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5 avril 2024

L’intelligence artificielle générative: un outil pour les élèves

En Techniques de comptabilité et de gestion, dans mon cours Plan d’affaires, j’encourage mes élèves à utiliser l’intelligence artificielle (IA) générative pour faire certains travaux. Cela leur permet de produire plus efficacement des travaux de grande qualité. Cela les prépare également au marché du travail, où ils et elles seront appelés à utiliser ces outils. Toutefois, pour que cette utilisation de l’IA soit éthique et responsable, je l’encadre.

«Mais où va le monde si les jeunes utilisent l’IA à l’école?»

L’IA a mauvaise presse ces temps-ci en enseignement. Je pense que c’est analogue à ce qui s’est produit lors de l’arrivée de la calculatrice, de Google ou de Wikipédia. Au début, on a voulu les interdire, pensant que ces technologies empêcheraient les élèves d’apprendre correctement, voire (en dramatisant) qu’elles feraient retomber la civilisation à l’âge de pierre.

Personnellement, je m’intéresse à l’IA générative depuis ses débuts. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un outil remarquable pour nos élèves à l’heure actuelle et qui continuera de l’être lorsqu’ils et elles seront sur le marché du travail.

L’IA peut aider tous les élèves, de différentes manières

Certaines personnes timides ou anxieuses peuvent hésiter à poser des questions en classe. (Par exemple, un étudiant de 3e année peut être gêné d’avoir oublié la définition d’un terme qu’il se rappelle avoir étudié en 1re année.) Avant l’arrivée de l’IA, ces personnes pouvaient faire des recherches sur le web par elles-mêmes pour trouver la réponse. Avec l’IA, c’est encore plus simple: elles peuvent interroger un robot conversationnel, puis valider la réponse au besoin.

L’IA est aussi utile aux personnes dyslexiques ou immigrantes non francophones. Elle peut corriger un texte, le traduire dans une autre langue ou même fournir la base d’un texte dans un français correct. Elle enlève des barrières!

Les personnes plus performantes, quant à elles, peuvent discuter avec l’IA pour obtenir des suggestions pour améliorer un travail ou simplement pour faire des recherches complémentaires sur un sujet. Pendant que j’aide les élèves plus faibles à atteindre le seuil de réussite du cours, les personnes plus avancées peuvent utiliser l’IA pour aller plus loin.

Ainsi, l’IA peut aider autant les étudiantes et les étudiants plus faibles que les plus forts. Et les personnes «dans la moyenne»? L’IA peut aussi les aider!

L’IA peut nous éviter le syndrome de la page blanche. Elle peut rédiger une 1re version d’un document et nous laisser plus de temps pour l’améliorer ensuite. L’IA peut nous accompagner dans un remue-méninge et nous proposer des idées ou des arguments originaux. Elle peut corriger rapidement les fautes dans un texte. Dans tous ces cas, des élèves très doués n’en auront peut-être pas besoin, mais pour ceux et celles dans la moyenne, l’IA entraînera un gain de productivité significatif.

Est-ce éthique d’utiliser l’IA pour se simplifier la vie?

Dans mes cours, mes élèves ont des lettres à écrire (pour présenter un projet d’affaires à un partenaire potentiel, par exemple). Par le passé, je leur enseignais à utiliser au besoin Le français au bureau, à y trouver un modèle de lettre et à le personnaliser. Est-ce qu’utiliser ces modèles était de la triche? Bien sûr que non. Maintenant, l’IA peut rédiger pour les élèves une base encore plus riche et spécifique que les modèles génériques. La lettre finale peut ainsi être rédigée plus rapidement et avec un résultat potentiellement plus intéressant. Est-ce tricher pour autant? Selon moi, non!

Sur le marché du travail, pourquoi une entreprise voudrait-elle payer quelqu’un pour faire laborieusement ce qu’une autre personne arriverait à faire plus efficacement parce qu’elle a utilisé l’IA? Enseigner aux élèves à travailler avec l’IA, c’est les rendre aptes à répondre aux attentes du monde du travail.

Réfléchir à la finalité des tâches qu’on demande aux élèves

Pour choisir d’encourager ou non nos élèves à utiliser l’IA, il faut réfléchir à la finalité du cours ou de l’activité ciblée.

En 3e année, en gestion de projets, l’une des activités du cours est d’écrire une communication à une entreprise pour demander du financement pour un projet. La finalité de l’activité, dans la réalité, serait que l’entreprise réponde par l’affirmative. Ce que je veux évaluer, ce n’est pas la syntaxe du texte ou ses qualités littéraires en tant que telles, mais spécifiquement sa capacité à générer une action positive de la part du destinataire. Dans ce cadre-là, il me semble légitime (et efficace!) d’utiliser l’IA pour produire la base du texte ou pour l’améliorer.

