En mai 2024, l’Ordre de l’excellence en éducation a accueilli de nouveaux membres. Marc Privé, enseignant au Cégep de Chicoutimi, était du nombre. Je me suis entretenue avec lui pour discuter de ses pratiques pédagogiques.
Rencontre avec Marc Privé, un enseignant passionné de pédagogie entrepreneuriale
Qu’est-ce que l’Ordre de l’excellence en éducation du Québec?
L’Ordre de l’excellence en éducation est une façon pour le ministre de l’Éducation et la ministre de l’Enseignement supérieur de souligner le dévouement des personnes qui rehaussent l’enseignement au Québec.
Marc Privé est enseignant en Techniques de comptabilité et gestion et coordonnateur de son département. C’est un passionné de la pédagogie entrepreneuriale.
Qu’est-ce que la pédagogie entrepreneuriale?
Marc m’a expliqué que la pédagogie entrepreneuriale a 4 caractéristiques:
- Elle est responsabilisante. L’élève prend en charge sa démarche d’apprentissage.
- Elle est expérientielle. L’élève construit son apprentissage en se basant sur sa propre expérience plutôt que sur celle des autres.
- Elle est réflexive. L’élève est amené à réfléchir sur ses apprentissages et sur son processus d’apprentissage.
- Elle est coopérative (ou collaborative). Les élèves travaillent en équipe et apprennent ensemble.
Le Pôle d’éducation entrepreneuriale au collège (PEEC) regroupe plusieurs cégeps et permet aux personnes intéressées par la pédagogie entrepreneuriale d’échanger sur la pratique.
Le but de la pédagogie entrepreneuriale n’est pas nécessairement de former des entrepreneurs et des entrepreneures, mais de former de meilleurs citoyens et citoyennes; des personnes impliquées dans la vie communautaire de leur milieu et dans l’entreprise qui les engagera (des intrapreneurs et intrapreneures).
La pédagogie entrepreneuriale peut s’incarner à travers de l’apprentissage par projets. Ou bien, elle peut passer par l’organisation d’un débat dans le cadre d’un cours sur le leadership, comme le fait Marc Privé.
Marc m’a donné d’autres exemples de la mise en œuvre de la pédagogie entrepreneuriale dans ses cours.
Un exemple de pédagogie entrepreneuriale dans un cours de gestion des ressources humaines
Quand Marc donne le cours Gestion des ressources humaines, l’une des activités qu’il propose aux étudiants et aux étudiantes est la négociation d’une convention collective.
Les élèves sont placés en équipe, au sein desquelles certaines personnes incarnent les employés et d’autres, la partie patronale. Chaque camp a 1 ou 2 semaines pour faire des recherches et baliser ses attentes. Les élèves doivent consulter des conventions collectives existantes, aller à la rencontre de représentants syndicaux ou de représentantes syndicales dans leurs réseaux de contacts. Par exemple, dans le cadre de leur emploi étudiant, plusieurs sont syndiqués sans pour autant connaître leurs conventions collectives ou comprendre ce que cela implique. Puis, les 2 camps doivent négocier ensemble pour en venir à la rédaction d’une convention collective.
Marc attribue lui-même les rôles. Par exemple, s’il sait qu’un étudiant a des parents entrepreneurs, il lui donne le rôle d’employé plutôt que celui de patron, pour lui faire voir le côté de la médaille avec lequel il est sans doute le moins familier.
Marc limite au strict minimum les consignes et les explications qu’il donne aux élèves avant l’activité. C’est leur travail de définir un plan de travail et de chercher les informations nécessaires. Il veut les laisser créer, trouver, se débrouiller.
C’est déroutant [pour les élèves]. On est dans un système d’éducation que j’appellerais «steak-blé d’Inde-patates». On donne beaucoup de consignes. Et si les élèves trouvent que les consignes ne sont pas assez claires, on les rend encore plus claires [pour que tout le monde comprenne la même chose et fasse la même chose].
