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23 avril 2020

L’entrevue individuelle comme méthode d’évaluation novatrice

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

L’entrevue individuelle nous permet d’évaluer les apprentissages de nos étudiants avec équité. En contexte d’enseignement à distance, cette méthode novatrice d’évaluation pourrait permettre de contourner les potentiels problèmes d’intégrité qu’une évaluation à distance peut engendrer. Nous discutons ici de la façon de la mettre en place, avec des trucs et des conseils tirés de notre pratique.

Pourquoi évaluer les apprentissages par entrevue ?

Dans les cours de chimie, la plupart des rapports de laboratoires sont faits en équipe. Nous avons implanté l’évaluation par entrevue individuelle dans presque tous les cours de notre département pour nous assurer de l’atteinte individuelle de la compétence. L’entrevue:

  • nous permet de valider l’originalité du travail et de nous assurer de l’intégrité de l’évaluation
  • facilite l’analyse en profondeur de la pensée des étudiants, ce qui est impossible dans un examen ou un rapport de laboratoire
  • offre la flexibilité d’adapter nos questions aux réponses des étudiants
  • nous permet de gagner du temps de correction

Il est vrai qu’évaluer tous ses étudiants individuellement peut être long, en particulier pour les grands groupes, et que le contexte d’entrevue peut être intimidant pour les étudiants. Toutefois, les avantages dépassent selon nous ces inconvénients.

En contexte d’enseignement à distance, la question de l’intégrité de l’évaluation préoccupe plusieurs enseignants. Comment s’assurer que les étudiants ne copient pas entre eux ou ne consultent pas internet si on leur fait faire un examen traditionnel ? Comme l’écrivait Lucie Audet dans un rapport préparé pour le Réseau d’enseignement francophone à distance [PDF], l’entrevue individuelle est l’une des solutions pour contourner ce problème.

Comment faire ?

La planification de l’entrevue individuelle doit être réalisée avec soin, en considérant que des tâches doivent être réalisées avant, pendant et après l’acte d’évaluation lui-même.

Avant l’entrevue

Pour que l’entrevue se déroule sans accroc, nous présentons aux étudiants les critères d’évaluation et nous leur expliquons son déroulement. Nous leur faisons aussi visionner une capsule vidéo qui présente les situations qui pourraient survenir durant leur entrevue et leur suggère des solutions.

Conseils pour une entrevue individuelle – Capsule destinée aux étudiants

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, nous avons réalisé une vidéo complémentaire qui s’adresse autant aux enseignants qu’aux étudiants. Nous y présentons quelques conseils spécifiques aux entrevues réalisés par visioconférence.

Conseils supplémentaires pour une entrevue individuelle en temps de confinement – Capsule destinée aux enseignants et aux étudiants

Les étudiants prennent ensuite rendez-vous pour l’entrevue individuelle, soit sur papier ou dans un calendrier numérique (Doodle, Calendly, Teams), durant nos heures de cours ou à l’extérieur de celles-ci. Nous ne planifions pas trop d’entrevues de suite et gardons un battement entre chacune.

Au début de l’entrevue

Au moment de l’entrevue, nous réexpliquons le déroulement à l’étudiant, pour le rassurer et lui permettre de poser des questions si nécessaire. Nous lui indiquons aussi qu’on lui demandera, à la fin, s’il veut réviser ses réponses ou ajouter quelque chose. Cela permet à l’étudiant d’anticiper la fin de l’entrevue et il ne sera pas décontenancé quand on lui demandera s’il a quelque chose à ajouter.

Pour mettre l’étudiant en confiance, il peut être avisé de commencer par lui poser une question facile qui permettra d’engager la discussion.

Durant l’entrevue

Les entrevues sont toujours enregistrées à l’audio, mais il est tout de même judicieux de prendre des notes. Ceci permet d’éviter de devoir réécouter les enregistrements de tous les étudiants. Les enregistrements sont nécessaires pour garder une trace en cas de demande de révision de note ou pour nous aider à trancher dans un cas difficile, mais nous ne les réécoutons dans les faits que très rarement.

Il peut être difficile d’enchaîner les questions ou de choisir les bonnes questions d’approfondissement. Au fil des ans, nous avons rencontré différents problèmes en cette matière. Voici comment on parvient à s’en sortir.

  • Problème 1 : Pas de réponse

    Si l’étudiant ne donne pas de réponse, ou s’il hésite, il faut lui laisser le temps de réfléchir et se retenir de continuer à parler pour meubler le silence. Comme le disait très justement le grand François Pérusse, « l’art d’interviewer, c’est l’art de faire parler l’invité ». Pour aider l’étudiant, on peut:

    • développer un peu la question ou donner le début de la réponse, de façon à lui permettre de montrer ce qu’il sait, même si c’est insuffisant pour réussir parfaitement
    • diminuer la difficulté de la question
    • passer à une prochaine question en indiquant qu’on pourra y revenir plus tard
  • Problème 2 : Réponse évasive

    Il arrive que l’étudiant donne une réponse vague, qui ne permet pas de savoir s’il a compris ou non. Ça peut être une stratégie, consciente ou non, pour éviter de répondre clairement à la question. On peut alors forcer la réponse en posant une question fermée (qui se répondrait par oui ou non par exemple), puis demander ensuite d’expliquer cette réponse.

    Pour faciliter la formulation d’une réponse claire, on peut soumettre un exemple ou un problème d’application qui obligerait alors l’étudiant à concrétiser sa réponse.

