De «technophobe à technophile»: apprivoiser les technologies grâce à la réalité virtuelle
En 2018, j’ai commencé à m’intéresser au potentiel pédagogique des technologies accessibles chez INÉDI, le centre collégial de transfert de technologie (CCTT) de mon cégep. Intrigué par ses services, j’ai sondé le terrain pour voir comment je pourrais intégrer la réalité virtuelle dans le cadre de la Semaine de la philosophie organisée chaque année à Terrebonne. Grâce à l’aide d’INÉDI, j’ai pu donner vie à des personnages historiques.
La Semaine de la philosophie au Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne
Habituellement, la Semaine de la philosophie prenait la forme de conférences et de tables rondes en présentiel. Les technologies ne faisaient pas vraiment partie de l’équation.
Marier la philosophie et les technologies ne va pas nécessairement de soi, mais pour renouveler la formule de la Semaine de la philosophie, cela est apparu comme une avenue fort prometteuse.
Une première expérience immersive
En 2018, lors de la Semaine de la philosophie, nous avons souligné les 50 ans de Mai 68. En plus d’organiser différentes conférences, le département de philosophie a voulu permettre aux étudiants de vivre ce mouvement social en créant une expérience immersive à l’aide d’images d’archive. Je suis allé à la rencontre d’INÉDI pour mettre à profit leurs innovations technologiques. Grâce à son axe HOLODEC Desjardins : Objets connectés et virtualités, nous avons pu créer une expérience de visualisation immersive dans l’espace de type «blackbox» d’INÉDI où 20 étudiants à la fois étaient placés au coeur d’archives relatant les révoltes étudiantes et ouvrières qui ont façonné la France en 1968 ainsi que le Printemps érable vécu au Québec en 2012. Plus de 200 étudiants ont participé à cette activité.
À la fin de la présentation, les étudiants qui le souhaitaient pouvaient faire une courte visite dans le mythique Quartier latin parisien, au moyen d’un casque de réalité virtuelle 3D.
Redonner vie à des personnages historiques
Léonard de Vinci
Ce premier contact avec la réalité virtuelle m’a fait réaliser tout le potentiel pédagogique de cette technologie. Pour la 7e édition de la Semaine de la philosophie à l’automne 2019, j’ai voulu pousser encore plus loin l’audace et souligner les 500 ans de la mort de Léonard de Vinci en lui redonnant vie.
L’idée m’est venue lorsque j’ai approché Maxime Durand, historien chez Ubisoft, pour une conférence sur la manière dont l’histoire a été mise au service d’un jeu vidéo comme Assassin’s Creed et la manière dont cette discipline a rencontré un nouveau public.
Après avoir discuté avec Maxime Durand du potentiel pédagogique et ludique du personnage de Léonard de Vinci, j’ai contacté Étienne Allonier, directeur à l’international pour Ubisoft. C’est ainsi qu’Ubisoft a accepté de me prêter son personnage de Léonard de Vinci. Toutefois, le personnage était un peu «moribond» et nécessitait d’être réanimé.
J’ai approché de nouveau INÉDI pour qu’on m’aide à donner vie à Léonard. Grâce à la réalité virtuelle, je voulais animer le personnage et faire en sorte qu’il puisse interagir avec des gens. Cela semblait a priori facile, mais le projet a nécessité beaucoup de travail de la part d’INÉDI. Lorsque Ubisoft a partagé son personnage de Léonard de Vinci, il a fallu:
- retravailler le personnage à l’aide du logiciel 3DS Max
- activer les mouvements avec Mixamo [en anglais] pour éventuellement les lier avec le visiocasque Oculus Rift S
- affiner la modélisation du personnage avec le logiciel Blender [en anglais]
- réunir toutes ces étapes préliminaires dans le logiciel Flipside Studio [en anglais]
- finaliser le personnage avec le logiciel Unity
- intégrer un décor de vaisseau spatial
Cependant, un peu naïvement, je n’avais pas réalisé que quelqu’un allait avoir la responsabilité d’incarner Léonard de Vinci… et que ça devait être moi. Je me suis pratiqué maintes et maintes fois, j’ai scénarisé toute ma présentation, même les questions pour éviter toutes incartades ou anachronismes. J’ai même contacté Robert Lepage qui avait incarné La Joconde à ses débuts et il m’a aimablement transmis des archives de sa présentation d’origine à Paris!