Moi, je fais un peu l’inverse. Oui, je donne des consignes [larges], mais je commence en fournissant peu d’information. Les élèves doivent découvrir, apprendre, coopérer et collaborer avec les autres pour avancer.
Ça désarçonne plusieurs élèves au début. On les a habitués à recevoir des consignes précises précises précises. On leur dit tout tout tout. «Voici les 5 étapes à suivre… Non, n’ajoute pas l’étape 4½ entre l’étape 4 et l’étape 5. Suis les étapes 1, 2, 3, 4 et 5 dans l’ordre.»
Moi, je leur donne des consignes. Je leur fournis des thèmes. Mais quand ils et elles viennent me voir en me disant «Qu’est-ce que je dois faire, Monsieur?», je leur réponds «Qu’est-ce que tu veux faire?» Ils et elles réfléchissent et sont capables de trouver des réponses. «Je pourrais faire ceci et cela.» «Parfait! Super bonne idée!»
Parfois, ça mène à des résultats un peu bizarres, mais je les recadre. Ça fait partie de l’apprentissage.
— Marc Privé
Où que leur processus de réflexion mène les élèves, il est profitable pour leurs apprentissages. Les élèves vivent une expérience qui est assurément plus marquante qu’un cours magistral traditionnel.
Marc accompagne les équipes dans toutes les étapes du processus.
Au besoin, il les guide vers des sources d’informations. Par exemple, il arrive que les «syndiqués» se préparent à demander des conditions inférieures au minimum prescrit par les normes du travail. Il les invite à lire la documentation produite par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
La négociation de la convention collective prend la forme d’un jeu de rôle, mais les élèves prennent ce «jeu» très au sérieux. La négociation devient parfois tendue, voire agressive. Mais, encore une fois, Marc est là pour recadrer les élèves qui s’emportent. Il est là pour les aider à acquérir des savoirs et des savoir-faire, mais aussi des savoir-être. Il m’expliquait d’ailleurs que l’un des atouts de la pédagogie entrepreneuriale est le développement de compétences transversales.
Chacune des différentes étapes du travail est évaluée par une note d’équipe. Une autoévaluation et une évaluation par les pairs sont également faites pour évaluer la contribution de chaque personne au travail de son équipe. Cela est cohérent avec le fait que l’un des objectifs de la pédagogie entrepreneuriale est d’apprendre à travailler en équipe.
Un exemple de pédagogie entrepreneuriale dans un cours de management
Dans un cours de management, Marc fait appel à l’une de ses anciennes étudiantes devenue entrepreneure. Aujourd’hui, elle possède une firme de consultation en management. Elle vient en classe présenter le cas d’une entreprise de la région.
Pendant la session, les élèves sont divisés en équipes qui ont chacune un mandat différent en lien avec le cas (marketing, ressources humaines, comptabilité). Les équipes doivent collaborer et communiquer afin d’avancer. (Par exemple, si l’équipe des ressources humaines veut travailler au recrutement de nouveaux employés, elle doit utiliser les travaux sur l’image de marque de l’entreprise réalisés par l’équipe de marketing.)
Puis, à la fin de la session, les équipes présentent leur travail devant Marc et l’entrepreneure.
Inventaire des compétences entrepreneuriales
Dans le cours complémentaire Organisation du travail, Marc Privé fait passer le test d’inventaire des caractéristiques entrepreneuriales (ICE) édité par la Fondation de l’entrepreneurship. (Cette version du test n’est plus disponible pour le moment, mais la BDC offre une autre version en ligne.) Il demande aux élèves d’identifier 3 caractéristiques à travailler pendant la session (parmi les 15 motivations, aptitudes et attitudes ciblées par le test). Puis, à la fin de la session, il rencontre individuellement chaque élève pour discuter de ce qu’il ou elle a fait pour atteindre ses objectifs.
