Le 25 mars 2022, un webinaire en 2 parties a été organisé par le Carrefour de la réussite au collégial. Lors de ce webinaire, Robert Howe, consultant en pédagogie de l’enseignement supérieur, spécialiste en évaluation des apprentissages, a présenté les principes de base de l’approche centrée sur le développement de compétences. Puis, Linda Cormier et Isabelle Pelletier, conseillères pédagogiques, ont proposé une démarche collaborative d’actualisation de programmes.
Plusieurs questions ont été adressées à Robert Howe lors de ce webinaire. Annie-Claude Prud’homme les a réunies et structurées avant de les soumettre à Robert Howe. Les réponses qui suivent sont fondées sur l’expertise de ce formateur connu et reconnu dans le réseau collégial, et ont pour but de donner suite aux échanges amorcés le 25 mars 2022.
Mise en contexte
L’impact de la structuration de l’enseignement sur la réussite étudiante est mis en relief dans le rapport de la Fédération des cégeps La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs, publié à l’automne 2021. En effet, les programmes d’études se doivent d’être pertinents, cohérents et chargés de sens pour que les étudiants et étudiantes persévèrent et atteignent le niveau de compétence attendu. Les programmes gagnent aussi à tenir compte des acquis de la population étudiante, à permettre un développement progressif de leurs compétences et une évaluation en conséquence. Or, une part importante de cette planification se fait au moment de l’élaboration ou de l’actualisation des programmes d’études, en équipe programme, tant lors de la macroplanification (conception d’un profil de sortie et de l’épreuve synthèse, déploiement des compétences dans le programme, etc.) que lors de la microplanification (rédaction et adoption des plans-cadres).
Dans le contexte actuel où plusieurs devis ministériels sont révisés par le ministère de l’Enseignement supérieur (MES), le Carrefour de la réussite au collégial a offert, le 25 mars 2022, un webinaire pour soutenir le personnel professionnel et le personnel enseignant soucieux de bien comprendre les principes fondamentaux de l’approche centrée sur le développement des compétences et préoccupés par une mise en œuvre favorable à la réussite des étudiants et des étudiantes. L’enregistrement complet ainsi que les diaporamas et la médiagraphie sont disponibles en ligne sur le site du Carrefour de la réussite.
Entretien avec Robert Howe
1. Quels liens peut-on faire entre la mission et les objectifs du Carrefour de la réussite au collégial et la réflexion sur l’élaboration des programmes?
On parle beaucoup de la réussite étudiante, et cet enjeu est discuté sous ses divers aspects. Tous s’accordent pour dire que la «réussite» n’est pas qu’une affaire de notes supérieures à 59 % ni de statistiques de tableaux de bord institutionnels. Pour certains étudiants et étudiantes, «réussir» peut effectivement signifier «passer» leurs cours et obtenir leur diplôme d’enseignement collégial. Mais pour la plupart, «réussir» consiste à atteindre leurs objectifs de formation, à devenir «compétents» et, de là, à construire la suite des choses.
Tous s’entendent pour dire que la «réussite», de quelque manière qu’on la conçoive, implique une responsabilité partagée. Bien sûr, l’étudiant ou l’étudiante se doit… d’étudier. Mais l’École (c’est nous, ça !) se doit de lui offrir un environnement d’apprentissage optimal. Sur ce point, je vous renvoie au rapport que la Fédération des cégeps a publié en 2021, décrivant notamment les pratiques à impact élevé.
Depuis quelque temps, plusieurs programmes de formation sont en chantier de mise à jour. L’École que nous sommes (nous, le réseau de l’enseignement collégial) se doit d’offrir des programmes de formation qui sont pertinents. La société évolue et, pour nos étudiants et étudiantes qui se destinent à l’université comme pour ceux et celles qui se destinent directement au marché du travail comme technologues, techniciens ou techniciennes, les universités et les employeurs redéfinissent les corpus de compétences qu’ils attendent de nos diplômés et diplômées. C’est cette évolution dynamique qui justifie les nombreux chantiers d’actualisation de programmes en cours et à venir.
