Saul Bogatti enseigne l’italien au Cégep Garneau. Il a complété une maîtrise avec Performa en 2020. Son mémoire porte sur l’intégration efficace de l’humour pour faciliter les apprentissages. Aujourd’hui, Saul donne des conférences sur le sujet dans le réseau collégial et est responsable d’une formation non créditée (gratuite pour le personnel d’un établissement membre de Performa) intitulée Humour, enseignement et apprentissage offerte par Performa. Je me suis entretenue avec Saul pour discuter de l’humour en enseignement.
Pourquoi intégrer l’humour en classe?
Saul Bogatti m’a expliqué ce qui l’a poussé à s’intéresser à la valeur pédagogique de l’humour, ce sont les rencontres d’anciens étudiants ou d’anciennes étudiantes dans les corridors du cégep. En discutant avec Saul de ce qu’ils et elles avaient retenu de son cours, les élèves mentionnaient souvent des notions enseignées de façon humoristique; des notions apprises à l’aide de blagues.
Les recherches que Saul a menées dans le cadre de sa maîtrise lui ont permis de confirmer cette intuition: l’humour favorise bel et bien l’apprentissage. Et il ne faut pas non plus oublier d’autres bienfaits de l’humour en classe.
Dans une perspective socioculturelle, l’humour:
- augmente la flexibilité mentale
- démystifie l’image de la personne enseignante
- réduit la distance entre la personne enseignante et les élèves
Dans une perspective psychologique, l’humour:
- rend le climat de classe agréable, ce qui favorise la cohésion
- améliore la motivation
Dans une perspective physiologique, l’humour:
- favorise la production d’endorphines, ce qui réduit l’anxiété et stimule le processus de mémorisation
Dans une perspective cognitive, l’humour:
- stimule l’activité cérébrale
- favorise l’apprentissage
Oui, le simple fait de faire des blagues en classe peut détendre l’atmosphère et favoriser l’apprentissage pendant la séance de cours. Mais, si ces blagues (ou autres éléments humoristiques) sont en plus liées directement aux notions à enseigner, cela favorise l’apprentissage des notions proposées.
Comment intégrer l’humour en classe?
Dans son cours d’italien, Saul Bogatti utilise:
- des mèmes
- des vidéos humoristiques
- des jeux de mots et des blagues
- des jeux
- etc.
Comment trouver de l’inspiration? Saul recommande de faire un remue-méninge, d’ouvrir son esprit et de tenter de considérer le sujet que l’on veut enseigner sous de nouveaux angles. Pour voir de quelles façons le sujet peut être rendu humoristique, on peut regarder des comédies, écouter des spectacles d’humour ou lire des bandes dessinées et ainsi obtenir de l’inspiration pour nos prochains cours.
Par exemple, pour enseigner le vocabulaire italien lié à la restauration, Saul a eu l’idée de s’inspirer de vidéos humoristiques sur des restaurants qu’il avait vues sur YouTube. Il a donc décidé de créer ses propres vidéos, dont une mettant en scène sa mère, convaincu que cela pourrait être une approche efficace.
Dans sa formation Performa Humour, enseignement et apprentissage, Saul demande aux personnes enseignantes participantes de concevoir une activité intégrant l’humour pour l’enseignement d’une notion ou pour une partie de leurs cours. Voici quelques créations des participants et participantes:
- Pour enseigner à ses élèves à distinguer les critiques constructives des critiques destructives, une personne qui enseigne l’anglais a eu l’idée de concevoir un diaporama numérique réunissant des vignettes montrant des exemples humoristiques de chaque cas.
- Un enseignant de psychologie qui donne un cours sur le développement de l’enfant a réalisé des capsules vidéos humoristiques mettant en scène ses propres enfants.
- Pour enseigner à ses élèves à préparer et à présenter un exposé oral, une enseignante a eu l’idée de concevoir une vidéo humoristique. La vidéo montrerait tous les éléments d’une présentation orale, mais avec des erreurs caricaturales.
