Se représenter des poèmes
Quand les élèves s’initient à la poésie, ils et elles ont souvent tendance à se représenter le texte de façon trop directe. Quand j’enseignais la poésie, je commençais souvent la session en montrant une peinture abstraite aux élèves: une toile de Riopelle par exemple. Je leur demandais d’interpréter la toile, ce qui était difficile. Puisque personne n’était capable de fournir une interprétation directe et claire, je demandais à chaque élève, en prenant les présences, de dire un mot que lui inspirait la toile. En regroupant les idées, nous pouvions émettre une hypothèse sur la signification de la toile. Cela me permettait de faire un parallèle entre l’abstraction en peinture et l’abstraction en poésie.
L’arrivée de Midjourney m’a donné l’idée de faire le chemin en sens inverse. Quand certains vers sont trop complexes ou quand certaines images poétiques ne sont pas claires pour les élèves, Midjourney peut en fournir une représentation visuelle. J’ai testé l’idée en faisant traduire des poèmes québécois par Google Translate et en les soumettant à Midjourney. J’ai été agréablement surpris par les résultats!
Illustration d’un extrait de La marche à l’amour de Gaston Miron:
«tu viendras tout ensoleillée d’existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements»
Illustration d’un extrait de Mon bel amour de Gaston Miron:
«l’oreille comme un coquillage
dans quel pays du son bleu
amour émoi dans l’octave du don»
J’ai particulièrement aimé la 2e image, qui m’a fait réaliser que le symbole d’une clé de fa avait une forme similaire à celle d’une oreille, ce à quoi je n’avais jamais pensé en lisant ce poème de Miron auparavant.
Se représenter des concepts abstraits
Dans un cours de philosophie, ce pourrait être un exercice très intéressant de demander aux élèves de représenter l’un des concepts du cours en une image (le stoïcisme, l’humanisme ou la notion de paradoxe, par exemple). (En l’absence temporaire de version gratuite Midjourney, il faudrait fournir aux élèves un accès à un compte payant.)
À l’opposé, vous pourriez créer vous-mêmes une image. Présentez-la aux élèves en leur demandant d’évaluer si le concept est bien représenté ou non et d’interpréter les différents symboles qui se trouvent dans l’image. Pourquoi ne pas organiser un débat?
J’ai moi-même voulu faire l’exercice d’utiliser Midjourney pour illustrer l’existentialisme. Après quelques tests, j’ai décidé de pousser la chose plus loin: j’ai demandé à ChatGPT de me fournir le texte à soumettre à Midjourney.
J’ai demandé à ChatGPT des indications textuelles que je pourrais ensuite fournir à Midjourney pour qu’il crée une illustration de l’existentialisme.
Les 4 images fournies par Midjourney à partir de la description écrite de l’existentialisme par ChatGPT.
Ensuite, j’ai retiré les indications de couleurs et de style données par ChatGPT pour ne conserver que les propositions de thèmes et les commandes graphiques.
Les 4 images fournies par Midjourney à partir de la description de thèmes et les commandes graphiques proposées par ChatGPT.
J’ai refait l’exercice avec le concept de sophisme, puis avec la philosophie nietzschéenne.
J’ai demandé à ChatGPT des indications textuelles que je pourrais ensuite fournir à Midjourney pour qu’il crée une illustration du concept de sophisme.
4 images montrant des motifs en noir et blanc: des passages carrelés en noir et blanc de façon irrégulière et inquiétante ou des labyrinthes noirs et blancs. 2 images montrent plusieurs silhouettes noires marchant dans ces espaces abstraits.
J’ai demandé à ChatGPT des indications textuelles que je pourrais ensuite fournir à Midjourney pour qu’il crée une illustration de la philosophie de Nietzsche.
Les 4 images fournies par Midjourney à partir de la description de la philosophie nietzschéenne écrite par ChatGPT.
Je trouve tous ces résultats extrêmement intéressants! Pédagogiquement, il me semble très riche de demander aux élèves, par exemple: «Pourquoi l’IA associe-t-elle l’existentialisme à une personne seule sur une plage?» ou «Pourquoi la pensée de Nietzche est-elle représentée par un homme seul au sommet d’une montagne?». Il y a certainement là matière à réflexion et à apprentissage.
Créer une affiche pour analyser un roman
Dans le cours Médias et cinéma que je donnais au Collège Marianopolis, les étudiants et les étudiantes lisaient un roman qui serait adapté ou qui avait été adapté pour le cinéma (comme Royal de Jean-Philippe Baril Guérard ou La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen). Comme travail d’analyse, je leur disais de créer une affiche pour l’adaptation cinématographique du roman. Je leur demandais de mettre un élément de leur lecture de l’avant: ce que les élèves montraient sur l’affiche devait représenter ce qu’ils et elles jugeaient important de retenir de leur lecture. Il y avait toute une réflexion sur ce qu’il fallait montrer (les personnages du roman, les thèmes abordés) et sur la façon de le montrer. Le fond et la forme avaient un sens: la typographie du texte de l’affiche, les couleurs; tout devait être choisi avec soin.
C’était une expérience vraiment riche, mais qui demandait aussi beaucoup de temps. J’amenais les élèves au laboratoire d’informatique pendant une séance de cours pour leur enseigner à utiliser Photoshop. Puis, j’invitais un photographe en classe pour qu’il explique les bases de la photographie (la technique, la composition, etc.) pour que les élèves puissent ensuite prendre des photos réussies pour leur affiche. À la fin du projet, je rencontrais chaque équipe en agissant comme le producteur du film. Je questionnais les élèves sur leur affiche pour valider leur travail d’analyse et d’interprétation.
La réflexion était très intéressante, mais ce travail imposait aussi un savoir-faire minimal chez les élèves afin de produire une affiche attrayante. Pour éviter de pénaliser les élèves moins doués à ce niveau, je leur demandais de produire un texte présentant leur intention, ce qui me permettait de les évaluer à cet égard quand l’affiche était moins réussie techniquement.
Avec Midjourney, les contraintes associées à la maîtrise des outils deviennent beaucoup plus légères. Je pourrais utiliser une seule séance de cours pour demander aux élèves d’explorer Midjourney et de décider ce qu’ils et elles veulent mettre sur leur affiche: choisir les éléments à représenter, choisir un style. Les élèves pourraient ainsi présenter une affiche sans avoir à s’approprier les outils qui étaient nécessaires auparavant. (Encore une fois, en l’absence temporaire de la version gratuite de l’outil, il faut fournir aux élèves un accès à un compte payant.)
L’utilisation de Midjourney permettrait ainsi d’économiser du temps de classe en réalisant le projet plus rapidement. Cependant, mes élèves aimaient bien s’initier à la photo et apprendre à utiliser Photoshop. Une option aurait donc été de conserver ces portions de cours, mais de tout de même commencer par leur faire utiliser Midjourney pour créer un tableau d’ambiance (mood board). Les élèves pourraient ainsi faire des tests et préciser leur idée d’affiche de film. Ils et elles pourraient tester différents concepts, différents styles, avant de prendre leurs photos et de les travailler dans Photoshop.