2. Où en sommes-nous, en 2023, dans notre compréhension des compétences et des objectifs?
Lorsque nous parlons de compétences et d’objectifs d’apprentissage, il y a 2 acteurs en présence. Le 1er acteur, c’est la Société. Le second acteur, c’est le collège, c’est l’École, c’est nous, les professionnels et professionnelles de l’enseignement collégial. Lorsque je parle ici, de la Société, je pense à la société civile, aux employeurs, aux universités qui, individuellement, dans leur perspective d’intérêt, expriment le souhait que des compétences soient développées.
Visualisons ce dialogue entre ces 2 acteurs :
- La Société exprime le besoin que des personnes possèdent des compétences, tantôt dans l’intérêt du marché du travail, tantôt dans la perspective de s’intégrer à des parcours universitaires, tantôt dans le but de permettre aux personnes de bien vivre leur vie personnelle et citoyenne. Elle décrira ces compétences souhaitées et en confiera le développement à l’École sous forme de mandat.
- Nous, l’École (et ceci, de façon générique, inclut tous les acteurs d’un collège), recevons ce mandat (qui constitue notre raison d’être, n’est-ce pas?) et mettons en œuvre l’appareillage pédagogique dont nous sommes experts et expertes afin de le réaliser. Nous allons :
- étudier et interpréter les compétences que la Société nous demande de développer chez nos étudiants et étudiantes
- programmer un processus d’apprentissage et le déployer dans le temps prévu (2 ou 3 ans au collégial)
- énoncer et déployer des objectifs à atteindre de façon progressive
- regrouper ces objectifs dans des activités d’apprentissage structurées de façon à favoriser leur atteinte
- fournir les ressources pertinentes
- En route et à terme, nous allons porter les jugements experts appropriés qui nous permettront d’attester que, oui, les compétences attendues seront considérées comme développées.
Dans ce scénario à 2 acteurs, il va de soi que les étudiants et étudiantes participent des 2 rôles : comme citoyens et citoyennes, ils expriment le besoin de développer des compétences. Comme étudiants et étudiantes dans nos collèges, ils participent aux activités d’apprentissage et, à terme, retournent à la Société comme diplômés.
Au Québec, comme dans la plupart des états, ce dialogue entre le mandant (la Société) et le mandataire (l’École) se fait par le truchement d’un intermédiaire : le ministère de l’Enseignement supérieur (MES). Le MES interroge la Société sur ses besoins, les interprète et les structure sous forme de programme de formation qui, de là, sera confié à l’École (aux collèges) sous forme de mandat.
L’énoncé de compétence nous vient donc de l’extérieur du collège, alors que les objectifs d’apprentissage nous viennent de l’intérieur du collège.
- Lorsque nous lisons des énoncés de compétences, c’est la Société qui parle.
- Lorsque nous lisons des objectifs d’apprentissage, c’est l’École (les collèges) qui parle.
3. Quelles sont les qualités essentielles d’un programme que nous qualifions de pertinent?
Un programme de formation est pertinent lorsqu’il répond à 2 critères : la réponse aux besoins de la Société et la réponse aux besoins des étudiants et étudiantes.
- Les besoins de la Société
- Nous savons que les collèges sont mandatés par la Société pour développer des compétences qui sont utiles, requises, valorisées. Lorsque notre programme de formation est structuré de façon à être cohérent avec ces besoins, lorsqu’il répond au mandat qui lui est confié, il est alors pertinent sur ce critère.
