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L’intelligence artificielle (IA) générative devient un outil incontournable. À mon avis, c’est la responsabilité du réseau collégial de former les élèves à l’utiliser, en particulier dans le secteur technique. Si nos finissants et nos finissantes entrent sur le marché du travail sans savoir l’utiliser, c’est ni plus ni moins une compétence importante qui leur manquera. Mais voilà: savoir qu’il faut parler de ChatGPT, c’est une chose. Savoir comment le faire, c’en est une autre…

Ces temps-ci, j’enseigne le développement web dans l’AEC en Design interactif et intégration web du Cégep de Sainte-Foy. Ce cours comprend de la programmation HTML et CSS et d’autres éléments techniques. L’IA générative peut accomplir plusieurs tâches à la place des élèves. Mais voilà: si l’IA fait tout le travail à leur place, les élèves ne comprendront pas bien les bases de la programmation. Or, comprendre les bases est essentiel pour pouvoir valider les productions générées par l’IA.

J’ai donc décidé de laisser les élèves choisir d’utiliser (ou non) l’IA et de l’encourager surtout pour des contenus textuels (rédaction de textes pour remplir les pages des sites web créés par les élèves). Cependant, les élèves qui veulent expérimenter davantage et recourir à l’IA  plus largement dans leurs travaux peuvent le faire, à condition que ce soit de façon transparente, en mentionnant que l’IA est utilisée.. Toutefois, ils et elles ne peuvent évidemment pas confier l’entièreté de leur travail à l’IA.

Exemples de tâches que l’IA peut faire pour les élèves dans mon cours

L’une des choses pour lesquelles j’encourage mes étudiants et mes étudiantes à utiliser l’IA, c’est la génération de textes pour «remplir» leurs maquettes de sites web. Fini le lorem ipsum si ChatGPT peut produire en quelques secondes un texte approprié. Une maquette proposée sera plus attrayante pour un client ou une cliente si elle contient du vrai texte, sans que cela ait réellement demandé plus d’efforts au développeur ou à la développeuse.

Autre exemple: générer un formulaire HTML, c’est laborieux. Il faut utiliser toute une série de balises correctement. Il existe sur le web des outils pour faire une partie du travail automatiquement, mais ChatGPT le fait encore mieux, plus vite et de façon personnalisée. J’encourage donc mes élèves à utiliser l’IA pour générer leurs formulaires. Reste que pour s’assurer que le travail de ChatGPT est correct (ce qui n’est pas toujours le cas), les élèves doivent connaître la signification des balises utilisées et comprendre les notions de base liées aux formulaires HTML. Et les élèves doivent toujours modifier un peu le code écrit par ChatGPT pour formater le formulaire correctement et faire en sorte qu’il respecte toutes les normes d’accessibilité web.

Mon approche est donc d’utiliser l’IA pour bonifier mon enseignement. L’utilisation de l’IA par les élèves est optionnelle, mais en leur présentant des façons de s’en servir, je les initie aux outils auxquels ils et elles auront accès sur le marché du travail.

Personnellement, j’utilise ChatGPT pour être plus efficace dans la production de matériel pédagogique. Par exemple, quand j’écris un texte pour des notes de cours, je peux demander à ChatGPT de mettre en gras les mots qui lui semblent les plus importants, puis de créer un glossaire pour ces mots en fournissant la définition de chacun et une ressource complémentaire avec un hyperlien. (J’utilise la version payante de ChatGPT. Dans cette version, ChatGPT a accès au web et peut faire des recherches en temps réel et fournir des hyperliens pour ses sources.)

Évidemment, je vérifie tout le travail de ChatGPT (exactement comme je dis à mes élèves de le faire!). Mais cela me fait économiser du temps, pour une tâche relativement simple que je n’aurais peut-être pas le temps de faire de façon aussi complète autrement.

Si un étudiant ou une étudiante veut utiliser l’IA pour générer davantage de contenus ou de portions de code pour les travaux dans mon cours, il ou elle le peut. Je lui demande toutefois de me le dire et de m’indiquer les commandes qu’il ou elle a données à l’IA, voire de me montrer leur conversation.

