État de la question
Selon les statistiques citées dans le rapport La réussite au cégep: regards rétrospectifs et prospectifs [PDF], de la Fédération des cégeps, parmi les personnes inscrites au cégep et dont la moyenne générale au secondaire est inférieure à 70 %:
- 80% abandonnent ou échouent à au moins un cours durant leur 1re session
- 50 % peinent à réussir la moitié des cours auxquels elles sont inscrites
Les conséquences d’un échec en 1re session au collégial sont nombreuses:
- retard dans le cursus scolaire
- changement d’orientation
- abandon des études
- etc.
Comme l’écrivent entre autres Bandura (2007), Gaudreau (2013) et Viau (2009), un échec, surtout en début de parcours, ébranle la confiance en soi et se traduit bien souvent par un manque de motivation et un désengagement précoce de la part des élèves.
En m’appuyant sur les travaux de Bélec (2018a) et Lussier (2004) [PDF], j’en suis arrivée à la conclusion que les élèves ont besoin de recevoir un meilleur soutien durant leur 1re session au collégial. Je me suis donc questionnée sur les pratiques efficaces à mettre en place pour leur permettre d’expérimenter une transition plus positive à leur arrivée au cégep.
Mon défi pédagogique
J’enseigne la biologie au Collège de Rosemont. Les étudiantes et étudiants de Soins infirmiers sont ma principale clientèle.
J’ai déployé mon projet dans le cours Anatomie et physiologie humaines I, qui se donne à la 1re session. Il est préalable à 3 cours obligatoires offerts à la 2e session.
Le taux de réussite de ce cours étant très faible, le Collège de Rosemont le considère comme un cours écueil. (Au collège de Rosemont, un cours écueil est un cours dont le taux d’échec est élevé, de façon récurrente.) Or, le fait d’échouer au 1er cours de biologie amène les personnes étudiantes à retarder d’une année leur cursus scolaire ou à modifier leur choix de carrière.
Je remarque également que l’échec aux évaluations ébranle fortement le sentiment d’efficacité personnelle (SEP). Dans la littérature scientifique, on considère le SEP comme étant la perception de la capacité chez la personne à organiser et à exécuter les actions requises pour réaliser une tâche spécifique (Bandura, 2007; Gaudreau, 2013 [PDF]). Comme le soulève Viau (2009), cette baisse du SEP se traduit bien souvent par un manque de motivation et de persévérance scolaire.
Le cours Anatomie et physiologie humaines I a déjà subi plusieurs «rénovations». Une rénovation est une réactualisation d’un cours menant à modifier certains contenus et certaines activités d’enseignement, d’apprentissage ou d’évaluation dans le but de s’adapter aux changements des acteurs impliqués et de l’environnement d’apprentissage (Lison et al., 2014). Dans le cas du cours Anatomie et physiologie humaines I, il s’agissait de bonifier et d’arrimer les contenus, la séquence, les activités d’apprentissage et l’évaluation. Toutefois, ces modifications n’ont pas permis d’améliorer le taux de réussite de façon notable. Plusieurs facteurs semblent avoir un effet cumulatif sur la réussite des étudiants et étudiantes (Bélec, 2018a [PDF], 2018b; Boivin et al., 2022 [PDF]; Gagnon, 2014 [PDF]; Gaudreault et Normandeau, 2018 [PDF]):
- des lacunes en sciences
- une charge de travail très élevée
- un manque de temps, d’organisation et de stratégies cognitives efficientes
- une surutilisation de stratégies d’encodage plus ou moins efficaces au cégep
- des difficultés en français
- etc.
Parmi ces facteurs, ce sont les compétences des élèves concernant la lecture des consignes qui ont particulièrement retenu mon attention [PDF].
Je remarque que lorsque je questionne les personnes étudiantes à voix haute, une majorité est capable de fournir une réponse explicite me permettant de vérifier qu’elles ont compris. Toutefois, au moment des évaluations écrites, plusieurs personnes étudiantes ne sont pas en mesure de fournir une réponse adéquate aux questions à court développement. Elles fournissent une réponse plutôt superficielle dont le niveau cognitif ne correspond pas à ce qui est attendu au collégial. J’observe qu’une majorité ne respecte pas l’action suggérée par le verbe de l’énoncé servant à guider leur démarche, (par exemple: «expliquer»).
J’ai donc décidé de relever le défi pédagogique en soutenant les étudiantes et les étudiants dans le développement de leur compétence à lire plus efficacement des consignes pour augmenter leur SEP lors des évaluations.
