Je ne voudrais pas que les élèves de 1re année de mon programme utilisent l’IA à tout vent, car ils et elles ont besoin de s’approprier les concepts. Mais en 3e année, les élèves mettent les concepts en application. Dans ce contexte, la personne qui utilise l’IA va aller plus vite que celle qui s’en prive.
Par exemple, dans le cours où la compétence est liée à la présentation et à la mise en forme d’informations, l’IA peut aider les élèves à rassembler des informations rapidement. Ils et elles peuvent ensuite les analyser et les organiser dans un diaporama pour les présenter. Cela permet aux élèves de passer plus de temps à travailler véritablement le développement de la compétence.
Maîtriser les outils qui permettent d’être efficace, c’est assurément un atout sur le marché du travail. Cependant, il faut savoir faire la part des choses. L’élève doit distinguer les situations où il est éthique d’utiliser l’IA de celles où ce ne l’est pas.
Encadrer les élèves
J’encadre mes élèves dans leur utilisation de l’IA. Tout d’abord, je veux que les élèves m’informent de l’utilisation qu’ils et elles en font:
- nom de l’agent conversationnel (ChatGPT, Bard, etc. — Pour le moment, ChatGPT me semble fournir de meilleurs résultats, donc c’est cet agent conversationnel que j’encourage mes élèves à utiliser.)
- date de la conversation
- question posée
Les élèves notent tout cela dans un journal de bord de leurs interactions avec l’IA.
De plus, plutôt que de les laisser copier-coller le texte généré par l’IA (avec ou sans guillemets), je leur demande de la paraphraser, de reformuler les idées pertinentes dans leurs mots, en citant l’IA comme source. Cela les force à réfléchir à l’information plutôt que de la copier bêtement.
Le journal de bord des élèves me permet d’évaluer de manière informelle la qualité des questions posées à l’IA. Avec l’IA générative, quand une personne est capable d’exprimer ses besoins de façon détaillée et précise, elle obtient des résultats plus intéressants.
De meilleurs résultats grâce à l’IA
Les années passées, lors de la rédaction d’un plan d’affaires, mes élèves pouvaient avoir besoin d’une heure, en classe, pour créer un organigramme. Aujourd’hui, avec l’IA, ça leur prend 5 minutes. Cependant, je n’ai pas diminué le temps consacré à l’activité en classe. Les élèves profitent du temps libéré pour peaufiner leur travail, pour l’améliorer.
Les textes de leurs plans d’affaires sont plus riches, plus intéressants et mieux collés à la réalité du terrain. Les élèves sont fiers des résultats. Pour ma part, j’ai davantage de plaisir à corriger leurs travaux.
Discerner le vrai du faux à travers les hallucinations de l’IA
L’un des défis qui persiste avec l’IA générative est de discerner le vrai du faux. L’IA ne donne pas que des informations correctes, loin de là…
Je pense que les élèves doivent apprendre à s’y retrouver. Ils et elles peuvent utiliser une partie du temps gagné grâce à l’IA pour faire des vérifications supplémentaires. Mes élèves tombent dans des pièges, mais ils et elles apprennent à ne plus se faire prendre. Plusieurs des plans d’affaires produits par mes élèves me parlaient de l’importance d’obtenir une licence de commerce en ligne (ce qui n’existe pas) ou de demander d’autres permis imaginaires… Évidemment, de telles erreurs pénalisent leur note pour le travail…
Ça ne sert à rien de tenter de protéger nos élèves en les mettant dans une bulle. Sinon, quand ils et elles vont en sortir, une fois sur le marché du travail, il va y avoir un choc.
À mon avis, de toute façon, les entreprises ne voudront éventuellement plus embaucher les personnes qui ne peuvent pas se servir de l’IA efficacement.
