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16 décembre 2013

Utiliser son blogue personnel en classe de physique

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

En tant qu’enseignant, il est parfois difficile de tracer une frontière entre notre vie personnelle et la partie de nous que nous choisissons de dévoiler à nos étudiants. En ce qui me concerne, ma décision d’utiliser mon blogue personnel en classe a fait une réelle différence dans l’enseignement que j’offre à mes étudiants, sans envahir ma vie privée.

Comment ça a commencé

J’ai toujours été intéressé par des sujets comme la recherche de vie extraterrestre et les voyages spatiaux. Je suis heureux de pouvoir dire que, même si j’ai quelques amis qui sont ingénieurs, j’ai aussi plusieurs amis très chers en dehors de ce domaine. Pourtant, à un certain moment, j’ai ressenti le besoin de m’exprimer sur les sujets qui m’intéressaient et, comme je ne pouvais pas nécessairement le faire avec mon entourage immédiat, l’idée d’un blogue m’a semblé séduisante.

J’ai eu l’aide d’un ami pour mettre sur pied mon blogue sur Blogger en 2010, mais la procédure est très simple et, depuis, j’ai aidé plusieurs personnes à démarrer leurs propres blogues. Ça prend environ 45 minutes. La partie la plus difficile pour moi a été de trouver un nom qui n’existait pas déjà. J’ai opté pour The Engineer’s Pulse que l’on peut traduire par « L’impulsion de l’ingénieur ».)

Capture d'écran de la page d'accueil du site web The Engineer's Pulse

Sur le site du blogue de l’auteur, la page d’accueil est une invitation pour les visiteurs de l’extérieur. L’onglet For Physics student cible les étudiants de physique.

Susciter une conversation en ligne

J’ai enseigné pendant plus d’un an sans parler de mon blogue à mes élèves. J’écrivais à propos de mes intérêts en dehors de la physique, en visant un public général. Toutefois, rapidement, je me suis surpris à écrire avec, en tête, un lecteur de 18 ans ayant un intérêt pour la science, puisque c’est l’auditoire devant lequel je me retrouve tous les jours dans le cadre de mon travail.

Avant longtemps, au lieu d’écrire à propos de n’importe lesquels de mes intérêts, j’ai commencé à écrire à propos du contenu que j’enseignais. J’avais été un ingénieur, c’était ma vie, mais, soudainement, j’étais devenu un enseignant, et l’enseignement s’est retrouvé à l’avant-plan. Avant, je n’aurais pas écrit à propos de la façon dont F = ma affecte nos vies et nos idées, mais, soudainement, c’était devenu tout naturel pour moi de le faire. C’était seulement une question de temps avant que je n’intègre mes articles de blogue à mes cours.

Le passage de la théorie à la pratique, cependant, ne se fait pas toujours avec grâce. Mon premier essai a été de lire devant ma classe une copie papier de l’un de mes articles. L’article semblait propice à susciter la controverse puisque le titre était « La relativité de la religion » (j’enseignais la relativité dans le cours Ondes, optique et physique moderne, en Sciences de la nature). Toutefois, la réaction des étudiants a été, disons, « terne ».

Depuis l’hiver 2013, je demande à mes étudiants de lire mes articles avant d’arriver en classe. Ce ne sont pas des textes très techniques. Il n’y a pas beaucoup d’équations ou de chiffres. J’essaie d’entrer en profondeur dans un concept, et mon public cible est quelqu’un qui n’est pas inscrit à mon cours, quelqu’un qui n’a jamais étudié en sciences, mais qui veut apprendre un peu de physique. Ainsi, je peux aisément donner ces textes à lire à mes étudiants avant les cours, même s’ils ne sont pas encore familiers avec les sujets traités.

Je demande aux étudiants de noter, avant le cours, leurs pensées sur le sujet de l’article dans leur « journal de physique » en format papier. Ensuite, on peut commencer le cours sur ce sujet. Ces journaux sont une idée relativement nouvelle pour moi. J’aurais pu demander aux étudiants d’écrire leurs réactions ou leurs opinions sous forme de commentaires aux articles de mon blogue, mais m’y retrouver à travers un si grand nombre de commentaires serait un peu laborieux. Avec les journaux papier, je peux suivre la progression des étudiants.