Le cercle vertueux de la réussite
Les écrits de Bandura (2007), Bissonnette et al. (2010) [PDF], Galand et Vanlede (2004), Gaudreau (2013) [PDF], Guy et Huber (2014) et Viau (2009) indiquent qu’un SEP fort amène un sentiment de satisfaction élevé chez les personnes étudiantes. Cet état positif augmente à son tour la motivation, la persévérance et l’engagement, qui, eux-mêmes, favorisent la réussite scolaire et ainsi de suite.
Synthèse du cercle vertueux de la réussite
Le sentiment d’efficacité personnel (SEP)
À la lecture des écrits de Bandura (2007), Gaudreau (2013) [PDF], Guy et Huber (2014) et Viau (2009), il ne fait pas de doute que le SEP représente un facteur déterminant dans la réussite scolaire. Comme le SEP influence positivement la motivation et l’engagement, il n’est pas surprenant que j’observe, dans ma classe, un désengagement précoce de la part de plusieurs personnes étudiantes à la 1re évaluation.
D’ailleurs, selon Bandura (2007), le SEP d’une personne se développe, lorsqu’elle exécute une tâche, à partir de 4 sources importantes, soit:
- l’expérience positive de maîtrise
- l’expérience vicariante
- l’état psychologique et émotif
- la persuasion verbale efficiente
Comme le SEP est relativement flexible, il est possible, dans une certaine mesure, pour une enseignante ou un enseignant au collégial, d’agir sur lui de façon concrète.
La littératie des consignes
Comme l’écrivent Chartrand et al. (2015), au collégial, la consigne de travaux ou d’examens représente un genre textuel qui revient fréquemment. Les objectifs d’apprentissage sont complexes et l’élève doit développer des compétences cognitives adéquates pour appliquer, expliquer, démontrer, analyser, notamment, les différents savoirs. Or, si la personne étudiante rencontre des difficultés à bien comprendre la signification des consignes, il sera difficile pour elle de démontrer fidèlement sa compétence. En effet, selon Dufour et Tessier (2012) [PDF], vous ne pouvez pas tenir pour acquis que vos étudiants et étudiantes ont développé des compétences langagières équivalentes leur permettant de bien comprendre la consigne et de fournir une réponse qui respecte le niveau cognitif attendu.
Élaborer des consignes claires et univoques représente une compétence essentielle pour le personnel enseignant. En effet, la consigne sert à mesurer les apprentissages. Elle entraîne une sanction. Toute équivoque dans une consigne peut fausser le processus de réponse à l’évaluation.
Il serait simpliste de croire que les problèmes de littératie relatifs à la consigne résultent seulement de mauvaises habiletés en lecture. Pour Bélec (2018a [PDF], 2020 [PDF]), il s’agit plutôt d’un manque d’autonomie dans le processus d’apprentissage.
De fait, j’en suis venue à me demander si l’échec de mes élèves à répondre à des questions à développement relevait davantage d’un manque de capacité à comprendre la consigne plutôt que d’un manque de connaissances.
L’enseignement explicite
Gauthier et al. (2013) et Gauthier et al. (2022) décrivent l’enseignement explicite comme une approche pédagogique cognitiviste dans laquelle les apprentissages sont présentés du simple vers le complexe. L’élève apprend en construisant activement ses connaissances et en étant confronté à son environnement.
Pour enseigner de façon explicite, vous devez respecter une séquence structurée:
- le modelage
Rendez explicites les intentions et les objectifs de la leçon ainsi que les connaissances antérieures des élèves. En exécutant la tâche et en énonçant le raisonnement à voix haute, vous faites la démonstration de la procédure à suivre.
- la pratique guidée
Invitez l’élève à mettre en pratique la procédure à suivre, idéalement de façon coopérative. Fournissez une rétroaction appropriée à l’élève.
- la pratique autonome
Fournissez une rétroaction appropriée à l’élève, qui deviendra alors de plus en plus autonome dans sa pratique.
La séquence doit toujours:
- s’ouvrir par une mise en contexte
- se terminer par une évaluation, qui permet de vérifier les acquis
Ce modèle représente un processus itératif qui impose parfois de retourner à l’étape précédente pour consolider les acquis.
Falardeau et Gagné (2012) [PDF] présentent un exemple concret de la façon dont l’enseignement explicite peut s’actualiser en classe pour l’enseignement de stratégies de lecture.
