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Annie Lapierre a longtemps été enseignante en éducation à l’enfance et en travail social, puis a jumelé des charges de cours à un poste de conseillère pédagogique au Cégep de Saint-Félicien. Elle a de l’expérience dans le développement de programmes destinés aux personnes issues des Premières Nations, en respect des besoins réels de ces personnes (à distance ou au sein même des communautés).

Je me suis entretenue avec elle pour discuter d’un concept qui lui est cher: l’humilité pédagogique.

Au moment où j’ai discuté avec elle, Annie était sur le point de retourner à l’enseignement, avec un mandat l’amenant à aller enseigner l’éducation spécialisée en territoire autochtone.

Table des matières

L’humilité professionnelle appliquée à l’enseignement et à la conseillance pédagogique

Annie Lapierre a été très intéressée par les travaux de Barret Michalec, de l’Université d’État de l’Arizona [en anglais]. Michalec raconte qu’il cherchait une façon d’enseigner l’empathie à de futurs travailleurs et futures travailleuses de la santé. Il a introduit le terme «humilité professionnelle» pour décrire un concept central pour l’interprofessionnalisme et la formation de l’identité professionnelle. Annie a eu l’idée d’appliquer ce concept à sa propre réalité d’enseignante et de conseillère pédagogique en parlant d’«humilité pédagogique».

Annie me dit que l’humilité, c’est une attitude. Une personne humble est prête à accueillir ce que les autres ont à lui dire en faisant fi de son ego.

Une idée née au contact des Premières Nations

Annie m’a raconté qu’elle a été chargée, il y a quelques années, de travailler à un programme d’études collégiales en partenariat avec les Premières Nations. Elle a élaboré une 1re version de document, puis devait animer un groupe de discussion avec des membres des Premières Nations et des gens sur le terrain pour valider ses plans. Elle dit que cela a été pour elle l’occasion de constater qu’elle n’adoptait pas une posture d’humilité dans sa pratique: elle était dans l’ego, formatée dans un cadre strict. Elle a élaboré une 1re version du document selon ses propres critères, convaincue que sa méthode structurée était la meilleure approche. Or, les personnes participant au groupe de discussion lui ont clairement indiqué que certains termes ou idées proposées ne convenaient pas du tout à leur réalité, ne respectaient pas la continuité culturelle. (Par exemple, le mot «rigueur» qu’Annie employait ne résonnerait pas du tout chez le personnel et les élèves.)

Annie dit avoir trouvé cela «élevant»: elle a repris son travail en se mettant en posture d’apprenante. Cette fois-ci, elle a eu l’impression de vraiment travailler pour répondre aux besoins des personnes concernées, pas pour répondre à ses propres attentes ou valider un prétendu statut d’experte.

Ce sont des expériences comme celles-là qui font que le concept d’humilité pédagogique est si cher à Annie.

Créer une alliance pédagogique

L’humilité pédagogique implique de développer une relation forte avec les élèves avant même d’enseigner, avant de penser à discuter des concepts à l’étude dans le cours. Certaines personnes n’ont pas besoin de cela pour apprendre efficacement, mais une grande partie, oui. Une relation forte peut être la clé pour que les élèves acceptent les critiques que constituent nos rétroactions sur leurs apprentissages.

En s’inspirant du concept d’«alliance thérapeutique», on peut parler, comme le font Telio, Ajjawi et Regehr (2015) [en anglais], d’une véritable alliance pédagogique. L’alliance pédagogique, c’est un dialogue authentique entre personnes enseignantes et apprenantes. Ce dialogue s’appuie sur:

  • une entente mutuelle sur les objectifs
  • la cocréation d’un plan d’action
  • le développement d’un lien de confiance

Se baser sur les rétroactions des élèves

Pour bâtir l’alliance pédagogique, il faut ouvrir la porte aux interactions et aux commentaires des élèves et être prêt ou prête à adapter ensuite le cours à leur réalité.

En effet, si vous faites preuve d’humilité pédagogique, vous donnerez des rétroactions constructives à vos élèves, mais vous vous assurerez aussi de recevoir des rétroactions de leur part. Et surtout, vous réagirez positivement aux rétroactions reçues et adapterez votre cours en conséquence.

