Le Cégep de Sainte-Foy démarrait, il y a bientôt 4 ans, un profil technoscientifique en Sciences de la nature et dans lequel chaque étudiant utilise un ordinateur portable dans ses cours. Le récit qui suit est tiré principalement d’un témoignage donné par André Girard, professeur de Physique dans ce profil, lors d’une rencontre du réseau des répondantes et répondants TIC, en 2003, au Cégep de Sainte-Foy. Il relate l’expérimentation pédagogique telle qu’il l’a vécue alors. Grandement apprécié par les participants, il avait été convenu de rendre son témoignage éventuellement disponible. Les propos ont été recueillis par Denis Thibault, membre de l’équipe Animaweb.
Est-il vrai d’affirmer qu’il suffit de mettre le professeur en contact avec les technologies éducatives, notamment celles de l’informatique, pour que sa pédagogie se transforme?
Si le prof ne veut rien changer à son enseignement et qu’il veut introduire un outil technologique comme le portable dans sa classe, ça ne marche pas, c’est difficile. L’arrivée des outils technologiques doit être accompagnée de changements majeurs dans sa pédagogie. De quelle nature doivent être ces changements? Ça dépend du degré de transformation que l’on souhaite.
André, tu es connu depuis plusieurs années de par ta longue expérience de formateur et de conférencier en matière de TIC. Tu enseignes maintenant dans un programme de sciences où chaque élève fait l’usage d’un portable en classe. Ta pédagogie en a t-elle été modifiée?
Au Cégep de Sainte-Foy, on croit à une approche centrée sur l’apprentissage et soutenue adéquatement par la technologie. Aussi, y a t-on introduit le profil Pasc@l, un profil technoscientifique en Sciences de la nature. Ça se passe en physique, mais aussi dans toutes les autres disciplines. Ce qui m’a permis d’expérimenter mes croyances pédagogiques.
Avec l’enseignement classique, la pédagogie préconisée place le maître en avant de la classe et lui fait diffuser son savoir, vous savez cela. Le prof est alors maître de sa classe, il possède la connaissance et la diffuse. Il y a du contrôle là-dedans. Le prof contrôle son groupe classe, personne ne parle, tous sont à l’écoute et il est content de cela. Beaucoup d’enseignants au collégial se sentent à l’aise dans cette situation d’enseignement. Alors, quand il faut changer ses modes d’intervention, ça devient difficile… Avec les nouvelles approches pédagogiques, on le sait, il faut moins maintenant se soucier de l’enseignement et davantage se soucier de l’apprentissage. C’est ce que j’essaie de faire maintenant avec mes élèves. Je sais qu’il faut que ça vienne d’eux. Il faut centrer toutes nos interventions sur l’apprenant et il faut canaliser nos énergies sur ceux qui ont de la difficulté dans leurs apprentissages. Ceux pour qui tout va bien, forçons-les à aller plus loin.
Pour moi, dans Pasc@l, ça se traduit donc par une certaine perte de contrôle et l’acceptation d’une pédagogie dans laquelle je ne maîtrise pas à l’avance ce qui va se passer et qui peut engendrer de l’insécurité. Il faut devenir capable de gérer des situations, des problèmes auxquels on n’est pas habitué. L’enseignant pour qui tout est prévu à l’avance, dont les examens sont conçus depuis longtemps et pour qui tout semble bien aller, cet enseignant n’aime habituellement pas modifier sa façon de faire. En ce qui me concerne, je suis allé très loin.
Peux-tu nous parler davantage de l’approche pédagogique que tu as développée?
Dans Pasc@l, j’ai appliqué intégralement l’approche par compétences. J’ai voulu que la plus grande partie de l’enseignement vienne des pairs. J’ai décloisonné les cours en y plaçant tout au plus une heure de théorie par semaine. Il y a donc surtout des activités d’apprentissage, du travail en équipe avec leur portable autour de problématiques que je leur fournis. Pour moi, la meilleure façon d’apprendre c’est de verbaliser, de dire les concepts, de les exprimer par différents moyens (papier, ordinateur, etc.), d’échanger avec les autres et de confronter ses idées. L’utilisation seule de la technologie ne peut donc pas permettre d’arriver à des résultats intéressants. Il faut plutôt miser sur une conjonction de différents moyens. En ce qui me concerne, c’est donc : équipe de travail, pédagogie magistrale d’une heure par semaine (quand les besoins sont identifiés et qu’il y a des difficultés d’apprentissage) avec retour sur la matière. Le véritable rôle du pédagogue est d’aller vérifier les points faibles et de travailler sur cela.