C’est la même chose quand je demande aux élèves d’écrire des communications destinées aux membres de leur équipe de travail. Le but est de générer un changement de comportement chez leurs coéquipiers et coéquipières. Les élèves ont souvent tendance à n’écrire qu’une phrase ou 2. L’IA génère des textes plus étoffés, plus détaillés, qui donnent davantage d’informations au destinataire et augmente les chances que celui-ci comprenne ce qui est attendu de lui. À mon avis, cela minimise les risques de problèmes de communication.

Revoir la taxonomie de Bloom à l’heure de l’IA

À mon avis, la taxonomie de Bloom doit être réinventée pour tenir compte des outils actuels. Cela a été fait par l’équipe du Ecampus de l’Oregon State University et adapté par l’équipe du CADRE21.

La taxonomie de Bloom à l’ère de l’intelligence artificielle (Source)

Je ne voudrais pas que les élèves de 1re année de mon programme utilisent l’IA à tout vent, car ils et elles ont besoin de s’approprier les concepts. Mais en 3e année, les élèves mettent les concepts en application. Dans ce contexte, la personne qui utilise l’IA va aller plus vite que celle qui s’en prive.

Par exemple, dans le cours où la compétence est liée à la présentation et à la mise en forme d’informations, l’IA peut aider les élèves à rassembler des informations rapidement. Ils et elles peuvent ensuite les analyser et les organiser dans un diaporama pour les présenter. Cela permet aux élèves de passer plus de temps à travailler véritablement le développement de la compétence.

Maîtriser les outils qui permettent d’être efficace, c’est assurément un atout sur le marché du travail. Cependant, il faut savoir faire la part des choses. L’élève doit distinguer les situations où il est éthique d’utiliser l’IA de celles où ce ne l’est pas.

Encadrer les élèves

J’encadre mes élèves dans leur utilisation de l’IA. Tout d’abord, je veux que les élèves m’informent de l’utilisation qu’ils et elles en font:

  • nom de l’agent conversationnel (ChatGPT, Bard, etc. — Pour le moment, ChatGPT me semble fournir de meilleurs résultats, donc c’est cet agent conversationnel que j’encourage mes élèves à utiliser.)
  • date de la conversation
  • question posée

Les élèves notent tout cela dans un journal de bord de leurs interactions avec l’IA.

De plus, plutôt que de les laisser copier-coller le texte généré par l’IA (avec ou sans guillemets), je leur demande de la paraphraser, de reformuler les idées pertinentes dans leurs mots, en citant l’IA comme source. Cela les force à réfléchir à l’information plutôt que de la copier bêtement.

Le journal de bord des élèves me permet d’évaluer de manière informelle la qualité des questions posées à l’IA. Avec l’IA générative, quand une personne est capable d’exprimer ses besoins de façon détaillée et précise, elle obtient des résultats plus intéressants.

De meilleurs résultats grâce à l’IA

Les années passées, lors de la rédaction d’un plan d’affaires, mes élèves pouvaient avoir besoin d’une heure, en classe, pour créer un organigramme. Aujourd’hui, avec l’IA, ça leur prend 5 minutes. Cependant, je n’ai pas diminué le temps consacré à l’activité en classe. Les élèves profitent du temps libéré pour peaufiner leur travail, pour l’améliorer.

Les textes de leurs plans d’affaires sont plus riches, plus intéressants et mieux collés à la réalité du terrain. Les élèves sont fiers des résultats. Pour ma part, j’ai davantage de plaisir à corriger leurs travaux.

Discerner le vrai du faux à travers les hallucinations de l’IA

L’un des défis qui persiste avec l’IA générative est de discerner le vrai du faux. L’IA ne donne pas que des informations correctes, loin de là…

Je pense que les élèves doivent apprendre à s’y retrouver. Ils et elles peuvent utiliser une partie du temps gagné grâce à l’IA pour faire des vérifications supplémentaires. Mes élèves tombent dans des pièges, mais ils et elles apprennent à ne plus se faire prendre. Plusieurs des plans d’affaires produits par mes élèves me parlaient de l’importance d’obtenir une licence de commerce en ligne (ce qui n’existe pas) ou de demander d’autres permis imaginaires… Évidemment, de telles erreurs pénalisent leur note pour le travail…

Ça ne sert à rien de tenter de protéger nos élèves en les mettant dans une bulle. Sinon, quand ils et elles vont en sortir, une fois sur le marché du travail, il va y avoir un choc.

À mon avis, de toute façon, les entreprises ne voudront éventuellement plus embaucher les personnes qui ne peuvent pas se servir de l’IA efficacement.

Les élèves ont besoin d’être formés

On peut avoir tendance à penser que les cégépiens et cégépiennes maîtrisent déjà naturellement l’utilisation de l’IA générative, mais ce n’est pas ce que j’observe. On pense que les élèves cherchent spontanément à utiliser l’IA dans tous les contextes, pour tous leurs travaux scolaires, mais j’ai plutôt l’impression que plusieurs en ont peur.