Annie commence toujours la session en demandant à ses élèves comment ils et elles aiment apprendre; quels types de cours ils et elles préfèrent… et elle adapte ses pratiques en conséquence! Cela est particulièrement important dans un contexte interculturel, comme quand Annie travaille avec des gens des Premières Nations. Varier les stratégies pédagogiques peut ne pas suffire pour bien répondre aux besoins des élèves: il faut bien orienter nos interventions dès le début.

Inviter les personnes apprenantes à participer à la planification des activités d’apprentissage comme les projets, les études de cas ou les simulations est une bonne façon de forger l’alliance pédagogique. On peut même impliquer les élèves dans la création des activités d’évaluation!

Un exemple pour faire comprendre aux élèves que leur apport est bienvenu et valorisé dès le début du cours

Annie Lapierre m’a raconté que, pour un cours sur l’animation d’équipes et de groupes de clients qu’elle a donné en Techniques de travail social, plutôt que de présenter un plan de cours déjà établi aux élèves lors de la 1re séance de cours, elle a coconstruit les évaluations du cours avec elles et eux. Pour cela, elle a profité du fait que la Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages de son collège donne 2 semaines après le début des cours pour finaliser le plan de cours. Elle avait initialement laissé la section sur les évaluations vide et a demandé aux élèves de créer les évaluations avec elle. Elle m’a dit qu’elle n’aurait jamais pu imaginer seule des évaluations aussi géniales que celles que ses élèves ont créées.

Par exemple, ses élèves ont proposé que l’une des évaluations soit de simuler une animation en équipe. La simulation était enregistrée et les élèves analysaient leur animation. Quelle belle évaluation authentique! L’évaluation finale, elle, a été d’enregistrer un balado en équipe et de le publier en ligne (les élèves moins à l’aise avaient la liberté de faire une présentation en classe à la place).

À la fin d’une séance de cours, on peut demander aux personnes étudiantes comment elles ont trouvé le cours. Quelles étaient les forces et les faiblesses du cours? Comment était le rythme du cours? Qu’est-ce qui devrait être fait différemment à l’avenir? Surtout, il faut tenir compte des commentaires recueillis! Il faut faire les efforts nécessaires pour adapter nos méthodes pédagogiques en fonction des rétroactions des élèves.

J’ai expliqué à Annie que je demandais rarement de telles rétroactions à la volée en fin de cours ces temps-ci, car je n’avais pas grand succès quand je le faisais. Une personne hoche la tête, une autre lève le pouce, une autre dit que tout va bien, mais la majorité ne parle pas. Annie me dit que c’est normal; faire une rétroaction, c’est gênant pour les élèves… mais, il ne faut pas arrêter de demander!

La rétroaction peut mettre les élèves dans une position inconfortable, en entrant en confrontation avec l’idée profondément ancrée d’une hiérarchie entre le corps enseignant et le corps étudiant. Cette relation verticale historique inhibe souvent la capacité des élèves à exprimer une critique constructive.

—Annie Lapierre

Les élèves n’ont généralement pas l’habitude que leurs commentaires soient réellement valorisés. Il faut leur faire comprendre qu’ils et elles ont le droit de parler, qu’ils et elles ne sont plus obligés de se taire. Un questionnaire anonyme sur Forms (ou une autre plateforme) peut aussi être utile pour recueillir les propos de tout le monde, y compris les plus timides.

Il faut prendre le temps. On est tellement concentrés sur les objectifs d’apprentissage et les compétences à atteindre qu’on oublie parfois qu’on a des humains devant nous.