Grâce au fait que je donne moins de cours magistral en classe, je peux davantage observer ce qui se passe lors des activités d’apprentissage en équipe. Je vois alors que certains élèves peuvent cheminer plus vite que d’autres. Je leur propose alors des activités particulières leur permettant d’aller plus vite dans leurs apprentissages. Puis, en fonction de la progression que je constate, je vérifie avec eux l’atteinte de la compétence et, le cas échéant, je les autorise à ne plus assister au cours. C’est ce que j’appelle l’apprentissage asymétrique.
Cette approche suppose également de devoir couper dans la matière prévue au devis de cours, parce qu’il y en a souvent beaucoup trop, et d’aller chercher l’essentiel. En effet, le rythme d’une pédagogie centrée sur l’apprenant est généralement plus lent que celui d’une pédagogie centrée sur l’enseignant qui contrôle la diffusion du contenu et qui s’imagine en même temps que les élèves ont compris. Ils n’ont pas compris, il récite… Là encore, il y a une perte de contrôle.
Cela a-t-il également eu des incidences sur tes pratiques d’évaluation?
Pour aller plus loin encore, il faut changer ses pratiques d’évaluation. C’est pas un cadeau ça… Les examens, l’attribution des notes, tout cela doit changer. J’ai expérimenté l’approche par compétences poussée à son maximum. C’est-à-dire l’évaluation formative pendant toute la session, rien de sommatif tel que devoir et autre évaluation du genre qui compte pour 5 ou 10 points sur la note finale. Pour moi, ce n’est pas bon pédagogiquement. Ça rassure les élèves et ça sécurise le prof. L’élève demande alors souvent : est-ce que ça compte pour l’examen? Il n’apprend pas alors pour lui-même, il apprend pour le prof. Moi, j’ai décidé d’annoter les copies en utilisant des lettres (A, B, …) au lieu de mettre des points. Outre l’épreuve certificative de la fin, il n’y a que deux épreuves formatives formelles. Vous imaginez le changement de perspectives en sciences! Je ne parle donc plus de notes, mais d’indicateurs du cheminement scolaire. En misant plutôt sur le caractère formateur de l’évaluation, je peux voir et agir autrement sur la progression des élèves. Cela me permet de me concentrer sur la réussite des élèves, sur ceux qui sont en difficulté en leur proposant des activités et des exercices de renforcement.
L’épreuve finale est donc pour moi certificative. A-t-il oui ou non atteint la compétence? La somme des notes peut-elle avec certitude me permettre de conclure à l’atteinte de la compétence par un élève? Dans ce type d’examen, ils ont droit à leur portable et aux outils didactiques qu’ils ont construits.
Pourquoi utiliser l’ordinateur lors des activités d’évaluation?
L’utilisation du portable permet à l’élève de construire un portfolio. À la toute fin du cours, chaque élève doit avoir construit un portfolio électronique qui constitue la somme de ce qu’il juge important pour son apprentissage, ce que j’appelle ses outils didactiques. Lors de l’épreuve finale, il peut utiliser ce portfolio.
L’ordinateur permet d’introduire l’évaluation de situations complexes où le « par cœur » compte beaucoup moins. Reproduire par cœur les éléments de connaissances que le prof a déjà donnés rend-t-il compte d’un apprentissage? Au collégial, il ne faut pas hésiter à monter le niveau des habiletés qui est demandé. En ce sens, si l’on fait appel à la taxonomie de Bloom , il faut davantage évaluer les connaissances de type analyse et autre. La Taxonomie du domaine cognitif de Bloom et. al. (1969) Les six niveaux propres à cette taxonomie sont: 1) connaissances, 2) compréhension, 3) application, 4) analyse, 5) synthèse et 6) évaluation.
Évaluer ainsi, c’est aussi faire confiance à l’élève et le rendre responsable de ses apprentissages.