- Les besoins des étudiants et étudiantes
- Lorsque les étudiants et étudiantes s’inscrivent à l’un de nos programmes, c’est qu’ils ou elles savent ou doivent savoir que nous allons répondre à leur besoin de développer les compétences annoncées dans le programme. Ils et elles s’attendent à ce que nous ayons conçu des activités d’apprentissage qui leur permettront d’atteindre les objectifs prévus. Et ces objectifs consistent à les amener à développer les compétences désirées. En conséquence, nos activités d’apprentissage doivent être structurées dans la cohérence et dans la clarté afin que les étudiants et étudiantes y voient du sens, de la bienveillance, de l’accompagnement efficace. Du point de vue des étudiants et étudiantes, le programme de formation est pertinent s’ils font les apprentissages prévus et, à terme, se voient confirmés dans leur… réussite.
4. Pourquoi dites-vous que l’expression «approche par compétences» serait le résultat d’une méprise?
En 2023, cela fera 30 ans que les mesures de renouveau de l’enseignement collégial auront été adoptées. Et j’ai observé, dès 1993, que certaines de ces mesures auraient été mal expliquées et reçues dans l’ambigüité, voire dans l’équivoque. Les épreuves synthèses de programme (ESP) ont longtemps constitué un mystère, tant dans leur forme que dans leur raison d’être. Il aura fallu de nombreuses années de tâtonnement et de pratiques parfois incohérentes et controversées pour en arriver à un équilibre acceptable dans la plupart des collèges.
Il en est de même pour le concept de compétence. Dans le texte de 1993 décrivant ces mesures adoptées pour donner un souffle de renouveau, ajuster le partage de responsabilités entre le ministère et les collèges, et assurer la pertinence des services de formation offerts dans les collèges, le gouvernement du Québec annonçait que désormais, concernant les responsabilités du ministre à l’égard des programmes :
[…] les objectifs désignent les compétences (les habiletés, les connaissances, etc.) que l’on vise à faire maitriser et les standards, les niveaux ou les degrés auxquels ces compétences doivent être maitrisées au collégial.
(Gouvernement du Québec, 1993, p.25)
Ce passage ayant peut-être été mal lu sinon mal compris, on a vite vu apparaitre, dans les écrits et les échanges d’appropriation qui ont suivi, des idées et des mots qui ont habillé le concept de compétence : une «approche», puis la préposition «par». De là, on a vu s’installer l’expression «approche par compétences» et cela, avec le temps, a mené aux abus et dérives que j’ai commentés dans un article paru dans Pédagogie collégiale en 2017. Au fil des ans, et en l’absence tenace de clarifications, sinon par simple facilité, le concept s’est fossilisé. Après bientôt 30 ans, on parle toujours, dans plusieurs milieux, tant collégiaux qu’universitaires, «d’approche par compétences». Pourtant, il ne s’agit pas d’une approche. Dans ces mesures de renouveau de 1993, il n’a jamais été question d’une «approche par». Ce n’est pas une méthode, laissant supposer qu’il y aurait une ou des options, comme dans le monde médical ou le monde de la finance par exemple. Il y a eu méprise et, malheureusement, cela s’est fossilisé dans l’expression «approche par compétences» ou APC.
Depuis 1993, nous sommes simplement (et cela est fondamental) invités à une focalisation sur le résultat de la formation, ce résultat étant désiré et pertinent : la compétence de nos diplômés. Cela implique que la «matière», le savoir disciplinaire vient «après», en appui au projet de développer des compétences. C’était ÇA, l’intention du réseau collégial en nous demandant de (désormais) focaliser d’abord sur les compétences. Était-ce trop simple?
Fort heureusement, ce que j’observe depuis 2 ou 3 ans, c’est que de plus en plus d’établissements prennent leurs distances de l’expression, confuse, d’APC. En résistant à notre propension aux raccourcis langagiers, on y parle désormais de «planification de programme centrée sur le développement de compétences ». Dans certains collèges, on a adopté, en tolérant le mot «approche», l’expression «Approche Centrée sur le Développement de Compétences » ou, pour le rockeur ou la rockeuse en vous: l’ACDC !