—Annie Lapierre

Évidemment, s’adapter en temps réel (ou presque) aux rétroactions des élèves demande de l’agilité. Annie me dit qu’elle n’a pas peur d’oser. Elle l’énonce d’emblée à ses élèves: «Vous êtes mes cobayes. Je vais tester des choses; vous me direz ce que vous en pensez.» Personne n’est offensé, bien au contraire! Et ses élèves préfèrent cela à des exposés magistraux de 3h…

Mais, réalistement, on peut adopter la stratégie des petits pas pour se bâtir une banque de matériel et d’activités pédagogiques au fil du temps. Ainsi, on ne s’impose pas de réinventer la roue chaque session. (Il s’agit ici de présenter nos choix avec transparence à nos élèves.) Cela fait écho à la conception universelle des apprentissages et la pédagogie inclusive: on finit par être en mesure d’offrir aux apprenants et aux apprenantes une variété d’outils pédagogiques adaptés à leur réalité. L’avantage de l’humilité est de nous permettre de prendre connaissance des besoins réels individuels des étudiants et étudiantes qui sont dans nos groupes une session donnée. On peut ainsi orienter nos efforts de développement de matériel ou de création d’activités pédagogiques. (De plus, Annie m’a rappelé que les enseignants et enseignantes ne devaient pas hésiter à demander de l’aide à leurs conseillers et conseillères pédagogiques et technopédagogiques. Une autre façon d’être humble!)

Faire sentir sa présence

Selon Annie, répondre rapidement aux élèves qui nous écrivent des questions, que ce soit par MIO ou sur Teams, permet de diminuer leur anxiété relative aux évaluations. Cela contribue aussi à tisser la relation entre les élèves et nous. Cela est d’autant plus vrai en formation à distance, un contexte qu’Annie connait bien. Quand des messages envoyés comme des bouteilles à la mer sont la seule façon de joindre un enseignant ou une enseignante, recevoir une réponse rapide est sans contredit très important pour bâtir la confiance. Après tout, même à distance, il faut faire sentir notre présence.

Autant en présence qu’à distance, Annie encourage tous les enseignants et toutes les enseignantes à être disponibles (physiquement ou virtuellement) entre les cours. Elle suggère aussi de créer un canal dédié à l’entraide sur Teams (si c’est la plateforme que vous utilisez), afin que les élèves puissent poser leurs questions et répondre à celles des autres. Ils et elles sentent ainsi que leurs questions et interventions sont les bienvenues! Cela allégera un peu votre tâche tout en contribuant à créer une communauté à l’intérieur du groupe-classe.

Annie me donnait l’exemple d’un collègue qui enregistrait chaque semaine, pour son cours à distance, une vidéo de 30 secondes contenant «la blague de la semaine». Il racontait simplement une blague en lien avec les notions à voir cette semaine-là. Cela m’a fait penser à mon entretien avec Saul Bogatti au sujet de l’humour en enseignement collégial. Pour Annie, ce sont de petites actions du type de la «blague de la semaine» qui peuvent faire en sorte qu’un étudiant ou une étudiante aura envie d’aller ouvrir ses courriels cette semaine-là. On peut faire la même chose en présence: commencer son cours par une blague peut motiver nos élèves à se présenter et à nous reparler de la blague ensuite, etc.

Faire preuve d’empathie

L’humilité pédagogique est très liée à la pédagogie de l’empathie. Annie recommande de prendre le temps de discuter avec les élèves individuellement, de connaître leur parcours et leur quotidien. Il faut aussi nous présenter nous-mêmes aux élèves de façon authentique, pour pouvoir être en relation réelle avec elles et eux.

Prendre le temps de leur demander comment ils et elles vont, de façon sincère, peut faire une énorme différence. Comprendre les circonstances personnelles des élèves est essentiel pour adapter nos méthodes pédagogiques et répondre aux besoins individuels (qu’ils soient émotionnels, économiques, sociaux ou scolaires).

Une relation empathique entre personne enseignante et personnes apprenantes a de nombreux effets positifs. Annie a été témoin du travail d’une enseignante dont l’approche pédagogique basée sur l’humilité a donné des résultats remarquables: le taux d’absentéisme était exceptionnellement bas et, fait notable en contexte d’enseignement à distance, les élèves gardaient spontanément leurs caméras allumées. Cette expérience a confirmé à Annie que l’adoption d’une posture humble et à l’écoute par la personne enseignante crée un climat de confiance qui favorise l’engagement des élèves. Les résultats parlent d’eux-mêmes.