Il faut travailler avec nos élèves et les former à utiliser l’IA. Personnellement, à l’automne 2023, j’ai expliqué très sommairement à mes élèves comment utiliser l’IA, mais je n’ai pas pris beaucoup de temps pour le faire. (À l’hiver 2024, je n’enseigne pas, puisque je suis responsable régional du Défi OSEntreprendre Saguenay-Lac-Saint-Jean.) Je pense que cela gagnerait à être fait à travers des ateliers d’expérimentation à la bibliothèque le midi, par exemple. Cela pourrait ainsi profiter aux élèves dans l’ensemble de leurs cours. Ils et elles pourraient apprendre à:

  • formuler une requête (Quels mots choisir, quels adjectifs, etc.)
  • découvrir les possibilités offertes par l’IA générative (Plusieurs élèves ne savent pas qu’on peut demander à l’IA de réécrire un texte en changeant les temps des verbes ou la personne, d’adapter un texte à la réalité québécoise, etc.)
  • etc.

À l’automne 2023, j’ai pensé que mes étudiantes et mes étudiantes en savaient plus sur l’IA que ce qu’ils et elles savaient réellement. J’estimais que l’IA les mettrait tous sur un pied d’égalité, alors que ça a plutôt accru les inégalités. Ceux et celles qui savaient s’en servir efficacement ont eu une grande longueur d’avance sur les autres…

Un terrain de jeu en attendant des balises institutionnelles

Selon moi, les établissements vont devoir baliser l’utilisation de l’IA dans les cours pour éviter les dérives éthiques. Mais actuellement, il n’y a pas réellement de règles dans mon collège. L’automne 2023 a été une opportunité d’expérimenter, un terrain de jeu. Avant, mon plan de cours disait que l’élève devait être l’unique auteur de son travail, sous peine d’obtenir un 0. Cet automne, mon plan de cours disait plutôt que l’utilisation de ChatGPT était permise quand je l’autorisais explicitement.

L’IA ne peut pas (et ne doit surtout pas!) remplacer les enseignants et les enseignantes. Mais nous pouvons être des coachs dans l’utilisation qu’en font nos élèves.

Je suis conscient que la situation varie d’un programme à un autre, d’une discipline à une autre. Dans mon domaine, la notion d’efficacité est clé. Je sais qu’en littérature ou en philosophie, la situation n’est pas la même. L’IA peut servir à faire des remue-méninges ou pour formuler des arguments sur n’importe quelle position. Il y a là un potentiel pédagogique intéressant.

Dans tous les cas, je pense que la situation actuelle nous impose de revoir notre posture. Et vous, comment l’IA peut-elle transformer la réalité de votre programme? Comment avez-vous adapté vos pratiques et intégré l’IA dans vos cours?

Merci à Catherine Rhéaume, éditrice pour Éductive, pour sa collaboration pour la rédaction de ce récit.

À propos de l'auteur

François Cormier

François Cormier, natif du Saguenay, est le parfait exemple de la symbiose entre l’éducation et l’entrepreneuriat. Depuis 2015, il enseigne avec passion la comptabilité et la gestion au Collège d’Alma, où il s’est affirmé comme un pilier de l’éducation. Parallèlement, il a dirigé pendant 5 ans une agence numérique web, mettant en avant sa vision stratégique et son audace dans le monde des affaires. Son expertise en stratégie d’affaires et son rôle de mentor au sein du réseau Mentorat Saguenay témoignent de son engagement profond envers le développement professionnel. François Cormier incarne l’harmonie entre l’enseignement et l’entrepreneuriat, une source d’inspiration pour les générations actuelles et futures.

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Nicole Perreault
10 avril 2024 15h36

Merci François (et Catherine !) pour ce récit fort pertinent et susceptible de donner à réfléchir à plusieurs enseignants et enseignantes. 
En complément au récit, je propose un webinaire AQPC qui aura lieu le 18 avril prochain à 11 h 30 (gratuit, ouvert à tous et à toutes et offert en interprétation simultanée an anglais). Le webinaire intitulé ChatGPT au postsecondaire: perceptions et usages, sera animé, entre autres, par Bruno Poellhuber (bien connu dans le réseau collégial) et deux enseignants de l’ordre collégial. Ce webinaire explore le potentiel de ChatGPT et son impact sur l’éducation. Il aborde la littératie en IA, les usages pédagogiques et les défis de l’IA générative en enseignement collégial.
Pour s’inscrire : https://www.aqpc.qc.ca/fr/webinaires 
Merci encore pour le récit !

Gervais Bérubé
Gervais Bérubé
12 avril 2024 16h13

Merci Francois, très intéressant!