Ma 1re expérience, à la dernière minute: niveau apprenti
La 1re fois que j’ai ludifié un cours (c’était le cours Chimie générale, en Sciences de la nature), j’ai décidé de le faire la veille de la rentrée scolaire. J’ai imaginé un système très simple:
- Pour chaque cours auquel l’élève est présent, il y a un gain d’un demi-niveau (pour un total de 1 niveau par semaine, puisque nous avons 2 rencontres chaque semaine) sauf si l’élève arrive en retard, si son téléphone sonne ou s’il ou elle n’a pas fait le travail de préparation exigé.
- Pour chaque «défi» réussi, l’élève monte d’un niveau. Les défis étaient des devoirs formatifs.
Pour compiler les données (et connaitre le niveau de chaque élève), j’ai utilisé une simple feuille de papier: la feuille sur laquelle je notais habituellement les présences. Plutôt que de simplement noter les présences comme je l’avais toujours fait, j’ai noté les niveaux. Ça ne me prenait pas plus de temps.
Quand les élèves atteignaient certains niveaux, ils et elles obtenaient des récompenses (principalement liées aux laboratoires du cours):
- Niveau 5
Prêt de matériel
(Pour accéder aux laboratoires de chimie, les élèves doivent obligatoirement avoir un sarrau. L’une des récompenses que j’offre dans mon jeu est le prêt d’un sarrau en cas d’oubli.)
- Niveau 10
Pardon d’un retard
(Un retard au laboratoire empêche l’accès au local. Cette récompense permettait à l’élève de faire l’activité quand même.)
- Niveau 15
Droit à un jour supplémentaire pour la remise d’un rapport de laboratoire
- Niveau 20
Une section de moins à compléter dans un rapport de laboratoire
C’était un système très basique, mais ça a fonctionné! Si vous voulez tenter l’expérience, vous pouvez également commencer par une structure simple comme cela, puis la complexifier la session suivante si vous en avez envie!
Une 2e expérience: niveau avancé
La session suivante, j’ai donné le cours Chimie des solutions, dans lequel plusieurs élèves avaient participé à ma première expérience en Chimie générale. En cohérence avec le sujet du cours Chimie des solutions, le thème de la session a été les potions magiques. En plus des niveaux, j’ai introduit le concept de «points de vie»:
- Les élèves commencent le cours avec 4 points de vie.
- Chaque retard, chaque sonnerie de téléphone ou chaque manque de préparation leur coûte 1 point de vie.
- Quand un ou une élève n’a plus de point de vie, il ou elle «meurt». Pour ressusciter, il y a plusieurs options:
- apporter des collations pour toute la classe
- rédiger un texte de 250 mots relatant sa mort héroïque
- prouver qu’il ou elle a fait tous les devoirs pour une leçon (devoirs de la semaine)
- prouver qu’il ou elle est à jour dans son cahier de laboratoire
- Chaque semaine, les élèves peuvent gagner des potions en faisant des devoirs (formatifs):
- La potion de soins permettait de regagner des points de vie.
- La potion d’invisibilité permettait d’éviter la perte d’un niveau lors d’une absence. («Je n’étais pas absent, j’étais invisible!»).
- La potion d’énergie permettait d’obtenir des bonbons.
- La potion d’ambiance permettait de faire jouer de la musique dans une séance d’exercices.
- etc.
- J’ai également introduit un concept d’objets à cumuler: par exemple, un tableau périodique personnalisé sur le thème de l’alchimie.
Je corrigeais les devoirs durant la pause et je les redonnais immédiatement aux élèves, ce qui me permettait d’offrir une rétroaction rapide et personnalisée, une qualité importante des devoirs efficaces.
La version actuelle — Classes & Dragons: niveau maître
La version la plus complète de mon jeu s’appelle Classes & Dragons (ce sont des élèves qui ont proposé le nom).
Les personnages
Maintenant, dans mon cours Chimie générale, lors de la 1re séance, les élèves se placent en équipe de 4. Chaque élève remplit une feuille de personnage en y inscrivant le nom de son avatar, en le dessinant et en choisissant une classe personnage: guerrier, guérisseur, roublard ou magicien.
- Le guerrier a 5 points de vie et a un pouvoir de protection qui lui permet d’éviter une perte de points de vie à un coéquipier ou à une coéquipière.
- Le guérisseur a 4 points de vie et a un pouvoir de résurrection qui lui permet de sauver un membre de son équipe de la mort.
- Le roublard a 4 points de vie et a un pouvoir d’invisibilité: il peut éviter les conséquences négatives liées à une absence (sauf pour une évaluation sommative).
- Le magicien a 3 points de vie. Il a un pouvoir d’érudition qui lui octroie dès le départ 50 points d’expérience supplémentaires.
Chaque équipe doit contenir un seul personnage de chaque classe. À la fin de la session, l’équipe qui a le meilleur score remporte un prix. (J’affiche les scores des équipes sur un tableau dans la classe.)
Les points d’expérience, les niveaux et les points de vie
Les élèves gagnent 50 points d’expérience pour:
- leur présence à chaque cours
- leur participation à une activité parascolaire (comme assister à des conférences scientifiques au collège)
- la réalisation d’un défi (comme se costumer le jour de l’Halloween)
- la remise d’un devoir formatif
100 points d’expérience leur permettent de monter d’un niveau.
