Quand il est question d’intelligence artificielle générative (IAG), c’est un euphémisme de dire que les choses évoluent rapidement. Malgré cela, le rapport Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur: enjeux pédagogiques et éthiques, publié en avril 2024 par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) et la Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST), reste très actuel près d’un an après sa publication. Je vous en présente quelques grandes lignes, en m’intéressant surtout aux recommandations destinées aux personnes enseignantes.
Alignement pédagogique
Le 1er aspect de l’utilisation de l’IAG en enseignement supérieur abordé par le rapport est l’importance de l’alignement pédagogique.
L’alignement pédagogique consiste à viser la cohérence entre les objectifs pédagogiques ciblés, les activités proposées aux élèves et les évaluations réalisées. Selon le CSE et la CEST, «l’alignement pédagogique peut servir de repère pour l’intégration de l’IAG en enseignement supérieur».
Il s’agit donc pour les personnes enseignantes de se demander, a priori, quels sont les problèmes à résoudre via les technologies, de réfléchir d’abord aux objectifs pédagogiques de l’usage (ou non) du numérique et de déterminer ensuite comment, s’il y a lieu, les outils numériques peuvent contribuer à l’apprentissage et à l’enseignement.
– Conseil supérieur de l’éducation et Commission de l’éthique en science et en technologie (2024), Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur: enjeux pédagogiques et éthiques, p. XII
Le rapport cite l’existence de pratiques pédagogiques intégrant l’IAG qui semblent prometteuses, mais précise que le potentiel pédagogique de l’IAG dépend du contexte d’apprentissage.
Par exemple, une utilisation destinée à améliorer le style et la syntaxe d’un texte semble fondamentalement différente d’un usage ayant pour but de bonifier sa teneur et la qualité de son argumentation. Dans certains cas d’usage, l’exercice de réflexion de la personne étudiante pourrait se situer à un bas niveau cognitif et être très peu affecté par l’utilisation de l’IA générative, alors que d’autres cas pourraient impliquer des tâches cognitives de niveau supérieur. Selon l’objectif de l’apprentissage (évaluer la qualité de l’argumentation ou le style de rédaction), ces utilisations pourraient décharger (ou non) la personne étudiante de tâches cognitives déterminantes pour son apprentissage et de leur évaluation afférente […].
– Conseil supérieur de l’éducation et Commission de l’éthique en science et en technologie (2024), Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur: enjeux pédagogiques et éthiques, p. 21
Le rapport invite à la réflexion au sujet de la décharge cognitive qui peut être associée à certaines technologies. Par exemple, l’accès facile à n’importe quelle information sur internet peut décourager certaines personnes de mémoriser des informations, sachant qu’elles pourront aisément les retrouver sur le web en cas de besoin. (Je plaide coupable! Et j’avoue également réfléchir un peu moins à l’accord des participes passés des verbes pronominaux depuis qu’Antidote passe derrière moi dans tous mes courriels.) Le même type de phénomène pourrait s’observer au fur et à mesure que la place de l’IAG grandira dans nos vies. S’il devient très facile de faire écrire un texte par l’IAG, cela pourrait décourager certaines personnes de développer (ou de maintenir) leurs compétences rédactionnelles ou leur créativité, par exemple.
[E]n réalisant des tâches complexes à la place des personnes étudiantes, les technologies les déchargent d’efforts qui pourraient néanmoins contribuer à leur apprentissage. En effet, certaines tâches laborieuses pouvant être déléguées à l’IA générative pourraient se révéler nécessaires à l’apprentissage des notions fondamentales d’une discipline, par exemple la production de résumés de textes, la rédaction d’essais ou l’exercice de son esprit critique vis-à-vis des connaissances. Ces tâches peuvent être essentielles au développement de la pensée critique et d’autres compétences de haut niveau cognitif chez les personnes étudiantes.
– Conseil supérieur de l’éducation et Commission de l’éthique en science et en technologie (2024), Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur: enjeux pédagogiques et éthiques, p. 23
Le CSE et la CEST craignent également que l’utilisation de l’IAG décourage «les personnes étudiantes de recourir aux sources primaires, puisque l’exercice s’avère alors plus laborieux que d’interroger un grand modèle de langage».
Le rapport aborde également l’impact du plagiat facilité par l’IAG sur les capacités cognitives des élèves. En effet, puisque les évaluations sont essentielles à l’apprentissage, le plagiat compromet l’apprentissage. (Le plagiat et la tricherie ne sont assurément pas apparus avec l’IAG, mais l’IAG «peut faciliter les entorses à l’intégrité académique en plus de complexifier leur détection et leur preuve».)
En somme, en l’absence de formations et d’encadrements adéquats, l’IA risque de contribuer à modifier le rapport des personnes étudiantes au savoir, en diminuant l’intérêt porté à certains apprentissages tels que ceux liés aux connaissances factuelles.
– Conseil supérieur de l’éducation et Commission de l’éthique en science et en technologie (2024), Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur: enjeux pédagogiques et éthiques, p. 25
Bravo Catherine,
Belle récapitulation des recommandations destinées aux enseignantes et enseignants. Ça fait du bien de revoir cela presque un an après sa publication à la lumière des avancées d’outils d’IA. Le rapport met en évidence les principes de base, mais j’ai hâte de voir ce que le comité nouvellement créé, l’Instance de concertation nationale sur l’intelligence artificielle en enseignement supérieur, va produire.