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L’atteinte d’une compétence peut-elle être évaluée par le biais d’un cumul de points? Comment s’assurer que l’élève qui obtient 60% maitrise vraiment l’essentiel du cours et n’a pas qu’une compréhension parcellaire d’une série d’éléments mineurs? La notation par spécifications est une voie pour résoudre ce problème.

À l’automne 2024, 7 collègues et moi-même avons implanté la notation par spécifications dans le cours Chimie générale, en Sciences de la nature. Notre 1re expérience n’a pas été aussi positive que nous l’espérions, mais elle nous a permis d’apprendre et d’améliorer notre approche pour une 2e session d’expérimentation à l’hiver 2025.

Notre projet à l’automne 2024 

Inspirée par l’approche de Bruno Voisard, Caroline Cormier et François Arseneault-Hubert [PDF], j’ai proposé à mes collègues d’adopter la notation par spécifications.

Dans la notation par spécifications, on divise la compétence ciblée par le cours en différentes spécifications.

Par exemple, en Chimie générale, l’objectif est d’analyser des propriétés de la matière et des transformations chimiques. Nous avons divisé cette compétence en 15 spécifications, dont:

  • Stœchiométrie: Équilibrer des réactions, effectuer des calculs stœchiométriques impliquant un réactif en excès et calculer le rendement.
  • Techniques de séparation: Appliquer des techniques de séparation de mélanges à des situations authentiques (filtration sous vide, évaporation, distillation).
  • Préparation et travail au laboratoire: Compléter le travail préparatoire, exécuter adéquatement les manipulations et respecter les bonnes pratiques de laboratoire.

Parmi ces spécifications, nous en avons initialement désignées 9 comme étant essentielles à l’atteinte de l’objectif du cours et 6 comme complémentaires.

Pour chaque spécification, nous offrons à l’élève 3 occasions d’en démontrer l’atteinte. Par exemple, une question d’examen peut cibler la spécification sur les techniques de séparation. La question peut présenter un mélange (de la caféine dissoute dans l’eau, par exemple) et demander à l’élève d’expliquer à l’aide d’un schéma (un organigramme de séparation) comment la caféine pourrait être extraite du mélange. Si la réponse de l’élève est juste et convaincante, nous notons que la spécification est maitrisée et l’élève ne sera plus évalué sur ce sujet. Si la réponse n’est pas correcte, l’élève pourra se reprendre en répondant à une autre question qui cible la même spécification dans une évaluation ultérieure. À la fin, le fait que la spécification ait été maitrisée lors du 1er essai ou lors du 3e est sans importance: dans les 2 cas, la spécification est notée comme étant maitrisée.

Pour réussir le cours, l’élève doit maitriser toutes les spécifications essentielles. À la fin de la session, un étudiant ou une étudiante qui répond aux attentes des 9 spécifications essentielles, mais d’aucune spécification complémentaire obtiendrait la note de 60%. Chaque spécification complémentaire bonifie la note de 6,67%. Mais un étudiant ou une étudiante qui ne maitriserait pas toutes les spécifications essentielles ne peut pas obtenir plus de 60%, peu importe le nombre de spécifications complémentaires qu’il ou elle maitrise. (Je note toutefois d’entrée de jeu que cette situation ne s’est pas présentée à l’automne 2024. Les élèves qui n’ont pas répondu aux attentes de toutes les spécifications essentielles n’avaient maitrisé aucune spécification complémentaire. Il faut dire que les contenus du cours Chimie générale forment en quelque sorte une pyramide: les contenus les plus avancés (complémentaires) s’appuient sur les contenus essentiels. Il serait étonnant qu’un élève puisse répondre aux attentes des spécifications complémentaires, mais pas de toutes les spécifications essentielles.)

Avantages de la notation par spécifications 

La notation par spécifications permet d’éviter qu’un étudiant ou une étudiante accumule 60 points en les grappillant ici et là, sans réellement avoir atteint la compétence ciblée par le cours. Avec la notation traditionnelle, on risque d’accorder la note de passage à un étudiant:

  • qui sait écrire l’équation d’une réaction chimique, mais qui ne peut pas effectuer correctement les calculs stoechiométriques qui s’y rattachent
  • qui connait quelques mots de vocabulaire liés aux techniques de séparation, mais qui ne comprend pas vraiment les caractéristiques de chaque technique
  • etc.

Avec la notation par spécifications, pour qu’une spécification soit considérée comme maitrisée, l’élève doit répondre aux attentes. Une atteinte partielle n’est pas comptabilisée.

