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28 mai 2019

Un cours multidisciplinaire pour initier les étudiants à la démarche scientifique en Sciences de la nature

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Comment préparer les étudiants en Sciences de la nature à la complexité des problèmes qu’ils auront à résoudre tout au long de leur vie, comme scientifiques et comme citoyens? Dans un cours multidisciplinaire obligatoire pour les étudiants du profil Environnement, vie et société, mes collègues et moi misons sur l’apprentissage par problèmes. Nous nous basons sur des enjeux environnementaux d’actualité pour offrir aux étudiants des situations d’apprentissages authentiques et contextualisées.

Caroline Dupont a animé, avec son collègue Frédéric Parrot, un atelier au sujet du cours Environnement lors du colloque de l’AQPC en 2018.

Le cours Environnement

Au Cégep de Sainte-Foy, le programme Sciences de la nature est entre autres offert dans un profil Environnement, vie et société. L’un des cours de ce profil, le cours Environnement, est un cours multidisciplinaire donné par des enseignants de 2 disciplines (biologie et chimie ou physique). Le cours cible la compétence « Appliquer une démarche scientifique dans un domaine propre aux sciences de la nature ».

Chaque année, le cours s’axe autour d’un thème d’actualité à saveur environnementale. Les enseignants choisissent des thèmes qui suscitent des discussions et des débats au sein de la communauté:

  • le projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada
  • l’état de santé du fleuve Saint-Laurent
  • l’approvisionnement en eau potable de la ville de Québec

Les îlots de rationalité interdisciplinaires

Le thème est analysé avec la méthode des îlots de rationalité interdisciplinaires (IRI), un modèle de Gérard Fourez, présenté par Chantal Pouliot et Audrey Groleau dans un article de la revue Pédagogie collégiale. (L’idée derrière les IRI est de « faire émerger un îlot de rationalité dans une mer d’ignorance ».) Ce modèle a été l’étincelle qu’il me fallait pour structurer le cours tel que je l’imaginais.

Le modèle des IRI amène les étudiants à traiter une problématique dans une démarche qui s’apparente beaucoup à la démarche scientifique, ciblée par la compétence du cours. En résumé, les étapes à suivre sont :

  1. Le cliché

    Les étudiants partagent leurs connaissances et opinions préalables sur le sujet. Dans le cours Environnement, nous demandons à chaque équipe de produire un schéma de concepts structurant ces éléments.

  2. Le panorama

    Les équipes dressent une liste des paramètres à considérer pour traiter le sujet et pour lesquels ils pourraient avoir besoin de faire des recherches d’informations) :

    • acteurs
    • enjeux
    • normes
    • concepts scientifiques

    Des étudiants en classe.

  3. La clôture de la démarche

    Chaque équipe choisit l’angle sous lequel elle abordera le thème, le sujet précis auquel elle s’intéressera. Elle dresse un plan d’action. Les étudiants font des visites sur le terrain, des recherches documentaires. Des experts peuvent être contactés ou invités à venir en classe.

    Des étudiants recueillent des échantillons d’eau de la rivière Saint-Charles.

    Dans le cours Environnement, les étudiants produisent des fiches témoins, qui font office de fiches bibliographiques synthétisant l’information recueillie dans chaque source d’informations.

  4. La synthèse

    Afin de partager l’information recueillie, chaque équipe produit une fiche synthèse, qui s’apparente à une affiche scientifique. Les équipes font également des présentations orales en table ronde, en groupe. Finalement, avec toute l’information en main, les étudiants prennent individuellement position au regard de la controverse étudiée. En fonction de la question finale posée, ils doivent prendre parti pour ou contre, ou encore émettre une recommandation en lien avec l’enjeu abordé. Chaque étudiant produit un texte argumentatif pour présenter sa position, appuyée par les recherches.

  5. L’action

    Afin de faire rayonner le travail des étudiants à l’extérieur de la classe, nous leur proposons à la toute fin du cours de partager leur réflexion avec des personnes ou instances impliquées. Sur une base volontaire, ils sont invités à transmettre leur avis, par exemple :

    • aux élus municipaux lors d’une séance de conseil municipal
    • à leurs concitoyens dans une lettre ouverte dans un journal
    • aux autres étudiants lors du Symposium des finissants en Sciences de la nature
  6. Vous pouvez consulter le calendrier du cours et la liste des critères d’évaluation.

    Miser sur les controverses socioscientifiques permet d’ancrer le cours dans le réel : dans l’actualité, dans ce dont on entend parler dans les médias. Ça interpelle les étudiants. Ça les prépare également à participer aux débats de société: les scientifiques ont à jouer un rôle qui s’étend à l’extérieur de leur laboratoire. À mon avis, les scientifiques doivent prendre part aux débats sociaux, aux décisions, à l’éducation… J’ai envie de participer à la formation de professionnels scientifiques engagés dans leur milieu.