Dans les pratiques aussi, l’APC a généré des dérives qui contribuent à la confusion et à des pratiques qui, à terme, ont un impact sur la réussite étudiante. Cette méprise est surtout causée par notre traduction littérale de concepts américains qui, en anglais, ne veulent pas dire la même chose. On s’est mis à évaluer «par compétences», à faire des plans de cours «par compétences». Même au niveau universitaire, on voit des modèles de plan de cours «par compétences». Pire, le mot «approche» a mené des auteurs et autrices à suggérer que l’APC supplantait désormais «l’approche par objectifs» d’apprentissage, donnant à interpréter que les objectifs n’avaient plus leur place. Ces auteurs et autrices, au début des années 2000, ont associé, erronément, les objectifs pédagogiques aux contenus à enseigner. Ils sont même allés jusqu’à accuser les objectifs pédagogiques d’être de nature béhavioriste, ce mot étant, dans la francophonie, perçu comme péjoratif. En discréditant ainsi le rôle des objectifs d’apprentissage, de telles mécompréhensions ont fini par générer des zones de confusion qui, dans certains milieux, subsistent.
Une personne participant au webinaire du 25 mars 2022 nous a appris qu’une de nos universités aurait produit, pour son corps professoral, un modèle de plan de cours par objectifs et un modèle de plan de cours par compétence. Dans une autre université, réputée pour sa formation du personnel enseignant des collèges, on a frileusement abandonné l’usage des objectifs d’apprentissage pour les remplacer par «cibles d’apprentissage».
Les compétences ne remplacent pas les objectifs. Cela n’a jamais été le cas. Il s’agit ici d’une méprise, d’une mécompréhension de ce que sont l’un et l’autre.
Avant (ou afin) de corriger certaines pratiques sur le terrain, il faut d’abord déboulonner ces «méconceptions» qui se sont fossilisées avec le temps. Il faut savoir ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Il est de notre responsabilité professionnelle de nous approprier correctement les concepts de compétence et d’objectif d’apprentissage, et de bien distinguer le rôle de chacun dans la pensée éducative et pédagogique.
5. Dans les devis ministériels des programmes, que doit-on comprendre des fiches qui décrivent les compétences?
Lorsque le ministère de l’Enseignement supérieur émet un devis de programme de formation, il nous fournit une série de fiches descriptives des compétences à développer dans le cadre de ce programme. Nous sommes tous familiers et familières avec ces fiches, ces tableaux coupés en 2 colonnes, décrivant à gauche une compétence et à droite les standards minimums (notez l’adjectif «minimums») exigés en regard de cette compétence. On comprend déjà mal la colonne de gauche lorsqu’on ne voit pas bien qu’elle est intitulée «Objectif». Ce que le ministère décrit sans cette colonne, c’est un objectif de développement d’une compétence, celle-ci étant décrite sous forme d’un bref énoncé. Lorsque nous lisons cette fiche, nous sommes en amont du collège, nous sommes en amont de la salle de classe, nous sommes en amont de notre travail pédagogique. Ce que nous recevons, dans ce devis de programme, c’est un mandat. Le ministère nous confie le mandat de développer, chez l’étudiant ou l’étudiante, les compétences décrites dans ces fiches. Ce sont là des objectifs à atteindre par le collège. Cet objectif sera donc de développer chacune des compétences prescrites, et ce, à la «hauteur» des standards décrits dans ces mêmes fiches. La nuance est fondamentale.
Le ministère nous confie des objectifs à atteindre, mais ces objectifs ne sont pas encore des objectifs d’apprentissage : de l’extérieur de l’École (le collège), l’objectif est de développer ces compétences, comme l’objectif de la NASA est de se rendre sur la Lune et comme l’objectif de votre médecin est de vous aider à rester en bonne santé. Le mot « objectif » n’est pas que pédagogique. Un objectif est un projet. Il décrit un résultat désiré, un résultat qui se projette dans l’avenir.