La notation par spécifications donne cependant le droit à l’erreur: une étudiante qui ne parvient pas à démontrer qu’elle répond aux attentes liées à une spécification à son 1er essai a l’occasion de se reprendre à l’examen suivant. Si elle parvient cette fois-là à démontrer qu’elle répond aux attentes, cela est comptabilisé dans la note au même titre que si cela avait été réussi du 1er coup.

La notation par spécifications est donc cohérente avec le processus de l’apprentissage. Il est normal de faire des erreurs quand on apprend quelque chose de nouveau et la notation par spécifications en tient compte. L’important, c’est ce que l’élève sait faire à la fin de la session: les éventuels cahots rencontrés en cours de route n’entachent pas la note finale.

Déroulement de la session d’automne 2024 

À l’automne 2024, nous étions 10 personnes enseignantes à donner le cours Chimie générale. J’ai expliqué à mes collègues que je voulais expérimenter la notation par spécifications. 7 ont décidé de se lancer dans l’aventure avec moi! Les 2 autres ont préféré conserver l’approche traditionnelle.

Un compromis 

Au Cégep André-Laurendeau, Bruno Voisard utilise la notation par spécifications en Chimie générale avec une approche qui a fait ses preuves [PDF, voir la p. 33]. Les élèves font des tests d’une page presque chaque semaine au début de la séance de cours. Au fil de la session, ces tests permettent aux élèves de démontrer l’atteinte des différentes spécifications. Les 3 examens du cours sont l’occasion pour les élèves de répondre à des questions en lien avec des spécifications qu’ils et elles n’ont pas encore maitrisées. (Si l’atteinte d’une spécification a déjà été démontrée pendant un test, l’élève n’a pas à répondre à la question d’examen qui porte sur cette spécification.)

Toutefois, certains et certaines de mes collègues qui souhaitaient embarquer dans l’aventure avec moi hésitaient tout de même à renouveler entièrement leur approche évaluative. Développer toute une série de tests et repenser la planification du cours pour dégager du temps de classe pour ces évaluations est un gros travail. Mes collègues craignaient aussi la charge de correction associée à tout cela. Nous avons donc décidé collectivement que la maitrise des spécifications ne serait évaluée que lors des 3 examens prévus au cours de la session. Nos examens pouvaient être similaires à ceux du passé: il suffisait (presque) d’identifier à quelle spécification chaque question se rapportait. (Nous avons de toute façon dû réviser un peu nos questions en raison de l’implantation du nouveau programme de Sciences de la nature, qui relève un peu le niveau du cours Chimie générale.)

Personnellement, j’ai choisi de faire des tests formatifs sur une base presque hebdomadaire. Je voulais aider les élèves à identifier les spécifications qu’ils et elles maitrisent avant les examens afin de pouvoir mieux se préparer. Mais comme cela était formatif, même si une étudiante me démontrait la maitrise d’une spécification dans un test, elle devait la démontrer à nouveau lors d’un examen. 2 collègues ont fait de même.

Communication des résultats dans Colnet

Les systèmes de gestion pédagogique comme Omnivox (Léa) et Colnet ne sont pas particulièrement adaptés aux pratiques alternatives de notation.

Nous aurions aimé pouvoir utiliser un système à 3 niveaux: «spécification non maitrisée»/«spécification en voie d’être maitrisée»/«spécification maitrisée». Cependant, dans Colnet (le système utilisé dans notre collège), les résultats doivent absolument être numériques.

Notre solution a été de définir des évaluations avec une note sur 1 pour chacune des spécifications. Quand la spécification est maitrisée, nous inscrivons la note 1. Autrement, nous laissons la case vide. À la fin de la session, nous inscrivons la note finale en fonction du nombre total de spécifications atteintes, si toutes les spécifications essentielles ont été maitrisées.

L’inconvénient est qu’il n’est pas vraiment possible d’indiquer qu’une spécification est «en voie d’être maitrisée» (quand l’élève a fait une tentative pour démontrer la maitrise d’une spécification, mais que ça n’a pas été tout à fait concluant). Par exemple, si nous avions choisi d’écrire «0,5» pour les spécifications en voie d’être maitrisées, nous aurions dû effacer certains «0,5» pour inscrire des «0» à la fin de la session (puisque seules les spécifications réellement maitrisées peuvent contribuer à la note finale de l’élève). Nous croyons que cela aurait suscité des protestations…

Résultats du 1er examen et sondage auprès des élèves 

Malheureusement, les résultats du 1er examen, à la semaine 6, ont été très décevants. Un trop grand nombre d’élèves n’ont pas démontré la maitrise des spécifications ciblées. Cela m’a surprise, dans la mesure où les tests formatifs que je leur offrais auraient dû leur permettre de se préparer adéquatement.

