Fermer×
4 novembre 2022

Laboratoire par enquête en physique — Des laboratoires plus engageants et plus utiles

Trop souvent, les activités de laboratoire en sciences au collégial se réduisent à des recettes que les élèves suivent sans comprendre. Pour faire mieux sur le plan pédagogique, les laboratoires par enquête sont une voie prometteuse.

Je me suis entretenue avec Rhys Adams, enseignant de physique au Cégep Vanier et membre d’un groupe de recherche formé par SALTISE, pour qu’il me parle du projet de recherche et de l’implantation de laboratoires par enquête dans son cours Ondes, optique et physique moderne, en Sciences de la nature.

Avant de discuter avec Rhys Adams, j’ai assisté à un atelier qu’il a animé avec Kevin Lenton et Karl Laroche lors du colloque de l’AQPC 2022 pour présenter le projet de recherche sur les laboratoires par enquête. Le diaporama (en anglais) utilisé lors de cet atelier est disponible sur EDUQ.info.

Pour rédiger le texte, j’ai également consulté un article scientifique [en anglais] que Rhys et les autres membres du groupe de recherche ont publié sur le sujet.

Les laboratoires traditionnels: des activités sans valeur ajoutée

Dans les cours de physique, de chimie et de biologie, les laboratoires occupent une place significative du temps de classe. Toutefois, ils sont parfois «déconnectés» de la portion théorique du cours. En fait, la littérature montre que, trop souvent, les laboratoires n’aident pas les étudiants et les étudiantes à comprendre la matière du cours. Parfois, ils peuvent même nuire…

Le projet de recherche de SALTISE

Dans le cadre du Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA), SALTISE a obtenu du financement pour mener un projet de recherche sur les laboratoires par enquête. Ce projet dirigé par Liz Charles, chercheure au Collège Dawson, a été mené par une équipe réunissant des enseignants et des enseignantes de physique, de chimie et de biologie du Cégep Vanier, du Cégep John Abbott et du Cégep André-Laurendeau.

L’apprentissage par enquête (inquiry-based learning) est une forme d’apprentissage actif basée sur l’investigation de problèmes authentiques. La responsabilité de l’apprentissage repose sur les élèves, mais l’enseignant ou l’enseignante les guident en leur fournissant un échafaudage pédagogique approprié. Par l’entremise d’activités collaboratives, par exemple, les élèves sont amenés à :

  • analyser
  • prendre des décisions
  • évaluer

Le projet de recherche mené par SALTISE vise à étendre l’apprentissage par enquête au contexte des laboratoires de sciences au collégial. Un laboratoire basé sur l’enquête amène les étudiants et les étudiantes à prendre des décisions quant à:

  • la méthodologie expérimentale à utiliser
  • les données à recueillir
  • etc.

Le projet est vaste. Un des rôles de Rhys (et d’autres membres du groupe de recherche) est d’implémenter le laboratoire par enquête dans une salle de classe en développant un échafaudage pédagogique adéquat, puis en testant et en peaufinant l’échafaudage en question.

Qu’est-ce qu’un échafaudage pédagogique?

Un échafaudage pédagogique, c’est un ensemble d’outils conçus par l’enseignant ou l’enseignante pour soutenir et structurer le processus d’apprentissage des élèves. C’est particulièrement utile quand l’apprentissage en question représente un défi.

Par exemple, construire un échafaudage pédagogique peut consister à présenter successivement des problèmes de nature similaire aux élèves. La 1re fois, on fait certaines étapes pour eux et on les laisse se concentrer sur une partie spécifique de la tâche. La 2e fois, on leur en laisse faire un peu plus, etc. Si l’échafaudage est adéquat, les élèves devraient être capables de résoudre le dernier problème de façon autonome.

L’enquête dans le cours Ondes, optique et physique moderne de Rhys Adams

Avant de participer au projet de recherche de SALTISE sur les laboratoires par enquête, Rhys Adams réalisait déjà un projet basé sur l’enquête avec ses élèves [en anglais]. Il leur demandait de choisir un ou une récipiendaire du prix Nobel de physique dont les travaux avaient un lien avec la photonique. Chaque élève devait expliquer les notions de physique associées à ce prix Nobel en faisant des liens avec la matière du cours.

En se lançant dans le projet de recherche de SALTISE, Rhys a imaginé un autre projet qui pourrait s’intégrer aux laboratoires du cours: la fabrication d’un instrument de musique. Rhys a réimaginé les laboratoires de son cours (et, surtout, la façon de les présenter aux élèves et les travaux demandés) afin d’amener les élèves à construire un instrument de musique rudimentaire mais fonctionnel à la fin de la session.

Au moment où je lui ai parlé, Rhys réalisait ce projet avec des élèves pour la 4e fois. Chaque session, il a raffiné l’échafaudage pédagogique associé à son projet.