  • Problème 3 : Réponse incorrecte

    À l’oral, il peut arriver que les étudiants fassent une erreur qui relève plutôt de la distraction que du réel problème de compréhension de la matière. Si on entend une erreur, il peut être judicieux de reformuler subtilement la réponse et demander à l’étudiant de valider qu’on l’a bien comprise. Ce sera peut-être l’occasion pour lui de se corriger, ou alors de confirmer son erreur, nous permettant de poser un jugement plus assuré.

À la fin de l’entrevue

Lorsque l’entrevue se termine, on annonce la fin et on demande à l’étudiant s’il souhaite ajouter quelque chose ou poser des questions.

On peut ensuite fournir à l’étudiant une rétroaction immédiate sur notre impression générale. Il faut demeurer bienveillant, peu importe la teneur de la rétroaction.

Dès que l’entrevue se termine, il faut être prêt à mettre la note, même approximative, pendant que l’entrevue est fraîche à notre mémoire. Pour ce faire, comme le recommande France Côté, nous utilisons des grilles d’évaluation descriptives que nous avons développées à cette fin.

Grille descriptive utilisée pour l’entrevue individuelle dans le cours Projet de fin d’études

À la suite de l’entrevue

Après avoir terminé les entrevues de tous les étudiants, on leur remet la grille de correction remplie avec leur note.

Si la note est contestée, on peut remettre une version abrégée des commentaires notés durant l’entrevue pour expliquer notre jugement. Finalement, si un étudiant fait une demande de révision de note, le comité formé pourra réécouter l’entrevue.

Le maître mot : la bienveillance

Comme dans tout acte d’évaluation, nos actions doivent toujours être bienveillantes, pour maintenir un bon climat de classe et pour préserver l’estime de soi des étudiants. Si on souhaite faire un débreffage des erreurs, il peut être judicieux d’attendre après l’évaluation, peut-être en grand groupe, où l’on mentionne les erreurs les plus fréquentes à l’ensemble des étudiants, en ne dévoilant bien sûr pas qui les a commises et en prenant soin de ne pas ridiculiser ces personnes.

L’évaluation par entrevue individuelle peut sembler intimidante au premier abord, pour les enseignants comme pour les étudiants. Toutefois, après l’avoir mise en application dans une variété de contextes, nous avons l’assurance qu’elle confère de la justesse à notre jugement évaluatif. Cela a fait en sorte que l’entrevue est devenue l’un de nos outils préférés. De plus, les étudiants semblent bénéficier de ces échanges en profondeur avec leur enseignant.

À propos des auteurs

Caroline Cormier

Elle enseigne la chimie au Cégep André-Laurendeau depuis 2008. Elle a toujours été intéressée par la recherche, et a mené plusieurs projets, notamment sur les conceptions alternatives, la classe inversée et la communication scientifique orale. Une de ses priorités est que ses résultats de recherche s’appliquent dans la pratique professionnelle. Pour ce faire, les enseignants de son département et elle sont très actifs dans les congrès pédagogiques comme ceux de l’Association pour l’enseignement de la science et de la technologie au Québec (AESTQ) ou de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC). Un de leurs dossiers importants est le développement de l’autonomie des étudiants en laboratoire à travers les cours du programme de Sciences de la nature.

Véronique Turcotte

Elle enseigne la chimie au collégial depuis 2009. Son intérêt pour l’innovation pédagogique l’amène à intégrer plusieurs méthodes pédagogiques dans son enseignement comme l’apprentissage actif. Elle a participé à la production de plusieurs capsules vidéos pour l’utilisation de la classe inversée en chimie avec Caroline Cormier. Elle s’est également impliquée dans le dépistage et le suivi des étudiants à risque dans le programme de Sciences de la nature.

François Arseneault-Hubert

Il enseigne la chimie au Cégep André-Laurendeau depuis 2013. Touche-à-tout, il trouve ses idées pédagogiques un peu partout, au collégial, auprès des Premiers Peuples, au secondaire, dans le milieu de la recherche appliquée, en philosophie et en éthique, dans le jeu de rôle, dans son expérience traumatisante d’étudiant belge, et depuis 2 heureuses années, auprès d’un petit bonhomme qui lui donne du fil à retordre comme aucun de ses étudiants avant lui. Seul le manque de sommeil chronique empêche François de changer le monde.

Bruno Voisard

Il est biochimiste de formation et enseigne la chimie au Cégep André-Laurendeau depuis 2001, où il est également coordonnateur de département. L’innovation pédagogique au service de l’enseignement de concepts difficiles motive son approche de l’enseignement. Sa passion incessante pour la chimie le pousse à se tenir au courant des percées les plus récentes en recherche, dont il fait profiter ses étudiants en classe. Il est l’auteur du manuel Chimie organique, publié en 2013 aux Éditions CEC. À travers les années, il a été appelé à collaborer à différents travaux sur le programme de Sciences de la nature, notamment la révision du programme, son évaluation et sa gestion.

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4 Commentaires
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Emmanuelle Goulet
Emmanuelle Goulet
26 avril 2020 17h58

Merci infiniment de ce partage. Vos recommandations tombent à point!

Nicole Perreault
26 avril 2020 19h09

Bonjour, votre article est excellent. La stratégie d’évaluation vous proposez est pertinente et inspirante, qu’elle se réalise dans un contexte de formation à distance ou en présence. Elle est aussi un moyen efficace de prévenir les problèmes d’intégrité. Toutes mes félicitations.

Marjorie Besson
Marjorie Besson
1 mai 2020 18h51

Bonjour,
Puis-je utiliser votre exemple de grille afin de bâtir une grille adapté au cours que j’enseigne en Techniques de santé animale? Merci.