Nomie, un outil qui facilite la création de liens entre les élèves, de façon inclusive et amusante

Je déteste avoir à dire cette phrase : « Pourrais-tu me rappeler ton prénom stp ? »

Ou pire encore : « Toi, au fond de la classe avec le chandail bleu, tu en penses quoi?»

Pourtant, malgré moi, il y a peu de temps, je répétais ces phrases très souvent.

Le fait que je n’étais pas en mesure d’appeler les élèves par leur nom me créait de l’inconfort. Cela m’empêchait de bien les accompagner dans leurs apprentissages. C’est pourquoi, un jour, j’ai décidé que j’allais apprendre le nom de tous mes étudiants et toutes mes étudiantes. Dans la foulée, je me suis intéressée à la relation éducative.

La relation éducative

La relation éducative est la relation entre la personne enseignante et l’élève. Postic (2001) explique que la relation éducative est «l’ensemble des rapports qui s’établissent entre l’éducateur et ceux qu’il éduque, pour aller vers des objectifs éducatifs dans une structure institutionnelle donnée, rapports qui possèdent des caractéristiques cognitives et affectives identifiables, qui ont un déroulement et vivent une histoire» (p.8).

La relation éducative est-elle importante?

Est-ce important de créer des liens? Ce n’est pas facile parce que nous avons un grand nombre d’élèves, parce que nous avons peu d’informations à leur sujet, parce que nous ne les voyons souvent qu’une seule session et que 15 semaines sont vite passées… Pourquoi se casser la tête à vouloir apprendre à connaître nos élèves? Les élèves sont là pour nos cours, pas pour nous, non? Ne devrions-nous pas simplement chercher à offrir de bons cours?

Pourtant, plusieurs chercheurs et chercheuses confirment l’importance de la relation éducative. Par exemple, Chassé (2006) [PDF] écrit «pour nombre d’étudiants, toutes les occasions de relations éducatives s’avèrent importantes, voire cruciales. Ils ont un réel besoin de ce regard humain sur eux» (p.30). Chassé fait également mention du consensus installé en éducation concernant l’impact de la qualité de la relation entre les personnes enseignantes et les personnes étudiantes sur le développement affectif et cognitif de ces dernières.

Buskist, Busler et Kirby, dans un article sur l’engagement des élèves aux études supérieures paru en 2018 [en anglais], mentionnent que développer un lien avec les élèves est l’un des plus précieux investissements que peuvent faire les enseignants et les enseignantes pour améliorer la qualité de leurs cours.

Dans le cadre d’un groupe de discussion (focus group) au printemps 2023, j’ai demandé à 7 élèves de mon cégep si c’était important pour elles et eux de créer des liens avec leurs enseignants et leurs enseignantes. Dans leurs réponses, les élèves ne se sont pas limités à parler de la relation prof-élève, mais ont aussi inclus spontanément les relations entre pairs. Les réponses m’ont surprise et grandement émue. Je vous partage quelques-unes de ces phrases:

• «En créant des liens, on se sent bien soi-même.»
• «Si un prof ne connaît pas mon nom, c’est comme si j’étais un objet à ses yeux. Je veux être une élève dans la classe, pas juste un « Eille toi ».»
• «Les profs sont la 2^e famille.»
• «Pour moi, c’est difficile d’approcher des gens.»
• «Si un prof connaît mon nom, je vais être plus motivé à faire des efforts pour réussir.»
• «Je me sens vraiment seule et je ne sais pas comment me faire des amies.»
• «Avec la pandémie et les réseaux sociaux, on ne sait plus comment entrer en contact avec les autres.»

Cette solitude qui est ressortie des propos des personnes interrogées est malheureusement vécue par un trop grand nombre d’étudiants et d’étudiantes. Des données de Statistiques Canada nous apprennent qu’en 2021, près de 1 personne sur 4 âgée de 15 à 24 ans a déclaré se sentir toujours ou souvent seule. De plus, les personnes qui se sentent seules font état d’une moins bonne santé mentale et d’un degré moindre de satisfaction générale à l’égard de la vie.

Source de l’image: Midjourney

Cette solitude a même un effet sur la santé physique, puisqu’elle peut augmenter les risques de maladie du cœur, d’accident vasculaire cérébral et de décès précoce. Une récente étude de Laugesen, K., Baggesen, L.M., Schmidt, S.A.J. et collab. (2018) [en anglais] a révélé que le fait d’être isolé socialement était associé à une augmentation de 60 à 70 % du risque de décès sur une période de 7 ans.

Bon, je suis convaincue. Ça en vaut la peine! Mais comment apprendre à connaître mes élèves? Et comment faire en sorte qu’eux et elles aussi apprennent à se connaître? Ici encore, la recherche nous donne des pistes.