Comme la session d’automne 2024 coïncidait avec l’implantation du nouveau programme de Sciences de la nature dans notre collège, un sondage a été réalisé auprès des élèves au cours de la session. Le sondage portait sur les cours en général, mais les commentaires des élèves relativement au cours de Chimie générale ont beaucoup traité de la notation par spécifications. Les commentaires des élèves ont montré une insatisfaction qui semblait relever d’une mauvaise compréhension de l’approche. Plusieurs élèves n’ont pas compris la notation «non maitrisée»/«en voie d’être maitrisée»/«maitrisée» et avaient l’impression que la moindre erreur les condamnait à l’échec. (À cet égard, le fait que nous ne puissions pas communiquer l’information «en voie d’être maitrisée» dans Colnet est assurément une partie du problème…) Il est vrai que la notation par spécifications a un aspect «tout ou rien». Mais cela n’implique pas qu’il faille une réponse «parfaite» pour obtenir tous les points pour une spécification: il faut seulement fournir une réponse qui correspond aux attentes. Une étudiante qui comprend un concept, mais fait une erreur de calcul en résolvant un problème, va tout de même obtenir sa spécification.

Ajustements 

Clarifier l’approche aux yeux des élèves

Les résultats du 1er examen nous ont poussés à rectifier le tir. Nous avons réexpliqué l’approche aux élèves. Après tout, pour ces élèves arrivant du secondaire, la transition vers le collégial était déjà une énorme étape en soi. S’approprier un nouveau système de notation en plus, c’était beaucoup d’un coup. Nous aurions dû anticiper la difficulté et prendre davantage de temps pour bien présenter nos intentions et le fonctionnement du système de notation.

Je dirais qu’après la semaine 10 environ, les élèves semblaient avoir bien compris la méthode et que leur opinion à son sujet était devenue généralement positive. Mieux vaut tard que jamais, j’imagine, mais nous aurions préféré éviter les frustrations initiales.

Offrir des occasions de reprise

Un autre ajustement qui s’est imposé après le 1er examen, c’est la nécessité d’offrir davantage d’occasions de reprise aux élèves.

Nous avons organisé une évaluation de reprise lors d’une journée de rattrapage pendant la semaine sans cours à la mi-session. D’autres occasions de reprise ont été offertes aux élèves pendant les heures de cours dans la 2e moitié de la session. Un étudiant ou une étudiante qui n’avait pas encore fait la démonstration de la maitrise d’une spécification pouvait le faire à ce moment.

Là aussi, il a fallu faire des rectifications auprès des élèves. Certaines personnes se présentaient à une évaluation de reprise sans même avoir pris connaissance des commentaires sur leur tentative précédente. Je devais leur expliquer comment étudier avant une évaluation, comment s’exercer, se préparer… Je ne sais pas quelle part de cela était due à une cohorte plus faible (à cause de l’effet de la pandémie pendant les études secondaires ou du simple hasard) et quelle part résultait de la notation par spécifications.

La gestion des reprises a été un certain défi logistique. Il fallait prévoir plusieurs versions des évaluations pour permettre aux élèves de démontrer la maitrise de la spécification qu’il leur fallait. Certains étudiants et certaines étudiantes pouvaient avoir besoin d’être réévalués plusieurs fois sur le même sujet. Et pendant que certaines personnes réalisaient leur 1re reprise, d’autres étaient à leur 2e et avaient eu l’occasion de (peut-être) communiquer la question précédente à leurs camarades de classe.

Réviser nos spécifications

En cours de session, nous avons constaté que l’une des spécifications que nous avions classées comme essentielles, «analyser des résultats», était en fait hors de la portée de la plupart des élèves de 1re session. Nous avons donc décidé de plutôt la considérer comme complémentaire. Nous avons réalisé que si les élèves s’initient à l’analyse rigoureuse des résultats dans le cours Chimie générale, ils et elles ne maitrisent réellement cette habileté que dans le cours Chimie des solutions.