Pour revenir sur ces fiches ministérielles de compétences, je déplore que certains collèges, dans leur politique de gestion des programmes ou dans leur politique d’évaluation des apprentissages, obligent le personnel enseignant à «copier-coller» la ou les fiches de compétences dans leur plan de cours destiné aux étudiants et étudiantes. Ce charabia n’a aucun sens pour les étudiants et étudiantes (comme pour beaucoup d’enseignants et d’enseignantes, d’ailleurs), alors qu’un plan de cours se doit d’être un… plan clair et utile. Peut-être faudrait-t-il, dans ces collèges, revisiter les définitions des plans-cadres et des plans de cours.
6. Dans les devis de programme, les fiches de compétences contiennent, sous «Compétence», une série d’éléments de compétence. Ces «éléments de compétence» doivent-ils être lus comme des sections de nos cours?
Dans la lecture d’un devis ministériel, je constate que plusieurs acteurs se méprennent sur les éléments de compétence, pensant à tort que ces éléments doivent faire l’objet d’enseignement explicite, comme autant de chapitres dans un cours. Pourtant, dans les pages des devis ministériels, au chapitre «Vocabulaire», on lira que :
[les éléments d’une compétence] se limitent à ce qui est nécessaire à la compréhension et à l’atteinte de la compétence.
(Ministère de l’Enseignement supérieur (2022). Sciences humaines (300.A1) – Programme d’études préuniversitaires, p.82-83)
On comprend, ici, que le devis ministériel ne suggère pas que les «éléments de compétence » doivent être des parties d’un cours. Toutefois, évidemment, il appartiendra au personnel enseignant, dans les comités de programme, de construire les plans-cadres des cours en s’inspirant de ces «précisions nécessaires à la compréhension» de la compétence à développer. Il y a une marge de manœuvre. À sa discrétion, guidé par son jugement professionnel ainsi que par le contexte, le personnel enseignant pourra faire une lecture holistique de l’énoncé de compétence et de ses composantes afin de créer une activité d’apprentissage. Mais il pourrait aussi en faire une lecture analytique de façon à ce que chaque élément de compétence donne lieu à une partie d’un cours.
7. Doit-on évaluer des compétences ou évaluer des apprentissages?
«À l’échelle des cours, nous évaluons des apprentissages. À l’échelle du programme, nous évaluons des compétences.» Lorsque j’écrivais cette nuance dans un article de la revue Pédagogie collégiale en 2017, c’était pour bien clarifier la distinction entre le mandat que nous avons de développer des compétences et le processus pédagogique qui y mène.
Les activités d’apprentissage que nous concevons et mettons en œuvre (cours, stages, laboratoires, supervision, rencontres individuelles, etc.) sont toutes gouvernées par des énoncés d’objectifs d’apprentissage. Ces mots ont de l’importance. Ils ont du sens : à l’échelle d’un cours, les étudiants et étudiantes font des apprentissages qui, à terme, les mènent à acquérir des compétences. Ce sera à l’échelle du programme que vous pourrez attester que les compétences auront été acquises. Et cet acte d’attestation se fera par inférence.
Visualisons cette inférence que vous pourrez faire entre «objectif terminal de cours» et «énoncé de compétence ».
- Le ministère vous confie le mandat de développer, chez vos étudiants et étudiantes, une compétence quelconque.
- Vous et votre équipe faites consensus sur les activités d’apprentissage que vous allez construire pour que vos étudiants et étudiantes développent cette compétence.
- Ces activités d’apprentissage pourraient requérir un cours seulement. Mais il est plutôt vraisemblable que plus d’un cours sera requis pour y arriver, ceci incluant probablement des cours de disciplines contributives.
- Chacun des cours, dédiés en partie ou en totalité au développement de la compétence mandatée, sera assorti d’un objectif dit «terminal» d’apprentissage.