Les élèves ont besoin d’être formés
On peut avoir tendance à penser que les cégépiens et cégépiennes maîtrisent déjà naturellement l’utilisation de l’IA générative, mais ce n’est pas ce que j’observe. On pense que les élèves cherchent spontanément à utiliser l’IA dans tous les contextes, pour tous leurs travaux scolaires, mais j’ai plutôt l’impression que plusieurs en ont peur.
Il faut travailler avec nos élèves et les former à utiliser l’IA. Personnellement, à l’automne 2023, j’ai expliqué très sommairement à mes élèves comment utiliser l’IA, mais je n’ai pas pris beaucoup de temps pour le faire. (À l’hiver 2024, je n’enseigne pas, puisque je suis responsable régional du Défi OSEntreprendre Saguenay-Lac-Saint-Jean.) Je pense que cela gagnerait à être fait à travers des ateliers d’expérimentation à la bibliothèque le midi, par exemple. Cela pourrait ainsi profiter aux élèves dans l’ensemble de leurs cours. Ils et elles pourraient apprendre à:
- formuler une requête (Quels mots choisir, quels adjectifs, etc.)
- découvrir les possibilités offertes par l’IA générative (Plusieurs élèves ne savent pas qu’on peut demander à l’IA de réécrire un texte en changeant les temps des verbes ou la personne, d’adapter un texte à la réalité québécoise, etc.)
- etc.
À l’automne 2023, j’ai pensé que mes étudiantes et mes étudiantes en savaient plus sur l’IA que ce qu’ils et elles savaient réellement. J’estimais que l’IA les mettrait tous sur un pied d’égalité, alors que ça a plutôt accru les inégalités. Ceux et celles qui savaient s’en servir efficacement ont eu une grande longueur d’avance sur les autres…
Un terrain de jeu en attendant des balises institutionnelles
Selon moi, les établissements vont devoir baliser l’utilisation de l’IA dans les cours pour éviter les dérives éthiques. Mais actuellement, il n’y a pas réellement de règles dans mon collège. L’automne 2023 a été une opportunité d’expérimenter, un terrain de jeu. Avant, mon plan de cours disait que l’élève devait être l’unique auteur de son travail, sous peine d’obtenir un 0. Cet automne, mon plan de cours disait plutôt que l’utilisation de ChatGPT était permise quand je l’autorisais explicitement.
L’IA ne peut pas (et ne doit surtout pas!) remplacer les enseignants et les enseignantes. Mais nous pouvons être des coachs dans l’utilisation qu’en font nos élèves.
Je suis conscient que la situation varie d’un programme à un autre, d’une discipline à une autre. Dans mon domaine, la notion d’efficacité est clé. Je sais qu’en littérature ou en philosophie, la situation n’est pas la même. L’IA peut servir à faire des remue-méninges ou pour formuler des arguments sur n’importe quelle position. Il y a là un potentiel pédagogique intéressant.
Dans tous les cas, je pense que la situation actuelle nous impose de revoir notre posture. Et vous, comment l’IA peut-elle transformer la réalité de votre programme? Comment avez-vous adapté vos pratiques et intégré l’IA dans vos cours?
Merci François (et Catherine !) pour ce récit fort pertinent et susceptible de donner à réfléchir à plusieurs enseignants et enseignantes.
En complément au récit, je propose un webinaire AQPC qui aura lieu le 18 avril prochain à 11 h 30 (gratuit, ouvert à tous et à toutes et offert en interprétation simultanée an anglais). Le webinaire intitulé ChatGPT au postsecondaire: perceptions et usages, sera animé, entre autres, par Bruno Poellhuber (bien connu dans le réseau collégial) et deux enseignants de l’ordre collégial. Ce webinaire explore le potentiel de ChatGPT et son impact sur l’éducation. Il aborde la littératie en IA, les usages pédagogiques et les défis de l’IA générative en enseignement collégial.
Pour s’inscrire : https://www.aqpc.qc.ca/fr/webinaires
Merci encore pour le récit !
Merci Francois, très intéressant!