Buskist, Busler et Kirby (2018) [en anglais] ont mentionné des valeurs importantes devant être présentes pour établir la relation éducative:

• le respect
• la confiance
• l’harmonie

Les chercheuses et le chercheur ont aussi donné une liste de suggestions pour aider à la développer.

Favoriser la création de liens

Passionnée par le sujet, au cours des dernières années, je me suis beaucoup renseignée sur la relation éducative et de la création de liens. Je vous nomme ici quelques éléments qui me paraissent cruciaux à considérer si vous voulez favoriser cette création de liens chez vos élèves.

Les points communs

Vous êtes passionné de tricot et découvrez qu’un de vos collègues vient de terminer de tricoter un foulard. Voilà, vous avez un point en commun avec cette personne et vous en profitez pour débuter la conversation autour de votre passion commune. Cette personne vous semble déjà sympathique. Le dicton le dit bien : «Qui se ressemble, s’assemble».

Le psychologue Robin Dunbar a regroupé, sous 7 piliers, les points communs importants [en anglais] dans une amitié:

• la langue ou le dialecte partagé
• la trajectoire éducative similaire
• le lieu de naissance commun
• les loisirs et intérêts partagés
• les vues morales, politiques et religieuses communes
• les goûts musicaux partagés
• le sens de l’humour commun

Robin Dunbar mentionne que plus nous avons en commun des éléments de ces piliers, plus notre amitié est forte.

Développement graduel des relations: on apprend à connaître une personne petit à petit

La 1^re fois que vous rencontrez votre voisin, habituellement, vous ne lui raconterez pas toute votre vie, n’est-ce pas? Peut-être une conversion très superficielle sur la météo… Puis, petit à petit, au fil des rencontres, vous discutez davantage et finalement, il est possible que vous développiez une amitié.

Cette amitié se sera développée graduellement.

Ce processus est comparé à l’épluchage d’un oignon, où chaque couche révélée rapproche davantage les individus. En psychologie, on s’y réfère par la théorie de la pénétration sociale (SPT) [PDF, en anglais] de Altman et Taylor (1973). Selon ces chercheurs, la communication est un facteur important dans le développement des relations interpersonnelles. La SPT se concentre sur l’autodivulgation comme mode principal de développement de la relation. L’autodivulgation implique la révélation intentionnelle d’informations sur soi à une autre personne par le biais de la communication verbale. Ainsi, au fur et à mesure que les individus partagent plus d’informations sur eux-mêmes, leur relation se développe davantage.

La limite du nombre de personnes que l’on peut apprendre à connaître dans une courte période de temps

Avez-vous déjà participé à une activité de speed dating? Une de ces soirées où vous rencontrez une personne différente toutes les 5 minutes? Au bout de 2 heures, vous aurez rencontré plus de 20 personnes. Une fois l’activité terminée, combien de personnes vous rappelez-vous? Sûrement très peu…

Avant d’explorer la création de liens, je commençais mes cours avec des activités de type brise-glace, impliquant tous les étudiants et toutes les étudiantes de la classe en même temps, en un seul groupe. Par exemple, je demandais à chaque élève de partager son prénom et son loisir favori, ou de répondre à une question similaire. Ces activités, bien que chronophages, visaient à favoriser l’interaction pour éventuellement apprendre le nom et au moins une information sur chaque personne. Cependant, lors des entrevues de groupe, les élèves m’ont confié leur aversion pour ces exercices. Ils et elles ne parvenaient pas à se souvenir des noms, trop concentrés sur l’approche de leur tour de parole, et trouvaient cette activité tout simplement ennuyeuse et anxiogène.

Désormais, pour les activités brise-glace, je forme des équipes d’au moins 3 personnes. Cela favorise une conversation plus naturelle, surtout si l’une des personnes participantes est plus timide. Je limite les groupes à un maximum de 7 personnes, pour que chacune ait l’opportunité de s’exprimer et de participer pleinement à la dynamique du groupe.

Le rire, un puissant moteur pour les nouvelles rencontres

Une activité brise-glace sérieuse peut être intéressante. Mais si vous souhaitez avoir un réel impact sur la création de liens entre les participants et les participantes, faites-les rire!

Selon Gray, Parkinson et Dunbar (2015) [PDF, en anglais], le rire peut influencer de manière significative le niveau d’intimité de l’autodivulgation entre les individus. L’étude qu’ils ont menée suggère que le rire, non seulement construit des relations, mais augmente également la volonté des gens de divulguer des informations personnelles, même lorsqu’ils n’en sont pas conscients.

Comment la personnalité influence-t-elle la façon dont on crée des liens?