- Vous et votre équipe conviendrez que le dernier de cette chaine, assorti comme les autres de son propre objectif terminal, aura la «mission» d’achever le développement de la compétence. Ce sera un objectif intégrateur de ce qui aura été appris dans le cours mais aussi, implicitement, dans toute la chaine de cours qui auront directement ou indirectement contribué à votre tâche de réaliser le mandat ministériel de développement de cette compétence.
- Si votre programme de formation est pertinent et, surtout, cohérent, l’énoncé d’objectif terminal de ce dernier cours ressemblera fortement à la lettre, sinon à l’esprit, de l’énoncé de la compétence ministérielle, tel que vous l’aurez étudié dans le devis du programme.
- Vous aurez évalué des apprentissages faits dans votre cours. Vous aurez évalué que vos étudiants et étudiantes auront atteint l’objectif terminal de ce cours… terminal. De là, vous aurez la légitimité d’inférer que la compétence est atteinte. C’est cette inférence, fondée sur la cohérence du processus d’élaboration de programme et légitimée par le respect rigoureux du processus de votre politique de gestion de programme, qui vous permet d’attester que la compétence est atteinte.
8. L’objectif terminal d’un cours est-il la compétence?
Nous savons que les objectifs intermédiaires mènent les étudiants et étudiantes à atteindre l’objectif terminal d’un cours. Cette séquence est décrite dans la documentation sur les types et les rôles des objectifs d’apprentissage, et j’en fais une synthèse dans un article de Pédagogie collégiale paru en 2017.
Si nous étions dans une situation dite de «une compétence, un cours», nous pourrions conclure que l’objectif terminal de ce cours correspond à la compétence mandatée par le ministère de l’Enseignement supérieur. Le mot «correspondre», ici, est important. En effet, l’énoncé ministériel de compétence doit être lu comme un résultat d’apprentissage (learning outcome) attendu par la Société, comme un minimum requis.
De là, j’imagine 2 scénarios qui feraient que votre objectif terminal ne correspondrait pas à la compétence :
- Votre collège (ici, le comité de programme lors de l’élaboration du plan-cadre du cours) pourrait avoir choisi d’enrichir le corpus des compétences qui seront développées chez vous. Par exemple, vous pourriez avoir décidé que l’objectif terminal d’un cours sera enrichi d’une compétence transversale (par exemple : l’utilisation d’une langue tierce) ou enrichi d’un critère de performance qui irait au-delà de ceux que le devis ministériel inscrit dans la colonne «Standard». De là, l’énoncé de votre objectif d’apprentissage pourrait aller un peu plus loin que la compétence ministérielle et, tout en «contenant» la compétence, être… différent.
- Le second scénario relève de ce qu’il y a rarement «une compétence, un cours». Les logigrammes des programmes montrent bien que, dans la plupart des cas, les compétences attendues dans le mandat ministériel sont déployées sur plusieurs cours, incluant des cours de disciplines contributives. Très fréquemment, une compétence va se développer avec le temps, grâce à plusieurs activités d’apprentissage. Chacune de ces activités d’apprentissage constituera un maillon d’une chaine au terme de laquelle la compétence sera considérée comme atteinte. Il est donc logique de conclure que l’objectif terminal des cours qui sont en amont du dernier cours de cette chaine ne correspondra PAS à l’énoncé de la compétence. Voyons clairement que :
- L’objectif terminal de chacun des premiers cours correspondra à une partie de la compétence, sachant qu’il y a cumul dans le processus d’apprentissage : appropriation, intégration, enrichissement.
- L’objectif terminal du dernier cours de cette chaine traduira l’aboutissement de plusieurs sessions de développement graduel de la compétence. C’est ici que l’énoncé de l’objectif terminal de ce «dernier» cours de la chaine correspondra à l’énoncé de la compétence attendue par le ministère.