Le potentiel pédagogique de l’IA générative

De façon générale, je trouve que ChatGPT a un excellent potentiel pédagogique. Quand on lui donne une consigne et qu’on lui demande de générer du code HTML à telle ou telle fin, il ne se contente pas d’écrire le code pour qu’on le copie-colle ailleurs. Il explique sa démarche, présente les différentes portions du code avec des phrases, etc. Puis, si une partie du code produit n’est pas claire aux yeux de l’élève, il ou elle peut questionner ChatGPT à ce sujet pour obtenir davantage d’explications.

Un étudiant ou une étudiante peut donc assurément apprendre en interagissant avec l’IA. Mais que ce soit en générant du code ou du texte ordinaire, ChatGPT n’est pas infaillible. Il produit parfois du code qui ne fonctionne carrément pas. D’autre fois, il écrit un code qui est fonctionnel, mais qui ne répond pas aux besoins spécifiques de l’utilisateur ou de l’utilisatrice parce qu’il ignorait un élément de contexte important. Pour être capable de fournir tout le contexte nécessaire à l’IA, l’élève doit donc très bien comprendre ce qu’il ou elle lui demande et déterminer les informations clés dont l’IA aura besoin.

Je pense qu’il serait préférable, pour les élèves de 1re année du DEC en Techniques de l’informatique, de ne pas encourager d’emblée l’utilisation de l’IA. Cela leur laissera le temps de comprendre les notions de base. Mais, ensuite, enseigner à utiliser l’IA correctement sera un incontournable, à mon avis.

L’importance d’enseigner l’utilisation de l’IA à tous les étudiants et à toutes les étudiantes du collégial

Cela me rappelle ce que j’ai vécu moi-même alors que j’étais étudiant au cégep au début des années 2000. L’internet était relativement nouveau et plusieurs enseignants et enseignantes refusaient qu’on l’utilise, nous disant plutôt d’aller faire nos recherches à la bibliothèque. Aujourd’hui, peut-on imaginer une personne recevoir un diplôme d’études collégiales sans avoir eu recours au web? J’imagine que, dans 10 ans, ce sera la même chose avec l’IA: ne pas savoir utiliser ChatGPT, ce sera une forme d’analphabétisme.

Le programme de Techniques de l’informatique vient d’être révisé, juste avant l’essor de l’IA générative. J’imagine qu’il ne faut pas attendre prochainement une nouvelle mouture qui ajouterait des compétences qui sont explicitement liées à l’utilisation de l’IA. Mais chaque enseignant et chaque enseignante a quand même de la latitude, à l’intérieur des compétences existantes, pour initier ses élèves aux outils contemporains et les encadrer dans l’utilisation qu’ils et elles en font.

L’intérêt d’enseigner aux élèves à utiliser l’IA générative va bien au-delà des programmes liés à l’informatique et au développement multimédia. C’est pour cette raison que mon département s’est allié au Département de philosophie afin de proposer un nouveau cours complémentaire multidisciplinaire au sujet de l’éthique de l’IA. En fait, le Département de philosophie offre déjà un cours sur le sujet, mais nous renouvellerons la formule en nous y alliant. Les enseignants et enseignantes de philosophie pourront continuer d’aborder les enjeux éthiques sous un angle philosophique. De notre côté, nous ferons des démonstrations pratiques d’usages de l’IA et en feront l’expérience avec les élèves.

Quand il est question d’un tel sujet, je sais que certaines personnes peuvent craindre que nous apprenions aux élèves comment tricher. En fait, c’est tout l’inverse! En encadrant les élèves dans leur appropriation de l’IA, en leur enseignant les balises à respecter, on diminue les risques qu’ils et elles l’utilisent à tout vent, sans réfléchir. En éduquant les élèves au sujet de l’IA, on diminue les risques qu’ils et elles cessent tout effort pour les travaux hors classe en pensant que l’IA pourra tout faire parfaitement à leur place sans qu’ils et elles aient à comprendre quoi que ce soit. L’IA a besoin d’un guide humain compétent qui rédige des invites pertinents. Cela dit, une personne qui ne veut pas faire un travail, qui veut tricher, a toujours trouvé des façons de le faire: l’IA n’est pas responsable de l’apparition du plagiat dans les collèges.