L’échafaudage de Rhys Adams pour les laboratoires sur les oscillations et les ondes

Les ressorts

Le 1er laboratoire de la session porte sur les ressorts. Rhys demande aux élèves d’étudier les facteurs qui affectent la période des oscillations d’un système masse-ressort. (Il leur fournit une question de recherche précise.) Les élèves (en équipes) doivent établir eux-mêmes la méthodologie à adopter, recueillir des données et les analyser.

Puis, sur la plateforme myDalite, les élèves doivent répondre à des questions métacognitives. Rhys leur présente des données recueillies par «un expert» pour répondre à la même question de recherche. Les élèves doivent expliquer la méthode que l’expert a utilisée, puis la comparer avec la leur. Cela les prépare à élaborer une meilleure méthodologie pour la 2e expérience, qui porte sur les pendules simples.

Les pendules

Pour le 2e laboratoire, Rhys demande aux élèves d’étudier les facteurs qui affectent la période des oscillations d’une pendule simple.

Encore une fois, les élèves (en équipes) doivent établir eux-mêmes la méthodologie à adopter, recueillir des données et les analyser afin de répondre à la question de recherche déterminée par Rhys.

Cette expérience ressemble beaucoup à la 1re: les notions sont faciles à transposer pour les élèves.

Puis, Rhys fournit à tous une série de données recueillies par «un expert». Chaque élève, individuellement, doit analyser ces données dans un rapport de laboratoire. Les rapports individuels sont évalués par les pairs. Puis, les élèves se placent en équipe pour produire un rapport de laboratoire final qui sera évalué par Rhys. Chaque équipe peut choisir de se baser sur un rapport produit par l’un ou l’une des membres et l’améliorer, ou alors de recommencer à neuf.

Rhys rencontre chaque équipe pour discuter des forces et des faiblesses de leur rapport.

Les ondes stationnaires résonantes

Le 3e laboratoire porte sur les ondes sonores dans les tuyaux et les ondes dans les cordes. Les tâches associées à ce laboratoire sont très semblables à celles que les élèves ont réalisées lors du 1er laboratoire (sur les ressorts). Comme pour le 1er laboratoire, des questions réflexives sont posées aux élèves sur myDalite au terme de l’activité et Rhys fait un retour sur le sujet avec chaque équipe.

Ce qu’ils apprennent lors de cette activité leur est directement utile pour le projet de conception d’un instrument de musique.

La conception d’un instrument de musique

Le projet de conception d’un instrument de musique est présenté aux élèves juste avant le 3e laboratoire, sur les ondes stationnaires. Rhys leur explique qu’ils et elles devront:

  • fabriquer un instrument de musique comportant au moins 1 corde ou 1 tuyau. Ils et elles doivent le faire à la maison avec du matériel d’une valeur de moins de 10$.
  • compléter une fiche descriptive des caractéristiques de leur instrument
  • présenter leur instrument devant la classe et en jouer quelques notes (Si l’instrument est trop gros pour être apporté en classe (ça arrive!), ils et elles peuvent se filmer en train d’en jouer et présenter leur vidéo.)
  • faire une autoévaluation et évaluer les projets de leurs pairs

Mais, surtout, lors de la conception de leur instrument, les étudiants et les étudiantes devront s’appuyer sur des notions apprises lors d’une expérience de laboratoire. Ce sont eux qui choisissent l’expérience qu’ils vont réaliser. Ils doivent faire l’expérience à la maison. Par exemple, l’expérience peut viser à déterminer quelle est la longueur d’une corde donnée, sous une tension donnée, qui lui permettra d’émettre la fréquence désirée. Les élèves doivent produire un rapport de laboratoire complet pour cette expérience.

Au début du projet, il y a une séance de remue-méninges en équipe. Les élèves ont également l’occasion d’utiliser le matériel de laboratoire du cégep s’ils en ont besoin. Aucune connaissance préalable de la musique n’est nécessaire.

Pour éviter la tricherie, comme l’expérience de laboratoire se fait à la maison, Rhys demandera dorénavant à ses élèves de photographier (ou de filmer) le montage expérimental qu’ils et elles vont utiliser.

La grande différence entre la 4e expérience de laboratoire et les précédentes est que, cette fois-ci, c’est l’élève qui doit choisir sa question de recherche. Dans les autres laboratoires, Rhys impose une question aux élèves; pas ici. Chaque élève doit orienter son expérience autour de la question qui lui semble la plus utile pour son projet. L’échafaudage étant bien fait, à ce stade-là du cours, les élèves ont vu suffisamment de «bonnes» questions de recherche pour avoir une idée de la façon d’en formuler une qui soit appropriée. Néanmoins, l’exercice demeure difficile pour plusieurs. Rhys rencontre chaque élève pour valider la question de recherche à laquelle il ou elle se propose de répondre.

L’instrument de musique: un prétexte… engageant!

