très performants, sans plus. Que prévoyons-nous faire de tout ce matériel pour développer les compétences des étudiantes?
Le déroulement des simulations
L’approche que notre Département a retenue est une scénarisation évolutive avec le même patient. Les étudiantes ne doivent pas intervenir de la même façon à chaque scénario, mais plutôt utiliser ce qu’elles ont vu du scénario précédent et appliquer des interventions spécifiques à leur propre simulation. Pour un groupe de 6 étudiantes, cela nous permet de voir 6 problématiques dans la même journée. Dans notre design pédagogique, chaque simulation se déroule en 3 étapes.
Les 3 phrases du design pédagogique de la simulation clinique en soins infirmiers au Cégep de Sainte-Foy.
Phase 1 – Activation des connaissances
À l’aide d’un questionnaire que les étudiantes doivent remplir au préalable, nous révisons les différents aspects théoriques et pratiques relevant d’une situation similaire à celle qu’elles rencontreront pendant la simulation. J’effectue un tour de table pour valider les réponses des étudiantes et offrir des précisions, au besoin.
Phase 2 – Simulation par immersion clinique
Les étudiantes passent à tour de rôle dans la salle de simulation afin de réaliser des interventions infirmières. Avant de commencer, l’étudiante dispose de 5 minutes « au poste » pour prendre connaissance du dossier du patient, comme elle le ferait normalement en commençant son quart de travail. La simulation dure environ 20 minutes, mais même le temps peut être simulé (un scénario peut se dérouler de nuit, par exemple). Dans la salle de contrôle, j’interagis avec l’étudiante en faisant parler le mannequin ou en jouant le rôle d’un médecin au téléphone, selon ce que prévoit le protocole.
Les simulations sont filmées sous différents angles. Dans la salle de contrôle, je demande à la personne qui m’assiste de placer des signets à des moments clés de la simulation afin de revenir à ces séquences précises lors du débreffage. Les vidéos nous permettent de pointer les passages faisant appel aux habiletés ciblées dans le scénario que l’on souhaite développer chez l’étudiante.
Caméra moniteur cardiaque et caméra latérale.
Caméra autopsie
Salle de contrôle
Pendant ce temps, les autres étudiantes visionnent la simulation sur grand écran dans le local adjacent. Elles doivent être attentives aux techniques de soin de leur collègue et noter les bons et les moins bons coups dans la grille d’évaluation que je leur ai remise.
Phase 3 – Débreffage et rétroaction par les pairs
L’étudiante rejoint le groupe pour la période de débreffage, qui s’inspire de la méthode PEARL. Le débreffage se divise en 3 étapes:
- Autoévaluation
- L’étudiante est invitée à exprimer ses sentiments et à s’autoévaluer. Ce moment peut comporter une grande charge émotive, surtout si la simulation s’est moins bien déroulée. Certaines étudiantes pleurent; d’autres sont déçues de leur performance et l’expriment par l’humour ou la frustration. C’est une étape essentielle pour libérer les émotions avant d’amorcer le débreffage et de recevoir la rétroaction par les pairs.
- Facilitation
- Cette étape consiste à faire ressortir le cadre d’intervention de l’étudiante en repérant ce qu’elle mobilise comme connaissances théoriques, pratiques et expérientielles pour arriver à une solution face aux problèmes rencontrés lors de la simulation. Pour y parvenir, je lui pose des questions ouvertes liées aux habiletés pointées par le scénario. L’étudiante doit justifier ses interventions en lien avec sa compréhension de la matière. J’utilise aussi des segments de l’enregistrement vidéo pour que l’étudiante revoie les actions posées et en explique le raisonnement sous-jacent. Certaines questions sont plus confrontantes, mais l’étudiante doit trouver par elle-même comment modifier ses pratiques dans le futur. Il ne s’agit pas de faire de la rétroaction, mais de guider la réflexion de l’étudiante de manière formative.
- Rétroaction
- La dernière étape du débreffage consiste en une appréciation par les pairs sur des éléments techniques, par exemple :
-
- Les méthodes de soins
- Le protocole de soins
- L’utilisation du matériel
- Les questions posées au patient
Ces interventions se veulent constructives. Les étudiantes observatrices doivent soulever ce que leur collègue a fait de bien. C’est d’autant plus essentiel que les étudiantes qui sortent de la simulation ont tendance à être bien plus sévères envers elles-mêmes que ne le sont les professeurs et les autres étudiantes.
Au plan pédagogique, le débreffage est la partie plus importante. Il favorise la rétrospection et c’est à ce moment que l’étudiante se rend compte de ses forces et de ses besoins de perfectionnement. En confiant aux autres étudiantes la responsabilité d’évaluer les techniques de soin de leur collègue, je peux me concentrer sur le cadre pédagogique en observant les habiletés de l’étudiante dans la salle de simulation.
Permettre les erreurs pour soutenir les apprentissages
Le mannequin haute fidélité offre la possibilité à l’étudiante de constater ses erreurs. Si elle identifie mal ses symptômes ou lui administre le mauvais dosage, l’état du mannequin se détériorera. Le moment du débreffage devient alors une occasion d’apprentissage. Mon rôle n’est pas de dire à l’étudiante ce qu’elle a fait de mal, mais de la questionner sur le cadre de référence qu’elle utilise afin de comprendre pourquoi elle a posé certaines actions. Les questions ouvertes permettent d’approfondir cet aspect. Elles lui donnent l’occasion de recadrer son schème de pensée et d’améliorer son jugement clinique pour le transposer, éventuellement, en contexte de stage.
L’étudiante est à même de constater les conséquences de ses erreurs en visionnant certaines séquences vidéo. Je présente les séquences importantes indépendamment de leur succès ou de leur échec.
Il arrive que des étudiantes remettent en question une intervention parfaitement exécutée en visionnant un extrait de leur simulation. Dans tous les cas, je laisse l’étudiante s’exprimer et faire l’analyse de son intervention avant de valider sa démarche ou de revenir ce qui devrait être amélioré.
Si je constate une erreur grave, j’effectue un rappel des bonnes pratiques en plénière. À l’occasion, il m’arrive de donner une « prescription pédagogique » pour que l’étudiante revoie certains éléments théoriques plus en profondeur.
Des développements à suivre en simulation clinique
Une recherche PAREA est en cours au Cégep de Sainte-Foy en collaboration avec le Cégep de Sherbrooke. Elle vise à évaluer l’effet d’une séquence d’enseignements évolutifs en cardiologie assistés par la simulation clinique. Les résultats de cette recherche seront publiés en 2017.
De plus, un Comité de simulation interdisciplinaire a été créé dans notre collège. Il rassemble 3 programmes en santé :
- Le département d’inhalothérapie
- Le département des soins préhospitaliers d’urgence
- Le département des soins infirmiers
Les enseignants de ces 3 programmes ont reçu une formation sur la manière de construire un scénario de simulation clinique et sur les bonnes pratiques de débreffage. Le Comité leur sert de pilier pour les aider à développer et à bonifier leurs scénarios lors du processus de pilotage. Notre souhait, d’ici septembre 2018, est d’implanter la simulation comme activité pédagogique dans notre cursus de cours pour toutes les étudiantes du programme de soins infirmiers.
Bravo M Brunet, quel beau travail et très « pratico-pratique »…. Félicitations!
Bravo, Yvon, beau travail, c’est très inspirant. J’ai très hâte de voir les résultats de la recherche.