Selon plusieurs études (Boucher et Bouffard, 2015 [PDF]; Gauthier et al., 2013; Guy et Huber, 2014; Hattie, 2012), les élèves qui présentent des difficultés scolaires profitent davantage des bienfaits de l’enseignement explicite.
Cette méthode m’est apparue fort intéressante pour mes étudiantes et étudiants en Soins infirmiers. En lançant mes travaux, j’étais en train de donner la 1re poussée à l’engrenage du cercle vertueux de la réussite.
Dans la pratique: la littératie des consignes s’invite en classe de biologie
Mon innovation repose sur le socle de 3 piliers théoriques:
- le SEP
- la littératie des consignes
- l’enseignement explicite
J’ai décidé d’enseigner explicitement la lecture des consignes à l’aide du schéma d’analyse d’une question à développement conçu par Dufour et Tessier (2012) [PDF]. Mon objectif était de soutenir les personnes étudiantes de 1re session en Soins infirmiers dans le processus d’évaluation et d’agir positivement sur le cercle vertueux de la réussite en augmentant leur SEP.
Mon innovation pédagogique
L’innovation proposée
Le schéma d’analyse proposé par Dufour et Tessier (2012) [PDF] représente une méthode éprouvée et déjà validée par une centaine de personnes enseignantes et quelque 600 élèves du collégial. Ce schéma permet de décortiquer une question à développement à partir de 5 éléments essentiels:
- l’action
- le contexte
- les objets de connaissance
- les caractéristiques de la réponse attendue
- la structuration des objets
Voici la démarche à suivre pour décortiquer une consigne selon Dufour et Tessier (2012) [PDF]:
- Le verbe d’action
Il faut d’abord lire attentivement la consigne et repérer l’action demandée.
Qu’est-ce qu’on me demande de faire: décrire, définir, comparer, etc.?
- Le contexte (mise en situation)
Il faut se demander: quel est le sujet, la situation? De quoi parle-t-on dans cette consigne?
- Les objets de connaissance (ce que j’ai appris)
Il faut se demander: qu’est-ce que j’ai mis en mémoire durant les cours, durant mon étude à ce sujet?
- Les caractéristiques de la réponse attendue (critères)
Il faut se demander: dois-je dessiner un schéma, construire un tableau, dresser une liste, écrire un texte? Combien de mots doit-il contenir?
- La structuration des objets (plan de ma réponse selon le verbe d’action utilisé)
Il faut se demander: quelle action le verbe me demande-t-il de réaliser? Comment dois-je organiser mes objets pour respecter l’action demandée?
Pour vous assurer de la qualité de l’énoncé d’une consigne, vous devriez y inclure ces 5 éléments. Idéalement, l’énoncé ne devrait comprendre qu’une seule action à entreprendre. Vous devriez également avoir rédigé la réponse attendue, qui vous servira de grille de correction, et avoir fixé la pondération.
La structuration des objets représente une étape cruciale dans l’élaboration d’un plan de réponse cohérent. Cette étape dépend directement du verbe d’action identifié précédemment.
Pour pouvoir bien structurer les objets, la personne étudiante doit être en mesure de reconnaître précisément l’action exigée par le verbe. Pour réaliser cette étape importante, elle a besoin d’un glossaire des verbes d’action. Le glossaire que j’ai construit, inspiré de celui de Tremblay (1989), recense tous les verbes d’action que j’utilise dans les évaluations de biologie. Pour faciliter son utilisation par les élèves, je l’inclus en annexe des travaux et des examens.
Ce glossaire détaille chaque action en commençant par une définition. Il précise ensuite l’action demandée par le verbe et les critères de correction qui y sont liés.
Par exemple, pour le verbe «démontrer», la personne étudiante est ainsi amenée à faire la réflexion suivante: «Lorsque mon enseignant ou mon enseignante me demande de démontrer, je dois fournir et ordonner logiquement les preuves et effectuer les liens nécessaires pour soutenir une argumentation, un choix ou une idée en donnant des exemples.» Avec le temps et l’entraînement, 2 mots devraient, sans hésitation, lui venir en tête lorsqu’elle repère le verbe «démontrer» dans une consigne: «preuve» et «liens».
Extrait du glossaire des verbes d’action que j’ai remis à mes élèves
Bonjour Sophie,
Merci pour cet article très intéressant. Je suis professeur des écoles avec ces cm. Je trouve beaucoup d’outils dans cette lecture. Serait-il possible d’avoir le glossaire ?
En vous remerciant par avance.
Vanessa MARECHAL
Bravo et merci