Dans ce projet, l’instrument de musique est un véhicule pour stimuler la motivation et la curiosité des étudiants et des étudiantes. Pour Rhys, l’instrument est, en quelque sorte, un prétexte pour que les étudiants apprennent des notions de physique et acquièrent des habiletés en recherche scientifique.

Liz Charles a réalisé des entrevues auprès d’élèves de Rhys et a constaté que les élèves aiment beaucoup construire leur instrument. C’est l’un des points marquants du cours.

Le fait que les élèves doivent présenter leur instrument devant la classe les motive à bien travailler. Rhys a vu des instruments de toutes les sortes. Certains instruments sont très beaux, mais ne sonnent pas très bien. Certains instruments sont très simples, mais ont une sonorité remarquable. D’autres sont particulièrement originaux.

Quelques-uns des instruments fabriqués par les élèves de Rhys

La crème glacée de George et l’épistémologie

Comprendre qu’il faut limiter le nombre de variables dans une expérience

Dans le cadre du projet de recherche de SALTISE, à différents moments au cours de la session, les élèves répondent aux questions d’un test intitulé George’s Ice Cream [en anglais]. Une mise en situation leur présente un personnage qui veut vérifier quelque chose expérimentalement, mais utilise une méthodologie déficiente pour y arriver.

Par exemple, dans la 1re version du test, George veut savoir si la saveur d’une friandise glacée influence la vitesse à laquelle elle fond. Le problème est qu’il compare des données recueillies sur des crèmes glacées de différentes saveurs, oui, mais aussi de différentes masses et dans des emballages de différentes couleurs, etc.

Bref, le but du test est de vérifier si les élèves comprennent que, pour étudier l’influence d’un paramètre sur un phénomène, il faut que ce paramètre soit le seul qui change. Ça semble aller de soi, mais, étonnamment, même si les élèves qui commencent le cours de Rhys en sont à leur 2e cours de physique au collégial, leurs réponses initiales sont vagues. À la fin de la session, la qualité des explications données par les élèves est un peu meilleure, leurs réponses sont plus assurées. Un plus grand nombre d’élèves est capable d’identifier le besoin de recueillir davantage de données et d’expliquer pourquoi.

En tant qu’enseignante de physique, les observations de Rhys et de l’équipe de SALTISE à travers le test de la crème glacée de George m’ont étonnée. Je me suis demandé si j’avais déjà pris la peine d’enseigner à mes élèves que, pour réaliser une expérience concluante, il faut en contrôler les variables. Je pense avoir tenu certaines choses pour acquis…

Comprendre comment les connaissances sont générées

Les élèves de Rhys répondent également, au début et à la fin de la session, à un questionnaire à propos de leurs croyances épistémiques sur un sujet précis (Topic Specific Epistemic Beliefs [en anglais]). (Dans ce cas-ci, le questionnaire porte sur le climat, un sujet sans lien direct avec le cours.) Les résultats montrent que, à la fin de la session, les élèves comprennent mieux la façon dont les connaissances scientifiques sont générées.

Perceptions des étudiants et des étudiantes de Rhys à l’égard des laboratoires par enquête

Rhys constate lui-même que les élèves sont plus engagés lors des laboratoires par enquête que dans des laboratoires traditionnels.

Pendant la dernière semaine du cours, les élèves de Rhys répondent à un questionnaire à propos des laboratoires par enquête. À la question «Aimeriez-vous faire d’autres laboratoires de cette manière dans le futur?»:

  • 28% ont répondu «Peut-être quelques laboratoires»
  • 31% ont répondu « Oui, absolument, tous les laboratoires de cette discipline (physique)»
  • 35% ont répondu «Oui, absolument, tous les laboratoires de toutes les disciplines en sciences»
  • 6% ont répondu «Autre»
  • Aucun n’a répondu «Non»

Les laboratoires par enquête n’ont pas eu un impact significatif sur les notes des élèves. Par contre, dans le sondage, tous les étudiants et toutes les étudiantes, sans exception, ont dit avoir l’impression que les laboratoires par enquête favorisent leur apprentissage. Ainsi, selon les élèves, les laboratoires par enquête sont une bonne façon d’apprendre la physique!

Alors qu’une nouvelle version du programme de Sciences de la nature est implantée dans tous les collèges de la province, Rhys Adams espère que plusieurs en profiteront pour faire une plus grande place aux laboratoires par enquête dans leurs cours!

Mes très vifs remerciements à Rhys Adams, qui a pris le temps de me rencontrer pour me présenter son projet et de réviser le texte!

À propos de l'auteure

Catherine Rhéaume

Catherine Rhéaume est éditrice et rédactrice pour Éductive (auparavant Profweb) depuis 2013. Elle est enseignante de physique au Cégep Limoilou. Elle est également auteure de différents cahiers d’apprentissage pour la physique et pour la science et la technologie au secondaire. Son travail pour Éductive l’amène tout naturellement à s’intéresser à la pédagogie numérique et à l’innovation pédagogique.

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires