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27 mai 2021

Évaluer les étudiants comme dans un jeu vidéo

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

Demandez à des adolescents de faire leurs devoirs et ils trouveront mille et une choses à faire. Mais placez-les devant un jeu vidéo et ils se concentreront sur la tâche pendant des heures ! Comment font les concepteurs de jeux pour créer cet engagement ? Et si l’on appliquait ces principes à l’enseignement ?

Je suis moi-même enseignant, père d’adolescents et joueur occasionnel de jeux vidéos. Je sais que les professeurs universitaires condamnent, souvent à juste titre, la violence promue par certains de ces jeux [en anglais]. D’autres soulèvent les problèmes de dépendance qu’ils créent [en anglais].

Cette critique occulte les forces et tout le potentiel de l’univers du jeu vidéo, notamment sa capacité à mobiliser les jeunes autour d’une somme de tâches complexes et exigeantes.

C’est d’ailleurs en regardant mes adolescents jouer à des jeux vidéos pendant des heures que j’ai constaté que les concepteurs de jeux vidéos ont assurément compris quelque chose que mes collègues enseignants et moi n’avons pas compris !

Dans mes tâches d’enseignement, ce questionnement a pris une forme plus concrète et je me suis demandé si les cours à distance ne seraient pas plus vivants en y intégrant des mécaniques et des éléments de la culture du jeu vidéo.

L’ère de la jeuducation

D’autres se sont aussi posé la question. La « jeuducation » mieux connue par son équivalent en anglais « gamification » occupe tout un pan de la recherche en pédagogie universitaire. De façon générale, elle désigne un ensemble d’approches et d’outils pédagogiques qui tirent parti des mécanismes du jeu et de sa capacité à stimuler l’engagement étudiant.

Ces approches pédagogiques utilisent des « mécaniques propres au jeu, ses façons de faire ou de stimuler la pensée, sinon une esthétique fort parente, et ce, afin de stimuler l’engagement des étudiants, promouvoir l’apprentissage et la résolution de problèmes ». (Karl M. Kapp, 2013)

Certains pourraient croire que les étudiants universitaires sont plus naturellement engagés et passionnés par la matière – qu’ils ont choisie – dès qu’ils franchissent le seuil de leur université. À cela je répondrais: ça dépend du cours !

À mes débuts en enseignement, je donnais le cours Éthique et professionnalisme dans une Faculté de sciences et de génie. Il s’agissait d’un cours obligatoire au programme menant à la profession d’ingénieur, mais il était loin de soulever les passions.

D’abord, les chargés de cours assignés à cette tâche, formés en philosophie, peinaient à donner un cours d’éthique appliquée ciblant les difficultés concrètes des professionnels des sciences et du génie (ingénieurs, arpenteurs-géomètres, chimistes, agronomes).

D’autre part, ces étudiants restaient réfractaires à un contenu qui leur semblait trop théorique, voire coupé de la réalité du terrain de leur future profession. Comment, dès lors, créer un cours enthousiasmant pour engager ces étudiants ?

Je savais peu de choses de ces étudiants, outre le fait qu’ils étaient dans une tranche d’âge (19-23 ans) qui joue régulièrement à des jeux vidéos. Et si la clé pour les engager se cachait dans ces consoles devant lesquelles ils passent leur soirée ?

Le jeu comme outil d’engagement

Le concept d’« engagement » est présent dans la littérature spécialisée depuis plus de 70 ans. Il est devenu un point d’ancrage des politiques de plusieurs institutions d’enseignement. L’engagement des étudiants s’accompagne de plusieurs bénéfices :

  • accroissement de la satisfaction des étudiants
  • persévérance scolaire
  • performance scolaire

Certains auteurs n’hésitent pas à faire de l’engagement un indicateur de performance d’un cours ou de son enseignant, sinon d’excellence institutionnelle. Au fil du temps, j’ai donc progressivement intégré de nouveaux outils pour rendre le cours plus intéressant, engageant et stimulant, et ce, autant pour les étudiants… que pour le prof !

Trophées, badges et récompenses

Parmi ces outils, l’un d’eux s’est avéré particulièrement enthousiasmant et a contribué à accroître l’engagement de mes étudiants : un système de trophées, badges et récompenses inspiré de l’univers des jeux vidéos.

Conçu avec l’aide du Centre de services en technologies de l’information et en pédagogie (CSTIP) de l’Université Laval, ce système se présente sous la forme d’une application informatique. La mécanique et le style sont semblables aux systèmes de « succès » et de « trophées » que l’on retrouve typiquement sur les 2 consoles de jeux vidéos les plus populaires (Xbox et PlayStation).

Jean-François Sénéchal présente le système de badges, trophées et récompenses qu’il a conçu.

Ce système de récompenses permet d’encourager des comportements comme:

  • la participation active
  • la présence
  • l’humour
  • la créativité
  • l’aide
  • la collégialité
  • le leadership
  • la curiosité

Ces comportements sont promus dans le discours et les politiques de nos institutions d’enseignement, mais sur le terrain, ils restent difficiles à valoriser dans les évaluations et le système de pointage traditionnels.

Réussir ses « niveaux »

Les « trophées » et « accomplissements » dans les jeux vidéos servent à récompenser les efforts et les succès du joueur, ainsi qu’à suivre et mesurer sa progression. Ainsi, lorsque le joueur réussit un niveau, découvre un nouveau pouvoir ou élimine un ennemi, par exemple, il aura un trophée. Ces systèmes incitent également les joueurs à explorer des éléments du jeu qui, autrement, pourraient être ignorés ou négligés.

À titre d’exemple, explorer tous les abris nucléaires du jeu Fallout, visiter tous les bordels du jeu Grand Theft auto ou acheter un tableau à Florence et à Venise dans l’univers d’Assasin’s Creed, demandera d’investir beaucoup de temps, de patience et de « travail ». Toutefois, chacun de ces « exploits » sera récompensé par un trophée ou un accomplissement, selon la console utilisée.

La somme de ces récompenses permet aussi au joueur de se comparer à d’autres joueurs. Toutes ces tâches et mécaniques peuvent être transposées dans un contexte d’enseignement :

  • explorer un contenu
  • réussir une tâche difficile
  • participer activement
  • compléter une somme de tâches précises
  • etc.

Afin de systématiser et catégoriser les récompenses et trophées associés à l’engagement de mes étudiants, je me suis inspiré des 5 catégories suivantes, issues d’une étude sur le sujet :

  1. S’exprimer (créer, construire, embellir)
  2. Explorer (essayer, expérimenter, rechercher)
  3. Concourir (exceller, réussir, se distinguer)
  4. Collaborer (partager, aider, coopérer)
  5. S’identifier (se reconnaître, se trouver, s’associer à un groupe)

Lorsque l’étudiant démontre, par ses actions ou son attitude, l’une ou l’autre des 4 premières déclinaisons de l’engagement, un trophée lui est transmis. Chaque trophée est accompagné automatiquement d’un court mot le félicitant pour son « exploit » et d’une promesse de point boni à la fin du cours.

La dernière déclinaison (s’identifier) prend la forme d’un tableau des meneurs et gagnants de chaque catégorie. Ce tableau permet à l’étudiant de constater dans quelle catégorie d’engagement il réussit le mieux et à quel profil il peut s’identifier. Il y a en 4 dans le jeu :

  • profil expression
  • profil explorateur
  • profil compétition
  • profil collaboration

Mentionnons quelques exemples de trophées. L’étudiant qui assiste à 90 % de ses cours en classe obtiendra le trophée « Mon corps y était ». Celui qui participe plus de 20 fois aux forums mettra la main sur le trophée « Accro des forums ».

Certains trophées ciblent l’entraide et la collégialité comme le trophée « Aide médical – Médic ». Des trophées sont évidemment prévus pour les performances scolaires, comme le trophée « Capitaine América » (pour une note de A+). Plusieurs dizaines de trophées, badges et récompenses sont prévus dans mon cours. Les meilleurs étudiants en cumuleront une trentaine. Tout ça pour un maximum de 5 points bonis !

Les efforts que ces étudiants sont prêts à consentir pour quelques trophées sont impressionnants. Alors que le nombre de visites moyennes sur un site de cours est environ de 100 visites par semestre, certains étudiants cumulent plus de 1000 visites sur le site de mon cours. Plusieurs se disent ouvertement accros à ces trophées sur les forums de discussion. D’autres m’écrivent pour me demander la liste de tous les trophées, badges et récompenses. Ils ne cherchent pas tous à cumuler les trophées, mais l’ensemble des étudiants s’amuse un peu plus. Comme le prof, d’ailleurs !

À propos de l'auteur

Jean-François Sénéchal

Il détient une maîtrise en sciences (biotechnologies) et un doctorat en philosophie (éthique des sciences). Jean-François Sénéchal publie d’ailleurs autant en sciences qu’en philosophie. Comme chargé d’enseignement, il donne le cours Éthique et professionnalisme à l’Université Laval. Chaque année, ce cours accueille plus de 600 étudiants. Ces derniers y exploreront les principaux problèmes et enjeux éthiques associés à leur rôle social comme ingénieur. Jean-François Sénéchal est également une figure de proue en matière d’innovation pédagogique, de pédagogie universitaire, et cela, dans un contexte numérique. En 2019, il a d’ailleurs été le récipiendaire du Prix de la Ministre de l’enseignement supérieure. Ce prix reconnaît l’inventivité et l’engagement de ceux et celles qui travaillent dans les cégeps et universités pour accroître l’efficacité des stratégies d’apprentissage.

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David Murray
David Murray
2 juin 2021 12h41

Merci.

Est-ce que votre programme est uniquement accessible à l’Université Laval ?

🙂