Quand j’attribue les notes, je considère deux critères : « Est-ce que ça a été fait à temps? » et « Est-ce que ça a été fait sérieusement? ». La note associée au blogue n’a pas une valeur très importante par rapport à la note totale du cours, et ces devoirs ne sont pas longs, mais j’ai espoir que ces exercices font une différence quand vient le temps des examens.

Au final, les étudiants font certains commentaires sur mon blogue de temps à autre, même s’ils ne sont pas tenus de le faire. Comme le blogue est un espace public, il est arrivé que des commentaires écrits par des étudiants suscitent des réactions chez des gens d’aussi loin que l’Europe. Subitement, ils se retrouvent engagés dans une conversation en ligne!

Depuis les 3 dernières années, je tente d’ajouter chaque semaine un article à mon blogue. Je tiens le rythme, avec plus de 140 articles d’environ 1000 mots chacun. J’aime écrire des articles où je creuse un sujet en profondeur, sous un angle philosophique, en utilisant différents points de vue. J’écris aussi des articles qui traitent d’événements d’actualité en physique et en ingénierie (comme les recherches visant à atteindre des températures inférieures au 0 absolu, un exploit réalisé récemment en laboratoire, ou le futuriste projet de la NASA visant à voyager plus vite que la lumière en manipulant l’espace autour d’un vaisseau).

Apprendre par l’expérience

Le fait d’écrire dans mon blogue m’a appris plusieurs choses. Premièrement, que vous impliquiez votre classe ou non, vous devez être intéressés par ce que vous écrivez. C’est facile de commencer (et il n’y a pas de pression pour que vous continuiez), mais c’est à mon avis la seule façon pour vous de voir votre lectorat grandir.

Le fait d’avoir un blogue produit des résultats inattendus. Vos étudiants (ou, du moins, certains d’entre eux) vous voient sous un angle plus humain, puisqu’ils interagissent avec vous à l’extérieur de la classe en lisant activement votre travail. C’est là que vous pouvez créer pour votre sujet un intérêt qui dépasse la matière abordée en classe. Dans mon cas, j’ai même pu garder contact avec certains de mes étudiants qui ont obtenu leur DEC et qui ont gardé la tête à la science. Les commentaires sur The Engineer’s Pulse permettent aux étudiants de développer un enthousiasme pour la science qui sort de la classe!

À l’hiver 2013, mon blogue est devenu un site référencé sur l’espace personnel de Profweb. J’invite tous les lecteurs de Profweb qui connaissent un peu l’anglais à aller visiter mon blogue et à commenter les articles. Devenez accro à la science!

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Émilie Lavery
Émilie Lavery
6 janvier 2014 16h24

Merci , monsieur Cohen, de lire ainsi la phrase suivante dans le commentaire précédent: « Ce même penseur rappelle combien un enseignement structuré par et sur l’enseignant (on en parle trop peu !) a de l’importance.» Distraction de décembre!

Émilie Lavery
Émilie Lavery
18 décembre 2013 20h55

Monsieur Cohen, Vous rejoignez ici le plaidoyer de Normand Baillargeon dans Turbulences ( PUL, 2013) . Par votre blogue, vous mettez en valeur le rôle joué par la littératie scientifique. Pour ce philosophe de l’éducation, la physique devrait être enseignée à tous. Votre blogue, conçu pour « quelqu’un qui n’a jamais étudié en sciences », permet cette transmission culturelle au néophyte. « La science et la technologie sont et seront au coeur de la plupart des enjeux et des défis que nous réserve le futur – énergie nucléaire, énergies fossiles, cellules souches, pandémies virales, réchauffement planétaire, vaccination et ainsi de suite. », remarque-t-il (p.23) C’est pourquoi il défend l’importance d’une physique « citoyenne ». Ce même penseur rappelle combien un enseignant structuré par et sur l’enseignant (on en parle trop peu !) a de l’importance. C’est l’enseignant qui donne un sens au savoir et qui en reliant les techniques au savoir en expose la hiérarchie. Je suis tentée de vous imiter avec votre blogue . Il ne me reste que quelques années dans l’enseignement. Démarrer un tel blogue dans mes cours de littérature serait une façon d’envisager mon legs. Je commencerai d’abord par me ressourcer avec l’essai d’Yvon Rivard : Aimer, enseigner (Boréal), ensuite j’irai observer votre site pour vous imiter ! Merci, et bravo pour votre témoignage!