Respecter la culture des élèves

Dans un contexte interculturel comme celui dans lequel Annie enseigne, l’humilité passe aussi beaucoup par le respect de la culture des étudiantes et des étudiants.

Le concept d’humilité culturelle a été développé en 1998 par Tervalon et Murray-Garcia [PDF, en anglais]. Faire preuve d’humilité culturelle, c’est prendre le temps de bien comprendre les expériences de vie (et scolaires) que vivent les élèves et leurs familles lorsqu’ils et elles ne font pas partie de la culture majoritaire. Concrètement, ça peut être d’intégrer des études de cas, des exemples et des théories provenant des diverses cultures des élèves de la classe. Il ne faut pas imposer sa propre culture, mais être à l’écoute de la richesse de l’autre.

Quand Annie enseigne le développement humain, par exemple, elle ne présente pas que des théories développées par des hommes blancs; elle parle aussi des concepts issus des cultures des Premières Nations (ou toutes autres théories, en fonction des nations présentes dans la classe). Elle demande à ses élèves comment telle ou telle chose se dit dans leur langue, dans laquelle plusieurs concepts sont désignés par des périphrases. Connaître le sens exact des mots permet de mieux comprendre les perspectives des élèves, et ainsi être plus en mesure de les aider à apprendre.

Avouer qu’on ne sait pas tout

Une approche humble implique que nous admettions ouvertement ne pas tout savoir. C’est l’humilité intellectuelle. Si vous montrez que vous ne savez pas tout, ce sera plus facile pour vos élèves d’oser poser des questions.

Après tout, l’intellect et l’ego sont distincts!

Montrez à vos élèves que vous êtes ouvert ou ouverte à réévaluer vos points de vue et que vous respectez les points de vue des autres. Intégrez le vécu des élèves dans votre enseignement.

Dans la pratique, cela peut passer par l’adoption d’une posture de personne facilitatrice plutôt qu’une posture de personne formatrice.

Dans ses classes, Annie essaie de déconstruire le schéma classique voulant que l’enseignante ou l’enseignant soit «supérieur» à ses élèves. Au lieu d’une relation hiérarchique, elle veut être dans une situation d’apprentissage mutuel. L’enseignant ou l’enseignante n’a plus le monopole de la connaissance. Ultimement, les élèves ressentent de la bienveillance plutôt que de la pression.

À cet égard, le codéveloppement est une approche très intéressante. Annie l’a utilisé récemment avec de très bons résultats pour une activité qu’elle a réalisée avec des enseignants et des enseignantes.

J’ai demandé à Annie si l’humilité intellectuelle était susceptible de limiter la confiance des élèves envers les compétences de l’enseignant ou de l’enseignante. Elle m’assure que non. Après tout, l’humilité intellectuelle ne nous rend pas soudainement moins compétent ou moins compétente, il s’agit simplement d’arrêter d’avoir peur de dire «je ne sais pas». Plutôt que d’éviter les questions difficiles, on peut faire des recherches avec les élèves pour trouver les réponses. Cela permet de créer un espace sûr (safe space).

Un collègue d’Annie lui a dit un jour: «Tu sais, Annie, si tu sors du cours plus fatiguée que tes élèves, il y a un problème.» L’enseignant ou l’enseignante doit préparer le cours en amont, mais, pendant le cours, ce sont les élèves qui doivent travailler.

Pour en savoir plus

Annie a écrit un chapitre sur l’humilité pédagogique en formation à distance dans le livre Enseignement à distance au collégial. Expertises et pratiques (sous la direction de France Lafleur et Ghislain Samson, aux Presses de l’Université du Québec, en 2024). Elle a également animé un atelier sur l’humilité pédagogique au colloque 2024 de l’AQPC.

À propos de l'auteure

Catherine Rhéaume

Catherine Rhéaume est éditrice et rédactrice pour Éductive (auparavant Profweb) depuis 2013. Elle est enseignante de physique au Cégep Limoilou. Elle est également auteure de différents cahiers d’apprentissage pour la physique et pour la science et la technologie au secondaire. Son travail pour Éductive l’amène tout naturellement à s’intéresser à la pédagogie numérique et à l’innovation pédagogique.

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