    Car, trop souvent les élèves n’ont pas l’impression que les cours de sciences sont destinés à leur faciliter le décodage de leur monde à eux, mais plutôt qu’ils sont uniquement destinés à les faire entrer dans le monde des scientifiques.

    Gérard Fourez (1997)

    La force du cours est de contextualiser les apprentissages. Les thèmes sont analysés de façon multidisciplinaire, à l’intérieur et à l’extérieur des sciences naturelles. Ainsi, on s’intéresse non seulement aux différentes disciplines scientifiques impliquées (chimie, biologie, physique), mais aussi à tous les autres aspects de la problématique : économiques, politiques, sociaux… Mes collègues enseignants titulaires du cours et moi ne sommes évidemment pas spécialistes de tous les domaines! Mais notre travail n’est pas d’être experts en tout : c’est d’accompagner les étudiants dans leur démarche d’apprentissage; de leur enseigner à apprendre. D’ailleurs, notre évaluation porte surtout sur la qualité de la démarche, le processus.

    La formule du cours est souvent déstabilisante pour les étudiants, car celle-ci est moins axée sur « qu’est-ce que je dois connaître et reproduire sur une copie », mais plus dans l’action. Les étudiants ont besoin de temps avant d’être à l’aise dans la formule, mais, au final, ils se sentent plus impliqués dans le cours et en parlent avec leur entourage à l’extérieur, ce qui fait évoluer la discussion.

    Des étudiants au Marais-Léon-Provancher, une réserve naturelle près du lieu prévu de passage de l’oléoduc Énergie Est.

    Un outil pour la recherche documentaire : la gestion bibliographique avec Zotero

    Les activités de recherche sont au cœur du cours. Pour faciliter l’organisation des sources et le partage des références entre les membres d’une équipe ou avec les enseignants, nous formons les étudiants à l’utilisation de Zotero.

    Zotero, un logiciel libre, permet entre autres d’insérer des références dans des documents Word et de générer automatiquement une bibliographie dans ces documents, ce que les étudiants apprécient énormément. Le commentaire qu’ils font le plus souvent est « Pourquoi on ne nous a pas montré ça avant? » Ils savent alors l’utiliser pour tous leurs cours au cégep et ils pourront l’utiliser à l’université!

    Apprendre à travailler en équipe

    Les étudiants travaillent en équipe pendant toute la session. Le travail d’équipe occupe une place centrale dans le cours. Nous tenons à ce que les étudiants développent des habiletés à cet égard, habiletés qu’ils pourront réutiliser pendant tout leur parcours. Nous les référons entre autres à la trousse de survie au travail d’équipe, sur le site de notre Cégep.

    La formation des équipes, dès la première semaine, est une étape importante. Nous prenons cela au sérieux. Nous invitons les étudiants à faire preuve d’introspection : réfléchir au type de coéquipier qu’ils sont, à leurs atouts et à leurs limites comme membre d’une équipe. Nous organisons une séance de team dating pour permettre à chacun de choisir les coéquipiers qu’ils jugent comme étant les plus complémentaires à leur profil.

    Les habiletés des étudiants pour le travail d’équipe font l’objet d’évaluations sommatives : autoévaluation et évaluation par les pairs, ainsi qu’évaluation par les enseignants.

    Pour partager les documents à l’intérieur de leur équipe et avec moi, j’encourage les étudiants à utiliser un outil adapté au travail collaboratif. Par le passé, nous avons utilisé Dropbox, mais Google Drive pourrait aussi être une plateforme intéressante pour faciliter le travail en simultané.

    Transférabilité

    À mon avis, le modèle des IRI pourrait s’appliquer dans n’importe quel cours dans lequel on cherche à développer une démarche de recherche, à l’échelle d’un petit ou d’un gros projet. Voyez-vous comment vous pourriez l’intégrer dans les cours que vous donnez?

À propos de l'auteure

Caroline Dupont

C’est avec une vision décloisonnée des sciences que Caroline Dupont enseigne la chimie au Cégep de Sainte-Foy depuis 10 ans. Elle voit la chimie comme un des outils permettant d’aborder notre environnement à toutes les échelles. Son bagage scientifique est varié: majeure en géologie (UQAM), baccalauréat et maîtrise en chimie (UQAR et Université Laval) et des travaux en océanographie (Institut des Sciences de la mer à Rimouski). Ce qui la motive au quotidien est d’amener les étudiants à développer leurs habiletés scientifiques dans des situations authentiques afin de favoriser leur engagement dans leur milieu.

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Alain Toutloff
Alain Toutloff
6 juin 2019 13h34

Article très intéressant, et qui décrit un projet qui pourrait très bien s’articuler dans le prochain programme de Sciences de la nature…