- Pour enseigner certaines notions relatives au Code national du bâtiment du Canada, une personne enseignante a eu l’idée d’utiliser un questionnaire de type Kahoot. Les questions seraient basées sur des images drôles, percutantes, saisissantes ou mémorables en lien avec les notions abordées.
- Un enseignant de philosophie va proposer à ses élèves de faire un atelier de révision en vue de l’examen final à partir de mèmes humoristiques.
Saul ne recommande pas aux enseignants et aux enseignantes d’intégrer l’humour dans toutes leurs leçons. En fait, lui-même n’intègre pas l’humour dans toutes les activités qu’il propose à ses élèves. Pendant les recherches qu’il a menées dans le cadre de sa maîtrise, il a intégré l’humour à «seulement» 4 des 12 séances de cours théoriques de la session. Ses recherches lui ont montré que les élèves appréciaient cet équilibre entre l’humour et le sérieux.
Selon Saul, l’humour est une façon de sortir de la routine, de voir les choses autrement. Mais il y a d’autres approches pédagogiques qui sont efficaces et, justement, l’idéal est de proposer une belle variété d’activités aux élèves.
Pour bénéficier des effets positifs de l’humour, il n’est pas nécessaire que les élèves s’esclaffent en se tapant sur les cuisses pendant un cours. Le rire est un indicateur du succès de l’humour; un indicateur de la présence des effets bénéfiques de l’humour. Cependant, ce n’en est pas toujours une manifestation juste; il ne faut pas se fier uniquement à lui. Le fait que plusieurs étudiantes et étudiants rient ne prouve pas forcément qu’une blague est appropriée. Parfois, on rit par choc, stress ou parce qu’une situation inattendue survient, ou simplement parce que les autres rient. Il arrive aussi que les étudiantes et étudiants rient par sympathie pour la personne enseignante car elle est appréciée , ou parce que les étudiantes et étudiants se sentent obligés de le faire en tant que public captif face à une figure d’autorité.
Quand intégrer l’humour en classe?
Pour cibler un concept à retravailler de manière humoristique, Saul Bogatti propose les 6 critères suivants:
- le concept est difficile à assimiler ou nécessite d’être vulgarisé davantage
- le concept représente une lacune généralisée dans vos groupes
- le concept se prête à être présenté de manière humoristique (par exemple, une vidéo humoristique qui vous a frappé pourrait être exploitée pour exposer cette notion)
- les résultats des évaluations portant sur ce concept sont faibles ou problématiques
- le concept est enseigné pendant une leçon ou une partie d’un cours qui est souvent présentée de la même manière et qui gagnerait à être retravaillée pour amener du nouveau dans les gestes d’enseignement
- le concept est sérieux et gagnerait à être assaisonner avec une pincée d’humour
Qui peut intégrer l’humour en classe?
Saul Bogatti m’a assuré qu’il n’était pas nécessaire d’être drôle soi-même pour intégrer l’humour en classe. En fait, Saul a divisé les activités humoristiques en 2 catégories:
- l’humour qui vient de la personne enseignante
Si une personne a de la facilité à faire rire et se sent à l’aise avec la «performance» en classe, elle pourra raconter des anecdotes, des histoires drôles, etc. Ici, c’est la personne enseignante qui est la source de l’humour. - l’humour qui vient du matériel du cours
En revanche, si l’utilisation de l’humour est attrayante, mais que l’aspect performatif l’est moins, c’est le matériel pédagogique qui est drôle: les textes, les vidéos, les mèmes utilisés par la personne enseignante, etc. Dans ce cas-ci, la personne enseignante n’a pas besoin d’animer le cours de façon humoristique: elle assume un rôle de médiation plutôt que d’animation
Quel type d’humour intégrer en classe?
Pour que l’intégration de l’humour en classe fonctionne, l’humour en question doit être compris et apprécié des élèves.
Pour que l’humour soit approprié, il faut éviter l’humour dénigrant (mais l’humour dans le style de l’autodérisionest bienvenu!) ou offensif.
Une bonne piste est de choisir des thématiques proches de la vie des étudiants et des étudiantes et de s’adapter au fil du temps. Les tendances et les références communes changent, mais aussi les limites de ce dont il est acceptable de rire évoluent.