Résultats à la fin de la session 

Malgré les écueils, à la fin de la session, les résultats ont été similaires à ce qu’ils étaient les années passées. (Et il faut rappeler que le cours Chimie générale est un peu plus difficile dans la nouvelle mouture du programme de Sciences de la nature.) Plusieurs élèves ont même obtenu 100% comme note finale! C’est l’un des avantages de la notation par spécifications: on peut obtenir 100% même en ayant fait des erreurs en cours de route.

Hiver 2025 

Je ne donne pas le cours à l’hiver 2025 puisque je suis en congé. (J’en ai profité pour traverser le Nunavik en ski de fond!) Cependant, mes collègues ont prévu plusieurs ajustements à la formule, pour se rapprocher davantage de ce qui est fait au Cégep André-Laurendeau:

  • Il y aura 20 spécifications plutôt que 15.
    20 spécifications, ça peut paraître beaucoup, mais ça nous permet de fragmenter des spécifications qui étaient plus larges. En les divisant, nous pensons que c’est plus encourageant pour les élèves qui voient, par exemple, qu’ils et elles peuvent en maitriser une partie. Cela les met en confiance de pouvoir réussir la partie suivante (alors que tout faire d’un coup peut sembler une trop haute montagne à gravir).
  • Des tests sont réalisés hebdomadairement et permettent de certifier l’atteinte des spécifications par les élèves. En début de session, ces tests durent 20 minutes et portent sur une seule spécification. Au fil de la session, les tests s’allongent pour permettre aux élèves qui en ont besoin de démontrer la maitrise de 2 spécifications. L’examen final deviendra une occasion de reprise.
    Puisque nous avons finalement déjà monté une bonne banque de questions d’évaluation, le travail de préparation sera moindre. En l’absence d’évaluation purement formative, le travail de correction de mes collègues devrait également être moindre que ce que j’ai fait à l’automne 2024.

Depuis mon retour du Nunavik, j’ai discuté avec les 2 personnes qui donnent le cours cette session-ci, et elles me disent que ça se déroule vraiment bien!  Les ajustements que nous avons faits sont accueillis très positivement. Une autre enseignante me disait que plusieurs élèves auraient bien voulu avoir cette méthode d’évaluation en Chimie des solutions…  

Une expérience instructive 

Malgré les écueils de cette 1re expérience, je trouve qu’il y a des éléments positifs à en retirer.

Tout d’abord, la notation par spécifications permet de faire un suivi plus détaillé des difficultés des élèves. Plutôt que de simplement voir une note globale pour l’«examen 1» ou l’«examen 2», on a sur Colnet (ou Léa…) un compte-rendu détaillé de ce que l’élève sait faire ou ne sait pas faire, avec une information pour chaque spécification.  

Mes collègues et moi avons apprécié les discussions pédagogiques plus approfondies que notre expérience de la notation par spécifications nous a amenés à avoir.  

Tout ne s’est pas passé comme nous l’espérions, mais cela ne nous empêche pas de persévérer, car nous savons que la notation par spécifications pourra servir l’apprentissage de nos élèves. À suivre!

À propos de l'auteure

Chantal Secours

Depuis 2001, Chantal enseigne la chimie au collège Montmorency, où elle est reconnue pour son approche pédagogique innovante. Déterminée à inspirer ses étudiants et ses étudiantes, elle crée des environnements d’apprentissage engageants qui favorisent la curiosité et l’esprit critique. En parallèle, elle s’implique activement dans divers comités pédagogiques, contribuant ainsi à l’amélioration de la vie éducative et à l’épanouissement des étudiants et des étudiantes. Pompière jusqu’en 2019, Chantal a dédié plusieurs années au service de sa communauté, alliant ainsi sa passion pour l’éducation à son engagement envers les autres. Son parcours témoigne de son dévouement à l’apprentissage et au bien-être collectif.

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2 Commentaires
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Nicole Perreault
22 avril 2025 10h37

Bonjour Chantal, l’approche dont vous parlez est bien intéressante. J’aimerais bien que la communauté collégiale puisse suivre les travaux que vous et vos collègues réalisez pour bonifier la notification par spécifications. J’imagine que vous comptez poursuivre à explorer cette approche et à suivre son impact sur les apprentissages de vos étudiantes et étudiants ? Merci !

Chantal Secours
Chantal Secours
27 avril 2025 11h46
Répondre à  Nicole Perreault

Bonjour Nicole, merci pour votre message. Oui nous continuons à améliorer notre manière d’implanter la NPS pour qu’elle puisse aider le plus possible dans l’apprentissage des étudiantes et étudiants. Cela me tient beaucoup à coeur!