La contrainte de la lecture d’œuvres obligatoires dans les cours de littérature entre souvent en conflit avec la notion de plaisir. Quoi faire alors? La possibilité d’offrir des choix littéraires au cégep pourrait-elle motiver les élèves à lire davantage dans le plaisir? Quels avantages pourraient découler de la proposition de listes d’œuvres aux étudiants et aux étudiantes?
L’acte de lire pour le plaisir
La lecture est pour moi une «activité amie» qui m’accompagne depuis presque toujours. Tout comme la natation ou la musique, la lecture fait partie des activités devenues quasi essentielles pour ma santé physique et mentale. En effet, lire apprend à vivre et nourrit l’intellect. De quoi me ramener au but premier de ma vocation: former des citoyens et des citoyennes complets et complètes, heureux et heureuses dans leur travail comme dans leur vie personnelle. Je souhaite, dans un élan probablement très idéaliste, que la lecture reste au moins comme habitude à la suite des cours de littérature du collégial. Et si l’adoption de ce rituel entraînait une vie plus satisfaisante? L’acquisition de l’habitude de lecture chez l’élève serait la réussite ultime!
Malheureusement, plusieurs études (Bintz, 1993 [en anglais], Babin, 2018) montrent que les grands lecteurs et grandes lectrices du primaire perdent cet attrait au cours de leurs études. Il semble que l’aspect obligatoire de la lecture présent au secondaire et au cégep tue ce plaisir. Ce fait me dérange profondément et je m’interroge sur l’impossibilité d’appliquer les 10 droits du lecteur de Pennac en classe. En effet, comment permettre «le droit de ne pas lire», de «sauter des pages» lorsqu’il y a des évaluations? Cette liberté du lecteur présente dans la vraie vie n’est pas nécessairement conciliable avec les études. «La lecture doit être une des formes du bonheur», disait Borges, et je suis plutôt d’accord avec lui.
Quoi faire alors quand on sait pertinemment que nos élèves ne lisent pas ou lisent mal nos œuvres obligatoires? Dufays, Gemenne et Ledur dans Pour une lecture littéraire rappellent qu’«[i]l n’y a pas de littérature sans lecteur.» Si mes élèves ne lisent pas les œuvres au programme, ma matière n’existe tout simplement pas pour elles et eux…
La question du choix du corpus se pose rapidement. Trois critères doivent orienter nos choix selon Dufays, Gemenne et Ledur :
- les élèves
- l’enseignant ou l’enseignante
- la culture
L’option d’offrir des choix s’accroche au 1er critère qui est peut-être le plus négligé des 3 selon moi. Des choix faisant partie de la paralittérature ou du postmodernisme intéressent habituellement plus facilement des élèves. D’ailleurs, pourquoi ne pas les sonder et s’initier un peu à ce qu’ils lisent ?
La question de faire lire une œuvre intégrale plutôt que des extraits se pose également. La lecture d’œuvre intégrale s’apparente davantage à une lecture réaliste, à une situation authentique. En effet, qui lit des extraits pour se détendre ou alimenter une réflexion profonde sur la vie?
Proposer une sélection de titres en classe
J’offre donc entre 2 et 5 choix d’œuvres intégrales à mes élèves en fonction du corpus, du nombre de personnes en classe et du cours. J’ai une belle banque de documents portant sur chaque œuvre. J’y puise des questions d’analyses et de dissertations, des questions de débats et de discussions, mais aussi des vidéos explicatives sur le paratexte, sur les difficultés de lecture, etc. Cette banque me permet de varier mes activités de session en session, même si je garde les mêmes choix d’œuvres.
Dès le 1er cours, les étudiants et les étudiantes choisissent les œuvres qu’ils et elles liront après une courte présentation des choix disponibles. C’est par l’entremise d’un sondage de début de session, fait en ligne, que les élèves peuvent me mentionner leur 1er et 2e choix. Je suis toujours très surprise de voir les classes se séparer presque équitablement entre les œuvres offertes.
Dès le 2e cours, les élèves savent quels livres ils et elles liront et peuvent se les procurer à la coop où j’ai commandé le nombre prévu pour chaque œuvre. Je souhaite en effet avoir un nombre de lecteurs et de lectrices sensiblement égal pour permettre les échanges fertiles, les débats et les tables rondes. Je répartis facilement mes élèves en orientant les gens absents au 1er cours vers l’œuvre la moins populaire. Après tout, les absents ont toujours tort. De plus, si une personne n’a pas reçu son 1er choix pour la 1re œuvre, je vais m’assurer qu’elle l’ait au moins pour la 2e. Cette étape semble fastidieuse, mais en général, elle ne l’est pas du tout.
Faire naitre le plaisir de lire
Pendant la session, je fournis un calendrier de lecture, des vidéos et des moments de discussion avec les collègues qui lisent le même livre. J’alterne donc entre une lecture «personnelle» et une plus «savante» pour faire naître un plaisir un peu plus intellectuel. À mon avis, ce plaisir ne peut s’atteindre sans une communication plus intime du lecteur ou de la lectrice avec l’œuvre. Faire des choix fait partie des stratégies nécessaires à cette adhésion. Les élèves doivent pouvoir faire «une lecture subjective des textes littéraires, faite de ce que l’on est, de ce que l’on aime, de ce en quoi l’on croit, de ce que l’on partage avec sa communauté, de ses expériences culturelles, de son bagage de connaissances, de références, d’expériences vécues, de valeurs, d’idées, etc.» (Falardeau, 2004, p. 40 [PDF]).