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S’éloigner de l’enseignement « traditionnel » signifie-t-il enseigner de façon moins rigoureuse?

En décembre, j’ai assisté à un webinaire en anglais organisé par The Chronicle of Higher Education au sujet de l’impact de l’expérience d’enseignement à distance en 2020 sur les pratiques pédagogiques inclusives.

C’était un panel réunissant 3 spécialistes de l’enseignement œuvrant dans des universités américaines. Vous pouvez en visionner l’enregistrement sans frais, en fournissant vos coordonnées.

L’un des thèmes récurrents pendant les discussions a été celui de la rigueur.

2 interventions ont particulièrement retenu mon attention et je souhaite en partager le contenu avec vous.

1. Qu’est-ce que la rigueur?

[À cause de la pandémie,] plusieurs enseignants ont trouvé des façons remarquables […] de se concentrer sur ce qui était vraiment important en classe, sans surcharger les étudiants mais sans non plus diminuer la rigueur de leurs cours.

[…]

Souvent, des enseignants me demandent si enseigner de façon inclusive, ça veut dire rendre un cours moins rigoureux, rendre un cours plus facile. Je réponds : pas du tout! [Rendre un cours plus facile,] ça va à l’encontre des bonnes pratiques. Si vos étudiants sentent que vous rendez les choses plus faciles parce que vous avez pitié d’eux, ce n’est pas du tout une pratique inclusive!

Quand on pense à la rigueur, […] il faut se demander ce qu’on entend par ce terme. Est-ce qu’il s’agit de rigueur intellectuelle ou d’une rigueur associée à des barrières qui font que certains étudiants ne peuvent pas réussir le cours?

— Jamiella Brooks, Directrice adjointe du Centre pour l’enseignement et l’apprentissage à l’Université de Pennsylvanie [traduction libre, adaptée au format écrit]

Jamiella Brooks a fait référence à des propos tenus lors d’un événement passé auquel elle avait participé et qui avait fait l’objet d’un texte dans The Chronicle of Higher Education [en anglais]: baisser les attentes, ça signale aux étudiants qu’on ne croit pas qu’ils sont capables de réussir… et les étudiants peuvent finir par y croire!

Dans le texte du Chronicle, on lit que le problème n’est pas d’aspirer à la rigueur, mais de considérer les mauvais indicateurs comme gages de rigueur :

  • Une énorme charge de travail pour les étudiants n’est pas un indicateur de rigueur.
  • Une distribution gaussienne pour les notes des étudiants n’est pas un indicateur de rigueur.

Si certains étudiants réussissent moins bien parce qu’ils étaient moins préparés aux études supérieures, ça ne veut pas dire qu’un cours est rigoureux. Ça indique plutôt que les étudiants n’ont pas été suffisamment soutenus.

2. Résistance au changement

Je réfléchis beaucoup à la résistance au changement en enseignement supérieur et à ce qui la cause.

Une grande partie de ce qui fait que les gens sont en faveur du statuquo, c’est qu’ils ont eux-mêmes profité de la version actuelle du système (par exemple : des exposés magistraux mur à mur). Ils se disent que leurs étudiants devraient aussi être capables de réussir dans cet environnement-là.

[…]

Souvent, quand je parle d’apprentissage actif, par exemple, les enseignants me disent : « Ça rendrait mes cours moins rigoureux. ». Ce n’est pas vrai! Il y a eu des méta-analyses qui ont montré que c’est profitable pour l’apprentissage de tous les étudiants, mais que c’est disproportionnellement profitable pour les étudiants qui ont été historiquement exclus de l’enseignement supérieur, à cause de leur ethnicité ou de leur classe sociale. [1re méta-analyse, 2e méta-analyse]

Un autre exemple, c’est la façon dont on conçoit les examens en ce moment : des questions à choix multiples, un temps limité, une pondération élevée… Ce qui est évalué avec ce genre d’examens, ça peut profiter aux étudiants s’ils sont pris sur une île déserte sans aucune ressource, mais ce qu’on devrait vraiment récompenser, chez nos étudiants, c’est la pensée critique. On veut des étudiants qui peuvent trier et synthétiser de l’information.

La façon qu’on a actuellement d’évaluer les étudiants […], je pense que ce n’est pas adéquat. Sans oublier que ça récompense les étudiants qui arrivent en classe en étant les mieux « préparés scolairement », c’est-à-dire des étudiants qui viennent souvent de milieux plus privilégiés.

— Cissy Ballen, Assistante professeure, chercheure en enseignement de la biologie, Université Auburn, Alabama [traduction libre, adaptée au format écrit]

L’inclusion sous toutes ses formes

La lecture des méta-analyses auxquelles Cissy Ballen a fait référence m’a fait repenser à un article que j’ai écrit en 2018 et, surtout, au texte de Pédagogie collégiale qui l’avait inspiré: «L’apprentissage actif, une question de risques… calculés». Depuis longtemps, je suis d’avis que la rigueur d’un cours ne se mesure pas à la quantité de connaissances dont l’enseignant fait étalage, mais aux apprentissages que les étudiants font.

Les étudiants issus de minorités ethniques sont peu nombreux dans mes cours. Les étudiants issus de milieux défavorisés sans doute plus nombreux, mais… invisibles! Quant à ceux en situation de handicap, les lettres que je reçois des Services adaptés en rendent plusieurs visibles. Toutefois, ce ne sont pas tous les étudiants en situation de handicap qui demandent de l’aide.

Il est bon de prendre conscience à nouveau du fait que l’apprentissage actif peut être une façon d’aider autant les étudiants issus de minorités que ceux issus milieux défavorisés ou en situation de handicap… et tous les autres étudiants aussi!

À propos de l'auteure

Catherine Rhéaume

Catherine Rhéaume est éditrice et rédactrice pour Éductive (auparavant Profweb) depuis 2013. Elle est enseignante de physique au Cégep Limoilou. Elle est également auteure de différents cahiers d’apprentissage pour la physique et pour la science et la technologie au secondaire. Son travail pour Éductive l’amène tout naturellement à s’intéresser à la pédagogie numérique et à l’innovation pédagogique.

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