Une fois que ce cours complémentaire sera sur pied, j’ai déjà le projet d’un 2e: enseigner l’utilisation de l’IA dans la vie quotidienne (la vie personnelle; à la maison ou dans les loisirs).

Dans un autre ordre d’idée, il faut sensibiliser les gens au fait qu’utiliser ChatGPT pour obtenir une information qu’on aurait pu trouver par une recherche sur Google, c’est un gaspillage d’énergie. Les serveurs d’Open AI consomment énormément d’énergie; l’IA est une immense machine. Je dis à mes élèves que d’utiliser ChatGPT quand Google aurait suffi, c’est comme se lever en classe et aller déranger un collègue pour lui poser une question dont la réponse figure dans les notes de cours qu’on a sous les yeux. En fait, c’est si inefficace que, pour moi, c’est une forme d’échec.

Il y a assurément beaucoup à faire pour enseigner à nos élèves à utiliser l’IA, mais à mon avis, ce n’est pas une option; c’est notre devoir!

À propos de l'auteur

Jimmy Gilbert

Jimmy Gilbert est concepteur et développeur web comptant plus de 8 ans d’expérience dans son domaine. Il a aussi travaillé durant plus de 10 ans dans le domaine des TI à titre de consultant en informatique et de technicien dans différentes entreprises.

Il possède un DEC en Techniques de l’informatique, un DEC en Techniques d’intégration multimédia ainsi qu’un baccalauréat en enseignement professionnel et technique.

Il a d’abord œuvré en développement web à l’Université du Québec à Montréal. Ensuite, il a enseigné dans différents établissements d’enseignement comme le Collège O’Sullivan de Québec, le Cégep Édouard-Montpetit, le Collège Maisonneuve, le Cégep Garneau et, tout récemment, le Cégep de Sainte-Foy comme enseignant en Techniques de l’informatique – Programmation Web, mobile et jeux vidéo et à la formation continue dans différents mandats.

Il est motivé par le partage de sa passion: les technologies et ce qu’elles peuvent amener de positif dans nos vies. Il n’en demeure pas moins critique en évaluant les limites de chaque outil. Depuis 8 ans, il enseigne dans différents domaines allant du web, au multimédia ou à l’informatique en général et ce dans différents contextes (en ligne et en présentiel)

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Pierre-Luc Tremblay
Pierre-Luc Tremblay
2 avril 2024 11h32

Merci pour le partage de votre façon de faire! Ce qui nous manque, c’est le pas de recul nécessaire pour indiquer ce qu’on accepte et ce qu’on n’accepte pas comme utilisation de l’IA. On manque de guides, de lignes directrices pour permettre au personnel des cégeps et université de bien encadrer les étudiantes et étudiants. L’IA est une révolution et on ne pourra pas l’arrêter. Il sera plus utile de consacrer nos énergies à apprendre comment s’adapter…

Nicole Perreault
10 avril 2024 16h34

Merci, Jimmy, pour ce récit qui, tout comme le récent récit de François Cormier (L’intelligence artificielle générative : un outil pour les élèves) est porteur de nombreuses réflexions. Vous et d’autres collègues « osez » essayer et c’est tant mieux. Votre curiosité pédagogique et votre attitude pragmatique sont rafraîchissantes.

Annie Lapierre
Annie Lapierre
24 avril 2024 9h30

Je vous remercie vivement pour ce partage ! Je trouve particulièrement pertinent le point soulevé quant à la nécessité de sensibiliser les apprenants à l’impact énergétique des requêtes sur l’IA et plus largement sur le web. Il est crucial de prendre conscience également de la consommation d’eau potable nécessaire au refroidissement des serveurs, une réalité souvent sous-estimée mais pourtant significative.