Par leur personnalité, certaines personnes ont plus de facilité que d’autres à créer des relations et sont plus à l’aise en groupe. Par exemple, les personnes extraverties sont reconnues pour avoir plus de facilité à entamer des conversations tandis que les introverties sont généralement reconnues pour leur grande capacité d’écoute.

Toutefois, les résultats d’une récente étude de Card et Skakoon-Sparling (2023) [en anglais] contredisent l’idée communément admise selon laquelle les personnes plus introverties sont en quelque sorte moins vulnérables à la solitude. Selon le type de personnalité, les gens ont tendance à créer des relations différemment, mais le besoin de relation est important pour tout le monde.

Nomie: une solution pour faciliter la création de liens, de façon inclusive et amusante

À la suite de mes recherches sur la relation éducative, je travaille depuis 2020 à la conception d’un outil permettant d’accompagner les enseignants et les enseignantes qui désirent faciliter la création de liens chez les élèves. J’ai beaucoup de chance dans cette aventure, je ne suis pas seule: je suis accompagnée par des associés et de nombreuses organisations de l’écosystème entrepreneurial québécois, Ainsi, en août 2023, la commercialisation de l’application web Nomie a débuté et 5 enseignantes audacieuses de divers cégeps utilisent maintenant cet outil avec leurs classes. Beaucoup de rires et de belles connexions en ont résulté!

Logo de Nomie

Mais concrètement, Nomie, qu’est-ce que c’est? Nomie est une application web payante qui permet de créer des liens significatifs entre les élèves et les enseignants et enseignantes de manière ludique et inclusive. Les enseignants et enseignantes créent des classes virtuelles et invitent les élèves à les rejoindre. Les élèves répondent à des questions amusantes qui génèrent automatiquement une fiche de présentation, favorisant ainsi la découverte mutuelle. Des brise-glaces et activités déployés en temps réel favorisent la connaissance mutuelle et créent un environnement d’apprentissage positif.

Capture d’écran d’une fiche de présentation d’une étudiante sur Nomie. Avant le 1er jour de classe, les élèves reçoivent une invitation à se créer une fiche de présentation en remplissant un questionnaire amusant et inclusif. Puis, les élèves peuvent consulter les fiches de leur groupe avant même le 1^er jour de classe, ce qui peut grandement réduire leur anxiété.

Capture d’écran du jeu «Voyage de rêve», disponible sur Nomie. Dans ce jeu, chaque joueur et joueuses gagne un «voyage» avec certaines conditions. Les joueurs et joueuses choisissent un pays sur une carte interactive, individuellement, puis les choix de tout le monde sont dévoilés. Nomie forme alors des équipes de 3 à 5 personnes en fonction des pays sélectionnés. Les membres de l’équipe discutent de leurs choix de pays et répondent aux questions de Nomie.
Tous les jeux de Nomie ont été validés: ils sont inclusifs, amusants, ils suscitent la conversation, ils valorisent la différence et ils peuvent être joués en classe, en temps réel.

Les bénéfices d’une création de liens sont nombreux.

Nomie commence à peine son entrée dans les classes des cégeps. Cet outil est constamment amélioré grâce aux rétroactions des utilisateurs et utilisatrices: la communauté enseignante et étudiante. En 2024, je vise à mesurer l’impact Nomie sur la persévérance scolaire grâce à l’appui de chercheurs et de chercheuses.

J’utilise moi-même Nomie dans mes classes des programmes de Techniques administratives et ça m’aide réellement à créer des liens. Pour débuter une conversation, je peux reprendre des éléments des fiches de présentation que les élèves remplissent sur Nomie. Par exemple, Manuel a écrit être fier d’une vidéo YouTube qu’il a publiée et qui a eu de très nombreuses vues. Nous avons eu une discussion sur cette vidéo. J’ai même appris que Manuel était reconnu mondialement pour ses habiletés de joueur!

Lorsque que je constate que des personnes très introverties échangent et rient avec leurs nouveaux camarades de classe, ce qu’elles n’osent habituellement pas faire sans ce petit coup de pouce facilité par les jeux de Nomie, ça me remplit de joie!

Source de l’image: Midjourney

Lorsque j’appelle les élèves par leur prénom, il n’est pas rare que je vois leur visage s’illuminer. Une petite différence qui fait toute la différence. Et lorsque je vois des amitiés qui se créent ou lorsque j’entends les élèves rire entre eux, là, c’est mon visage qui s’illumine.

Et en ayant créé un lien avec mes étudiants et étudiantes, je ne dis plus: «Toi, au fond de la classe avec le chandail bleu, tu en penses quoi?» mais plutôt « Toi, Abderrahmane, tu en penses quoi?».