9. Quels approches ou outils principaux pourraient favoriser la clarté et la cohérence dans la relation pédagogique avec les étudiants et étudiantes?
Une taxonomie des objectifs d’apprentissage est certes un outil incontournable dans la démarche pédagogique. Dans le travail de planification des activités d’apprentissage, un tel outil est utile pour bien situer et nommer le niveau auquel l’apprentissage devrait amener l’étudiant ou l’étudiante. Pour un contenu d’enseignement, on pourra vouloir fixer le type d’apprentissage à prévoir. Prenons un exemple dans le domaine cognitif. Au sujet du conflit actuel entre l’Ukraine et la Russie, l’enseignant veut-il que l’étudiant fasse un apprentissage de connaissances factuelles, qu’il soit capable d’expliquer les causes ou encore qu’il soit capable de porter un jugement éclairé sur la situation?
En 1956, le psychologue Benjamin Bloom et son équipe ont proposé (notez le mot «proposé») un système de taxonomie des objectifs d’apprentissage du domaine cognitif afin de fournir aux pédagogues un langage commun à des fins de concertation. Depuis, plusieurs autres auteurs et autrices ont proposé leur version d’une taxonomie dans le même but, et ce, en incluant les domaines affectif et psychomoteur. Pour diverses raisons, la taxonomie de l’équipe de Bloom est la plus utilisée mondialement. Mais cette taxonomie, comme d’autres, est parfois mal comprise et mal utilisée. Certains y voient une liste de verbes d’action dont on choisira le verbe le plus approprié pour décrire le niveau d’apprentissage voulu, comme dans un catalogue. On réfère parfois à la «taxonomie des verbes»; voilà une dérive qui peut générer de la confusion.
Je me permets 2 commentaires au sujet de ces verbes d’action.
1. L’origine de ces verbes d’action
Bloom et son équipe, en publiant leurs livres sur les taxonomies des domaines cognitifs et affectifs, de même que, plus tard, Harrow avec sa taxonomie du domaine psychomoteur, n’ont PAS fourni ces listes de verbes d’action que tous connaissent et utilisent. Ces manuels nous offrent une excellente discussion des processus de l’apprentissage dans chacun des 3 domaines usuels, discussion assortie de propositions de construits théoriques (notez encore le mot «proposition») avec de très nombreux exemples. Mais pas de liste de verbes d’action, comme on les trouve dans ces fiches-résumé que tous utilisent. Bien entendu, on lira des verbes d’action dans ces discussions et dans leurs exemples de libellés d’objectifs d’apprentissage.
D’où nous viennent ces listes de verbes à l’infinitif? C’est un dénommé Metfessel et son équipe qui auraient été les premiers à proposer des listes de verbes d’action, à l’infinitif, dans un article publié en 1969, soit 13 ans après la publication, par Bloom et son équipe, de la taxonomie du domaine cognitif. Inspiré par ce groupe de Californie, le ministère de l’Éducation du Québec publiait en 1977 un fascicule reprenant en français les tableaux de Metfessel, et c’est de cette publication que nous tirons aujourd’hui ces tableaux de verbes d’action que tous connaissent.
Certains auteurs et autrices ont malheureusement proposé des verbes d’action qui ne sont pas «observables et mesurables». Il faut donc faire preuve de jugement critique en utilisant ces listes. Par exemple, une version de ces listes de verbes d’action contient le verbe «acquérir». Pourtant, on conviendra que ce verbe ne traduit pas un comportement observable ou mesurable. «Acquérir» relève plutôt d’un processus, en amont d’un comportement.
2.Les verbes polysémiques
Dans ces listes de verbes d’action, certains verbes apparaissent dans plus d’un niveau. Dans une liste qui circule dans le milieu collégial, le verbe «distinguer» apparait dans 3 niveaux du domaine cognitif. On le sait pourtant : certains mots peuvent avoir différentes significations selon le contexte où ils sont employés. On dit de ces mots qu’ils sont polysémiques.
