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29 avril 2021

Une foulée, deux enjambées: un parcours poétique comme épreuve synthèse

Ce texte a initialement été publié par Profweb sous licence CC BY-NC-ND 4.0 International, avant la création d’Éductive.

À l’hiver 2021, j’ai élaboré un projet de création qui a permis aux finissants du programme Arts, lettres et communication, option Littérature, de quitter leurs écrans devant lesquels ils sont coincés depuis mars 2020, afin de réaliser le premier volet de leur épreuve synthèse de programme. Je voulais les amener à sortir, mais du même coup à faire sortir la poésie des livres, à l’offrir à lire et à entendre.

La pandémie nous a isolés depuis un an, mais elle nous a aussi donné l’élan de la marche. Les étudiants ont donc été invités à une déambulation autour du cégep pour écrire un poème inspiré par les lieux traversés. Ils devaient ensuite proposer un parcours pour offrir leurs poèmes aux promeneurs. Les textes allaient ainsi regagner les lieux d’où ils avaient émergé et être diffusés.

À priori, le parcours poétique ne semble pas très technologique, pourtant c’est la technologie qui nous a permis de le concrétiser. Il y a eu plusieurs rencontres préparatoires en Zoom, des collaborations par Teams avec la graphiste puis le service des communications du collège, la lecture de livres numériques et l’utilisation d’un code QR sur les affiches pour faciliter l’accès à la carte du trajet.

Les étapes du projet

Inscription au Mois de la poésie et préparation d’une vidéo promotionnelle

Avant que la session d’hiver 2021 ne prenne son envol, j’ai contacté les responsables du Mois de la poésie pour leur proposer d’inscrire notre parcours poétique dans leur programmation. Ce n’était pas nécessaire pour réaliser le projet, mais en lui donnant cette dimension officielle, j’espérais obtenir l’engagement total des étudiants. Je ne me suis pas trompée. Ces derniers se sont investis pleinement dès le premier cours de la session.

Nous avons fait des rencontres en Zoom pour réfléchir au scénario de la vidéo promotionnelle demandée par les coordonnatrices du Mois de la poésie. Les étudiants ont choisi de lancer l’invitation à leur parcours poétique par un poème de Joséphine Bacon.

Visuel réalisé par Chloé Robitaille, l’une des finissantes impliquées dans le projet.

Nous nous sommes alors rencontrés devant le cégep pour filmer la vidéo qui a été réalisée par un ancien de l’option Média du programme Arts, lettres et communication.

La vidéo a été présentée lors du dévoilement de la programmation du Mois de la poésie, en Facebook live, puis intégrée sur la chaîne YouTube du collège.

Lecture et analyse de quelques recueils de poésie

Pour bien s’imprégner de poésie, nous avons lu et analysé quelques recueils.

Je ne sais rien des dieux, je sais si peu des hommes,
je cherche seulement à m’étonner en entrant dans la ville.

Carl Norac, Le carnet de Montréal (1998)

Avant d’amener les étudiants à l’écriture, je les ai escortés dans l’univers de quelques poètes contemporains dont j’ai numérisé des textes que nous avons analysés. Les poèmes choisis répondaient à une double préoccupation : soit ils parlaient des sens, soit ils disaient le rapport du poète au territoire. Parfois ils offraient les deux.

Je suis l’arbre d’une forêt
Où commence le monde

Ma mère enfantait des lacs pleins d’illusions

Cascades naïves qui dévalent les montagnes
Dans une poussière d’or

L’avenir ne tient qu’une douzaine d’heures
D’avance et change avec la lumière

Nous pensons avec nos sens

Normand Génois, L’écrin des jours (2002)

Puisque les étudiants devaient débusquer leur poème en déambulant, j’ai cherché à aiguiser leur sens. En leur faisant travailler des métaphores par synesthésie, je leur ai proposé de décrire:

  • le regard
  • l’odorat
  • l’ouïe

Certains étudiants ayant le réflexe d’images convenues, nous avons travaillé collectivement à singulariser, à préciser les images.

Quand les étudiants ont bien compris que les images naissaient d’une sensation, le moment est venu d’aller déambuler.

Écriture du poème

J’ai circonscrit le territoire à marcher et nous sommes allés flâner, armés d’un crayon et d’un carnet. Les étudiants ont sorti leur regard arquebuse, leur ouïe épuisette, leur odorat éponge pour saisir les images qui se présentaient à eux.

J’ai bien insisté sur le fait qu’il ne fallait pas partir d’une idée, mais qu’ils devaient laisser l’idée venir à eux en ouvrant leurs sens. Une sensation éveillerait un sentiment et un sentiment génèrerait une idée. Ils devaient laisser les lieux leur parler. J’avais d’ailleurs sélectionné quelques poèmes qui faisaient écho aux paysages traversés et j’ai demandé à 3 étudiants de leur prêter leur voix pendant la déambulation.

