Influencer le déroulement d’une simulation de tâche authentique en formation à distance
Mettre les étudiants en contact avec leur futur milieu de travail est, pour eux, aussi formateur que motivant. Dans un cours que je donne en Soins préhospitaliers d’urgence, j’ai eu l’exceptionnelle collaboration de 4 ambulanciers qui ont accepté de faire une simulation d’une intervention auprès d’un patient au cours de laquelle les étudiants étaient périodiquement interrogés, en temps réel, au sujet de la nature et du dosage des médicaments à administrer… Tout ça, dans le respect des mesures de distanciation sociale que la session automne 2020 exigeait.
Tirer parti d’une adaptation forcée
À l’automne 2019, dans mon cours Interprétation de la pharmacologie donné en présentiel, j’avais invité en classe l’ambulancier Louis-Félix Poulin-Moore (paramédic en soins avancés). Il avait parlé de certaines situations qu’ils rencontraient en milieu de travail en lien avec le dosage des médicaments. La présentation a été très bien faite et très pertinente.
Toutefois, à l’automne 2020, en redonnant le même cours à distance, j’ai été forcé de réviser la formule. Ça a été l’occasion de faire vivre aux étudiants une activité encore plus engageante, formatrice et authentique. Comme quoi, les crises peuvent devenir des opportunités…
Pour l’activité, j’étais à la maison. Louis-Félix, lui, a fait la portion théorique de sa présentation (notions de dosage des médicaments) par visioconférence à partir de son bureau à la caserne.
Puis, Louis-Félix s’est déplacé dans le garage près d’une ambulance où l’attendaient 3 de ses collègues. L’une agissait comme patiente, victime d’un malaise. Le deuxième aidait Louis-Félix à intervenir auprès du patient. Le troisième filmait l’intervention avec le cellulaire de Louis-Félix. Au cours de l’intervention, la personne qui jouait le rôle de la patiente a cédé sa place à un mannequin, afin qu’il puisse être intubé.
Tout au long de l’intervention simulée d’environ 25 minutes, Louis-Félix décrivait ce qu’il faisait et expliquait ses actions. Il interrogeait aussi périodiquement les étudiants (5 ou 6 fois pendant son intervention) pour savoir quoi faire à la prochaine étape de son intervention: quel médicament administrer, de quelle façon, à quelle dose.
Pour sonder les étudiants, je prenais le relais. Je partageais chaque fois mon écran aux étudiants pour leur montrer une diapositive contenant une question à choix de réponses. Les étudiants votaient alors sur Socrative [en anglais] (j’utilise la version gratuite). Après le vote, je pouvais dire la réponse la plus populaire à Louis-Félix, sans révéler la bonne réponse aux étudiants. Louis-Félix pouvait réagir au vote des étudiants puis révéler lui-même la bonne réponse et la mettre en œuvre dans la simulation.
Je pense qu’il était plus intéressant pour les étudiants que ce soit Louis-Félix qui réagisse à leurs réponses plutôt que moi. Pour les étudiants, je pense que le fait que je prenne le relais de Louis-Félix pour lancer les sondages ajoutait du dynamisme (du mouvement) à la présentation. En ce sens, le fait que je sois à la maison pendant que Louis-Félix était dans l’ambulance était parfait:
- Le « changement de plateau » conférait en quelque sorte une ambiance de reportage « journalistique » à la visioconférence.
- À la maison, j’étais dans un environnement contrôlé où je savais que tous les outils technologiques fonctionnaient, et j’avais accès à du matériel pour mettre en œuvre une activité « plan B » au cas où Louis-Félix aurait eu des problèmes de connexion.
Un extrait de la simulation
Considérations techniques
Pour que tout se passe bien, j’ai fait une pratique de la simulation avec Louis-Félix quelques jours avant. Nous avons pu tester la connexion internet lors du déplacement du bureau au garage et également dans l’ambulance. Nous avons aussi fait des tests pour l’angle de vue de la caméra et procédé à quelques ajustements en conséquence.
De mon côté, en formation à distance, j’utilise souvent un diaporama en combinaison avec Socrative pour poser des questions à mes étudiants. Avant votre première expérience, faites des tests de partage d’écran pour vous assurer que vos étudiants puissent voir la question sur le diaporama, mais pas les résultats avant que vous ne vouliez qu’ils les voient.
Ces petits conseils peuvent paraître banals,mais, à l’heure qu’il est, les étudiants ont l’habitude de la formation à distance. Ils ne tolèrent plus les problèmes techniques avec la même indulgence qu’au printemps 2020, car ils ont l’expérience de cours qui se déroulent bien. C’est à nous, enseignants, de maîtriser les outils que nous utilisons!
Considérations logistiques
Pour l’activité, j’ai eu la très grande chance de pouvoir compter sur Louis-Félix et ses 3 collègues, tous bénévoles. J’aimerais bien faire des activités similaires dans l’avenir, mais, réalistement, il peut être difficile de compter sur la disponibilité simultanée d’autant de personnes au moment de notre cours. Toutefois, plusieurs activités très intéressantes pourraient être réalisées avec un seul intervenant, dans son milieu de travail, avec un trépied de caméra (et l’enseignant, évidemment). Dans d’autres domaines aussi (en génie, par exemple), plusieurs interventions peuvent sans doute se faire individuellement. Ne vous découragez donc pas si vous ne pensez pas arriver à mobiliser une équipe entière!
Ce que je retiens de cette expérience
Même quand les cours reviendront en présence, j’ai bien l’intention de continuer d’utiliser la visioconférence pour faire des incursions en milieu de travail et permettre aux étudiants d’influencer le déroulement de simulations de tâches authentiques.
Cette fois-ci, l’activité s’adressait à des étudiants de 3e session. Toutefois, je pense qu’une activité de ce genre serait particulièrement intéressante pour des étudiants de 1re session (quel que soit le programme). Ça leur donnerait un aperçu de leurs futurs milieux de travail et des tâches réelles qu’ils auront à faire. Je crois vraiment que cela consoliderait l’attachement des étudiants envers leur programme d’étude dont la finalité peut parfois rester abstraite.
La pandémie est un drame mondial qui a des conséquences dévastatrices. Il faut faire preuve de résilience. Moi, j’y vois une occasion d’améliorer mes pratiques. La pandémie m’a forcé à développer de nouvelles aptitudes. J’ai monté des activités originales qui ont une réelle valeur ajoutée par rapport à ce que je faisais auparavant. Je vais les intégrer à mon enseignement même après la pandémie. À travers tous les torts que la COVID-19 aura causés, j’ose espérer qu’elle aura aussi certaines retombées positives durables dans nos classes… qu’elles soient physiques ou virtuelles!