Les élèves peuvent également perdre des points de vie pour:
- un retard
- l’oubli de leur tableau périodique
- l’oubli de leur calculatrice
- l’oubli de leur cahier ou de leur crayon
- une sonnerie inappropriée de leur téléphone
Si un étudiant ou une étudiante n’a plus de points de vie, il ou elle meurt. La personne ne peut plus gagner de points d’expérience et doit se faire ressusciter par le guérisseur de son équipe. (Ce n’est pas arrivé souvent! Par contre, cela me permet de faire une intervention à ceux et celles qui ont des comportements problématiques.)
La compilation des données
Après chaque cours, je prends environ 10 minutes pour compiler les données dans un document Word et noter les points d’expérience de chaque élève dans le module Progressez! de Moodle. Je trouve ça amusant, donc ces quelques minutes de travail ne me dérangent pas du tout.
Dans Moodle, les élèves peuvent voir leur niveau et leurs points d’expérience. Ça motive particulièrement les personnes qui sont en haut du classement: elles veulent conserver leur place et tenter d’avancer davantage.
J’ai aussi créé des badges dans Moodle pour que les élèves sachent quels pouvoirs ils et elles ont acquis (en fonction du niveau atteint et de la classe de leur personnage).

Aperçu de la page d’accueil du site Moodle de mon cours
Les récompenses
Voici les récompenses qui étaient offertes aux élèves.
Niveau |
Titre |
Pouvoir |
Effet |
5 |
apprenti |
Invocation |
1 prêt de matériel (calculatrice, sarrau, etc.) |
10 |
Adepte |
Ruse |
+6 heures pour la remise d’un travail (sauf examens) |
15 |
Expert |
Extension |
+1 journée pour la remise d’un rapport de laboratoire |
20 |
Maître |
Prémonition |
1 correction formative d’une section d’un rapport |
25 |
Champion |
Influence |
Mention d’honneur et choix du thème d’une question d’examen |
Plus haut niveau atteint par une personne de la classe |
Héros |
Trésor! |
Beau cadeau remis par l’enseignant (c’était des dés à 20 faces) |
Les artéfacts
Chaque semaine, je donne un devoir spécial aux élèves (que j’ai le temps de corriger pendant les pauses). Faire le devoir permet aux élèves de gagner un artéfact magique (tout en apprenant, évidemment!).
Par exemple, l’un des devoirs demande aux élèves d’évaluer la couleur des yeux de Méduse en trouvant sa longueur d’onde à partir d’informations fournies dans la mise en situation et, évidemment, des notions vues dans le cours. Les élèves qui trouvent la bonne réponse reçoivent un miroir magique. Ce miroir leur permet de rediriger une question que je leur poserai en classe vers l’élève de leur choix. Rires garantis!
Un autre devoir permet de gagner une boule de cristal qui permet de voir ses notes 24h d’avance. Les bottes de célérité, elles, permettent de choisir l’heure de présentation de son exposé oral.
Les batailles de boss
J’ai modifié mon approche pour les cours de révision avant les examens. Ce sont devenus des «batailles de boss». Je me costume en monstre et les élèves travaillent en équipe (leur équipe de 4 personnages). Je pose des questions aux élèves à tour de rôle. Si l’élève réussit, il ou elle blesse le monstre, tandis qu’une réponse incorrecte lui coûte 1 point de vie. Celui ou celle qui terrasse le monstre gagne des points d’expérience supplémentaires.
Avant l’examen final, le monstre à affronter est un dragon. Une réponse correcte inflige 1 point de dégât au dragon. Mais une réponse incorrecte entraîne la mort immédiate. C’est l’équipe qui inflige le plus de dommages au dragon qui l’emporte.
Les donjons
Évidemment, en plus du dragon, il faut des donjons dans le jeu. Les donjons sont des examens formatifs (mes examens de l’année précédente). J’attribue le quart des questions aux guerriers, le quart aux guérisseurs, etc. Les élèves ont 1 heure pour faire leur partie d’examen individuellement, puis 1 heure pour partager leurs réponses avec les membres de leur classe (guerriers ensemble, guérisseurs ensemble) et noter leurs réponses finales sur des tableaux blancs. Je valide les réponses, puis les élèves photographient les réponses des autres groupes pour ainsi avoir accès au solutionnaire de l’ensemble de l’examen formatif. Le trésor (reçu par tous les élèves présents au cours) était un résumé de la matière de la session qui tenait sur une feuille recto verso: les élèves ont bien apprécié cet outil.
Appréciation des élèves
Dans un sondage de fin de session, 94% des élèves ont dit avoir aimé la formule «un peu» ou «beaucoup».
En comparant les notes finales des élèves et les niveaux qu’ils et elles avaient atteints dans le jeu, j’ai constaté que, parmi les élèves qui s’impliquaient davantage dans le jeu (celles et ceux qui avaient atteint les plus hauts niveaux), il y avait à la fois les 3 personnes qui ont eu les meilleures notes du groupe et les 3 qui ont eu les moins bonnes notes. J’étais étonné, mais très satisfait, puisque c’est signe que le jeu engage autant les élèves forts que faibles.
Les élèves du groupe qui jouait à Classes & Dragons ont participé à davantage d’activités parascolaires que ceux d’un groupe auquel j’ai enseigné presque toute la session en remplacement d’un collègue, mais sans instaurer Classes & Dragons. Ils et elles ont également (et c’était mon principal objectif au départ) fait davantage de devoirs formatifs. J’ai même vu, pour la 1re fois de ma carrière, des élèves qui restaient en classe à la fin du cours pour faire leurs devoirs!
À votre tour!
Si vous voulez concevoir votre propre système de ludification, voici les étapes à suivre.
Étape 1: Choisir les comportements à observer
Choisissez des comportements positifs que vous voulez encourager, ou des comportements négatifs que vous voulez décourager, qui sont facilement observables.