Une rencontre de 10 minutes avec chaque élève représente de nombreuses heures quand les groupes sont nombreux, mais Marc est convaincu que cela en vaut la peine: les discussions poussent réellement les élèves à réfléchir.
Un bootcamp annuel pour toutes les étudiantes et tous les étudiants du programme
Chaque année, en janvier, Marc et ses collègues organisent un bootcamp qui réunit tous les élèves du programme. L’équipe enseignante met sur pied des activités qui varient d’année en année (puisque les élèves participent tous au moins 3 fois, pendant leurs études):
- simulations d’entreprise
- rallyes
- rencontres avec des entrepreneurs et des entrepreneures
- etc.
Une année, un entrepreneur est venu rencontrer les élèves au début de la journée pour leur présenter une problématique liée à son entreprise. Les équipes (formées d’élèves de 1re, de 2e et de 3e année) avaient 2 h pour travailler et trouver des solutions. Puis, chaque équipe devait faire un «pitch d’ascenseur»… dans l’un des ascenseurs du cégep. Le temps d’un aller-retour entre le rez-de-chaussée et le 5e étage, les élèves devaient présenter leurs idées à l’entrepreneur et le convaincre de les choisir.
Collaboration, réflexion, responsabilisation et, assurément, expérience marquante: tous les ingrédients de la pédagogie entrepreneuriale sont là!
Et dans un autre programme?
Le programme de Techniques de comptabilité et gestion dans lequel Marc enseigne est naturellement un terreau fertile pour la pédagogie entrepreneuriale, étant donné que la clientèle étudiante a sans doute plus d’intérêt pour l’entrepreneuriat que dans d’autres programmes. Pourtant, Marc m’a assuré que la pédagogie entrepreneuriale peut s’implanter dans n’importe quel cours ou programme.
Il m’a donné l’exemple d’un collègue qui enseigne la biologie en Techniques de diététique et transformation alimentaire et qui demande à ses élèves de fabriquer du fromage. Un tel projet a toutes les caractéristiques de la pédagogie entrepreneuriale.
On peut aussi penser à l’implication des élèves dans des entreprises-écoles (ou entreprises d’entraînement pédagogique). C’est l’image même de la pédagogie entrepreneuriale!
La pédagogie entrepreneuriale en dehors de la classe
Marc Privé est également un pilier pour les activités parascolaires liées à l’entrepreneuriat dans son collège.
En 2007, l’année suivant son arrivée au Cégep de Chicoutimi, il a ranimé le Club entrepreneur de l’établissement (bénévolement, au départ). Il s’est également impliqué dans le Centre d’entrepreneuriat et d’essaimage (CEE) de l’Université du Québec à Chicoutimi, dont il fait aujourd’hui partie du conseil d’administration.
En fait, Marc est l’archétype de l’intrapreneur et incarne parfaitement le profil que la pédagogie entrepreneuriale cherche à développer chez les élèves. Il est à l’origine d’une foule de projets au Cégep de Chicoutimi, ce qui lui a d’ailleurs valu un prix au Gala Force Avenir de 2023.
Pendant notre conversation sur Teams, Marc avait sous les yeux les photos de toutes les cohortes du Club entrepreneur qu’il avait accompagnées. Dans chaque cohorte, au moins une personne est devenue entrepreneure. Plusieurs reviennent d’ailleurs intervenir dans les cours de Marc pour «redonner au suivant» en partageant leur expérience.
Mais au-delà des destinées professionnelles de chacune des personnes sur les photos, je sentais l’affection de Marc pour toutes, et sa fierté de les avoir accompagnées et aidées à grandir. Cette même fierté était palpable quand il me parlait des nombreux commentaires d’anciens étudiants et d’anciennes étudiantes qu’il avait reçus quand il avait partagé sa nomination à l’Ordre de l’excellence en éducation sur LinkedIn. Le Cégep de Chicoutimi est assurément chanceux de pouvoir compter sur un enseignant aussi passionné, engagé et généreux que Marc Privé!