Je me suis aussi inspiré du jeu de Massimiliano Finazzer Flory qui, après avoir interprété Léonard au théâtre, incarnait à nouveau ce personnage dans un film que nous avons diffusé à Terrebonne en première canadienne: Être Leonardo da Vinci, une interview impossible [en anglais]!
C’est ainsi que, dans le cadre de la Semaine de philosophie 2019, j’ai ramené à la vie Léonard de Vinci qui a fait un saut au cégep régional de Lanaudière à Terrebonne à bord de son vaisseau spatial. Ainsi, je me suis déplacé dans une pièce adjacente au Café étudiant où la présentation avait lieu et j’ai enfilé le visiocasque pour me mettre dans la peau de ce personnage historique. À l’aide d’un téléprompteur, j’ai présenté la vie de Léonard de Vinci avant d’enchaîner avec des questions scénarisées que des étudiants sélectionnés me posaient en temps réel.
Léonard de Vinci au Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne
Le 3D fascine et est une avenue complètement nouvelle à explorer pour moi. Pour notre petit cégep de 2000 étudiants, les diverses activités de la Semaine de la philosophie 2019 et la visite de Léonard de Vinci ont attiré 1000 participants.
Nicolas Machiavel
Pour l’édition 2020, le thème de la Semaine de la philosophie était les 50 ans de la Crise d’octobre. Bien que la pandémie a compliqué l’organisation de certaines activités, cela a tout de même permis aux étudiants de rencontrer virtuellement plusieurs intervenants qui ne seraient pas venus nécessairement en personne au cégep en temps normal.
Mon idée de départ était «d’inviter» Nicolas Machiavel pour échanger sur le machiavélisme en politique avec différents intervenants, dont Virginie Francoeur qui a publié en 2018 le livre Leadership machiavélique. Le sociologue Jean-Philippe Warren, auteur notamment de l’essai Les prisonniers politiques au Québec, abordera ledit sujet. Le politologue Guy Lachapelle, qui vient de publier La crise d’Octobre de 1970. La grande alliance, Claude Ryan et René Lévesque, éclairera la thèse de «l’insurrection appréhendée». Enfin, le philosophe Dave Anctil, spécialiste de Machiavel, abordera les aspects éthiques.
En raison des nombreuses contraintes de la Santé publique que nous devions respecter, il n’a pas été possible de faire interagir Machiavel en temps réel avec un auditoire. Nous avons donc décidé d’en faire une capsule vidéo filmée sur un écran vert où Machiavel, au moyen d’archives sonores et visuelles, applique sa grille du machiavélisme à sa relecture de l’Histoire du Québec : de la supposée «Grande noirceur» à la non moins aboutie «Révolution tranquille» qui se traduit par la montée et la radicalisation du militantisme politique et son annihilation spectaculaire par les pouvoirs en place.
Un horizon de possibilités à portée de main
Cette initiation aux technologies émergentes a su me faire oublier – en partie – la pandémie, car je n’ai pas eu trop le temps de m’ennuyer. La réalité virtuelle m’a permis de sortir des sentiers maintes fois battus et d’user de créativité pour renouveler mon enseignement et j’ose croire d’avoir donné le goût à quelques collègues d’aller explorer l’énorme potentiel pédagogique de la réalité virtuelle.
Bravo M. Houle!
Wahou! Fière d’être ta collègue, Alain! Tu nous inspires!
Tu es formidable! Quelle implication et créativité!
Wow ! Je suis impressionnée par votre créativité, votre ténacité et votre enthousiasme. Vos étudiants doivent sûrement apprécier un enseignant aussi engagé que vous. Longue vie à vos projets !
Bravo pour votre projet M.Houle ! À propos de l’application Blender mentionnée sur cette page, l’interface peut être en Français et la communauté des utilisateurs francophones de Blender est très active. Il s’agit aussi d’un gratuiciel avec une licence ouverte.
Bravo Alain pour cette expérimentation liant philosophie réflexive, histoire de l’art et pédagogie.