À l’issue de l’activité, ils devaient écrire 2 poèmes en respectant une double contrainte :

  1. Les poèmes devaient s’inspirer d’un lieu, du lieu même ou d’une impression vécue en ce lieu, pour ensuite s’enraciner dans un parcours poétique offert au public marcheur.
  2. Le poème devait intégrer 1 vers emprunté à un poète établi pour permettre à la poésie (en temps de pandémie qui plus est) de sortir des livres et de rencontrer le public.

Mon projet comportait également un objectif caché. Pour trouver le vers à faire migrer dans leur poème, les étudiants ont beaucoup lu. Je leur avais proposé une liste de recueils, dont plusieurs se trouvent à la bibliothèque du collège, mais ils pouvaient aller où bon leur semblaient. Certains ont emprunté des livres numériques alors que d’autres sont allés à la librairie afin d’acheter des titres qui les inspiraient.

Comité éditorial et réécriture

Lors d’une rencontre Zoom, j’ai séparé le groupe en 3 comités éditoriaux dont la tâche consistait à sélectionner le meilleur des 2 poèmes écrits pour chaque étudiant. Les comités avaient une liste de points à évaluer, ce qui leur a permis de discuter du rythme et de l’efficacité des images. J’ai ensuite travaillé en tutorat avec chaque étudiant qui devait me proposer une réécriture en tenant compte de mes commentaires.

Points à évaluer : questions à se poser pour chaque poème

Le sens

  1. Quelle est l’idée qu’illustre ce poème?
  2. Quels sont les thèmes abordés? Quelle est la connotation?
  3. Y a-t-il une unité sémantique? Une progression?
  4. Est-ce que les images sont claires et efficaces? Notez celles qui vous semblent hermétiques.

Le rythme

  1. Quels sont les procédés rythmiques et musicaux utilisés? Sont-ils efficaces?
  2. Les vers sont-ils bien découpés?

Préparation du parcours poétique

Toujours sur Zoom, j’ai assigné 1 nouvelle tâche aux 3 comités. Comme il fallait diffuser l’événement afin que le public soit au rendez-vous, 1 comité s’est chargé de rédiger le communiqué de presse. Le service des communications du collège l’a ensuite acheminé à sa liste de contacts. C’est ainsi qu’un journaliste du journal local nous a contactés pour une entrevue qu’une étudiante et moi lui avons accordée par le biais de Teams.
Le comité de la promotion s’est chargé de créer un événement sur Facebook afin de rendre accessible la carte du trajet que le 3e comité a préparée.

Plan du parcours poétique Une foulée, deux enjambées des finissants en Arts, lettres et communication, option Littérature du Collège Lionel-Groulx.

J’ai utilisé Teams pour collaborer avec la graphiste du service des communications qui a effectué la mise en page des poèmes. Puis, j’ai fait imprimer les affiches sur des Coroplast, où nous avons intégré un code QR pour que les marcheurs puissent facilement accéder à la carte du trajet en le balayant avec un téléphone intelligent.

Il a suffi ensuite d’installer les affiches sur des poteaux ou des arbres à l’endroit précis d’où le poème avait émergé.

Une affiche du parcours poétique Une foulée, deux enjambées.

Une déambulation guidée

Je souhaitais permettre aux étudiants de faire entendre leurs poèmes et d’expérimenter l’effet que pouvait susciter leur poésie. Pour cela, nous avons organisé une déambulation guidée, le samedi 20 mars, entre 13h et 15h, à laquelle amis, parents et collègues ont été conviés. Afin de respecter les mesures sanitaires, nous avons formé 8 groupes, de tout aux plus 8 personnes, dont le départ était prévu à des intervalles de 15 minutes. Les étudiants étaient postés à côté de leur poème sur le parcours et l’offraient à entendre aux marcheurs.

Il va sans dire que l’expérience a été grisante, d’autant plus que mère Nature nous a offert ce jour-là son premier vrai soleil de printemps.

Réintégrer le livre

Comme le parcours poétique s’inscrivait dans le cadre du Mois de la poésie, dès que la page de mars fut tournée, nous sommes allés décrocher les poèmes. Il ne reste maintenant qu’à les intégrer au recueil collectif que les étudiants publient chaque année pour réaliser leur épreuve synthèse de programme. La boucle est bouclée : les poèmes sont nés et ont vécu dehors, ils rentrent maintenant dans le livre. Ils ressortiront prendre l’air dès qu’une voix le leur permettra.

À propos de l'auteure

Roxanne Lajoie

Elle est titulaire d’une maîtrise en création littéraire. Elle enseigne le français et coordonne l’option Littérature du programme Arts, lettres et communication au Collège Lionel-Groulx. Elle a publié des nouvelles, des romans pour la jeunesse, un recueil de haïkus, À chaque pas la poussière (Éditions Tire-Veille, 2014) et un haïbun, Le lustre des cerises (Éditions David, 2018). Elle est également présidente de La Traversée, atelier de géopoétique.

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1 Commentaire
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Nicole Perreault
Nicole Perreault
5 mai 2021 0h56

Quel beau projet Roxanne ! Quelle belle sensibilité et quelle belle flexibilité pour amener vos étudiants à se dépasser, à créer, même en ces temps si particuliers. Bravo.