Donnons 2 exemples qui demandent rigueur et renvoient à des dictionnaires :
- Le verbe «analyser» peut avoir au moins 2 acceptions. Le 4e niveau de la taxonomie de Bloom s’intitule «Analyse» et, sans surprise, le verbe «analyser» apparait dans la liste. Pourtant, plusieurs objectifs d’apprentissage utilisent le verbe «analyser», alors que l’intention véritable de l’enseignant ou de l’enseignante est d’amener les étudiants et étudiantes à «comprendre» (niveau 2 de la taxonomie). Prenons, par exemple, l’énoncé suivant : «Analyser un tableau statistique afin d’en dégager les données essentielles à… ». En atelier de perfectionnement, la personne qui avait proposé cet objectif d’apprentissage l’avait classé au niveau taxonomique 4, se fiant à la liste des verbes d’action. Pourtant, toutes les autres personnes du groupe étaient d’avis que l’intention pédagogique de cet objectif d’apprentissage est de comprendre le tableau statistique afin de pouvoir faire usage des données pertinentes. Toutes se sont ralliées à la conclusion que cet objectif vise le niveau 2 (la compréhension), et non pas le niveau 4 (l’analyse). Le verbe «analyser» est donc trompeur si on ne voit pas qu’il est polysémique.
- Le verbe «discerner» peut être utilisé sous 3 acceptions différentes. Il peut renvoyer, selon le contexte, à la connaissance (niveau 1 : mémoire), à la compréhension (niveau 2 : faire la distinction entre plusieurs choses, se rendre compte de, etc.) ou au jugement (niveau 6 : évaluation, jugement clinique, etc.). Ce verbe d’action est utilisé, par exemple, dans le devis ministériel du programme Techniques de pharmacie pour énoncer la compétence suivante : «Discerner les caractéristiques des médicaments». Ici, le comité de programme aura à interpréter les intentions ministérielles en se fiant au contenu et à l’esprit de l’ensemble de la fiche descriptive de la compétence dans le devis du programme:
- les critères de performance
- les conditions de réalisation
- les suggestions des «éléments de compétence»
- l’ensemble des intentions éducatives de ce programme
- «Discerner» est un bel exemple de verbe polysémique qui exige la rigueur dans l’interprétation de l’acception la plus appropriée.
On voit donc l’importance de faire preuve de rigueur dans la réflexion sur les niveaux taxonomiques des objectifs d’apprentissage.
Rappelons, en synthèse finale, les réalités pédagogiques suivantes:
- Afin d’interpréter correctement leur mandat pédagogique, le personnel enseignant (en comité de programme ou en réflexion personnelle) doit garder en tête l’esprit de l’énoncé de compétence dans son ensemble : son intention pédagogique, sa place dans le programme, sa couleur (illustrée dans les éléments de compétence) et son niveau (décrit dans les standards).
- Sachant qu’une compétence se développe graduellement dans le temps, le personnel enseignant doit aussi situer correctement les activités d’apprentissage qu’il construit en fonction de ces étapes: appropriation, intégration, enrichissement. Où en sont mes étudiants et étudiantes dans ce cheminement? Où se situe CE cours dans le programme?
Conclusion
Pour compléter cette série de commentaires inspirés de questions soumises par des participants et participantes au webinaire du 25 mars 2022 offert par le Carrefour de la réussite au collégial, il peut être utile d’en revoir l’enregistrement afin d’y repérer les pistes qui ont donné lieu au présent texte. On retrouvera cet enregistrement et toutes les ressources associées sur le site du Carrefour de la réussite. De plus, un dossier thématique sur l’actualisation des programmes d’études, élaboré par Linda Cormier et Isabelle Pelletier en collaboration avec le Carrefour de la réussite, a été publié sur le site Éductive peu après le webinaire.