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25 avril 2024

Tests de concordance: une odyssée pédagogique entre théorie et pratique

Les tests de concordance de script (TCS) sont un outil prometteur pour évaluer les compétences des personnes étudiantes en Soins préhospitaliers d’urgence (SPU). Cependant, mon expérience personnelle avec ces tests révèle une réalité nuancée, faite de succès inattendus et d’échecs édifiants. Dans ce récit, je partage les constats tirés de cette aventure pédagogique, explorant l’outil et les leçons précieuses qu’il m’a enseignées.

Entre résistance et résilience: naviguer dans le dédale de la critique pédagogique

Depuis un quelque temps, j’observe une certaine réticence à la critique chez les personnes étudiantes. Des discussions avec elles révèlent une rigidité intellectuelle, un manque de souplesse de la pensée ou une possible paresse intellectuelle.

Cette observation m’a poussé à réfléchir à une modification de mon approche pédagogique pour intégrer davantage les méthodes interrogatives et de résolution de problèmes. Devais-je être plus exigeant, questionner davantage? Favoriser un cadre moins structuré, propice à la créativité et à la réflexion? Ces questionnements, sources d’incertitude, témoignent de ma recherche constante d’une pédagogie qui stimule la curiosité et développe l’esprit critique des étudiants et étudiantes.

J’ai donc choisi de modifier ma méthode d’enseignement, convaincu des bienfaits de le faire, même si certaines personnes étudiantes tolèrent difficilement l’incertitude. Après tout, enseigner la résilience est crucial dans le monde actuel, car elle est essentielle à l’intégration professionnelle et à la capacité à relever les défis modernes.

Prendre des décisions dans l’imperfection: l’art paramédical et l’innovation pédagogique

En paramédecine, il est courant de devoir prendre des décisions sans connaître la réponse exacte. Les intrants pour les calculs varient considérablement d’une intervention à l’autre. L’environnement, le temps et les patients sont autant de facteurs qui influencent les décisions du paramédic. C’est pourquoi il est essentiel d’apprendre à faire des choix, même dans des circonstances imparfaites. Transmettre ce savoir-faire constitue une gageure paradoxale, à une époque où l’imprévisibilité et l’inconnu génèrent du stress et de l’anxiété.

J’ai donc trouvé du réconfort dans mon approche pédagogique, que certains pourraient qualifier de laxiste. Cela s’est renforcé après que j’aie lu un dossier de Marie-France Deschênes sur Éductive concernant un outil parfaitement adapté à mes besoins: «Enseigner en ligne en exploitant le questionnement par concordance».

Dans un TCS, on pose aux personnes étudiantes une question au sujet d’une situation authentique ambiguë. Puis, on compare leurs réponses à celles d’experts et d’expertes ayant préalablement répondu à la même question.

Sans prétendre vous enseigner comment concevoir et évaluer un test de concordance fiable, je tiens néanmoins à partager l’expérience que j’ai vécue à l’hiver 2024. C’est avec toute ma bonne volonté que j’ai choisi d’innover dans l’un de mes cours, axé sur les soins médicaux et traumatiques en situation d’évacuation paramédicale.

Mon objectif était de développer le raisonnement clinique des personnes étudiantes à travers de courtes mises en contexte suscitant la prise de décision imparfaite. En effet, le TCS est reconnu pour améliorer le raisonnement clinique puisque sa scénarisation est intimement liée aux processus de raisonnement. La génération d’hypothèses cliniques et l’interprétation des données sont au cœur du processus clinique (Audétat et coll., 2017; Nendaz et coll., 2005).

Révolution pédagogique: l’impact transformateur du test de concordance

Wooclap: un outil convivial

Ma 1re observation est que la technologie moderne peut considérablement simplifier la création et la compilation des données pour le TCS. J’ai utilisé l’application Wooclap, qui propose un module dédié aux TCS. Grâce à un tutoriel sur YouTube, «Développer le raisonnement professionnel avec Wooclap», j’ai pu élaborer mon 1er TCS.

Capture d’écran de l’interface de Wooclap. En haut de l’écran, on lit “Une patiente ayant tout juste accouché réagit à la douleur, respire à 6/min irrégulière et est cyanosée.” En-dessous, à gauche, une boite intitulée “Si vous pensez à...” contient le texte “Vous préparez la préoxygénation en vue de l’évacuation dans les escaliers.” À droite, une boîte intitulée “Et que vous découvrez...” contient “Vous remarquez qu’elle est a [sic] une hémorragie post-partum importante et un [sic] tension à 89/60.” Au bas de l’écran, les choix de réponse et la répartition des votes des étudiants et des panélistes sont affichés. On lit “Votre hypothèse en est...”. On voit qu’environ 30% des élèves et 45% des panélistes ont dit “Très affaiblie”. 40% des élèves et 30% des panélistes ont dit “Affaiblie”. 5% des élèves et 30% des panélistes ont dit “Inchangée”. 10% des élèves (mais aucun panéliste) ont dit “Renforcée”, et 5% des élèves (mais aucun panéliste) ont dit “Très renforcée”.

L’une des questions que j’ai posées à mes élèves à l’aide de Wooclap

L’importance de la collaboration

Mon 2e constat souligne l’importance de la collaboration: pour assurer la validité du TCS, la contribution d’experts et d’expertes est indispensable. La littérature s’accorde généralement sur la nécessité d’au moins 15 experts pour garantir l’exactitude des informations (Gagnon et coll., 2005 [en anglais]). L’objectif du TCS est, après tout, de permettre une comparaison de nos résultats avec ceux des experts et expertes du domaine. Heureusement, je bénéficie d’un excellent soutien: mon département m’a apporté une aide précieuse, et plusieurs personnes enseignantes ont accepté de participer au TCS.

L’intérêt d’innover

Mon 3e constat est que cette innovation a suscité des changements parmi mes collègues. À la suite de la mise en place des TCS, de nombreuses questions m’ont été posées concernant les avantages et les objectifs de mon «expérience innovatrice». L’intérêt manifesté par mes collègues m’a conforté dans mon approche pédagogique, venant ainsi confirmer mes observations, mes hypothèses, et surtout, souligner l’importance d’accepter des réponses imparfaites.

Y consacrer le temps nécessaire

Quant à mon 4e constat, il concerne le temps alloué: une heure pour vivre l’activité avec les élèves, c’est insuffisant. Mon expérience du TCS avec les personnes étudiantes, dans le cadre d’un cours théorique d’une heure, a été très instructive. C’est à travers cette heure que j’ai le plus appris.

Ma 1re erreur a été de ne pas allouer suffisamment de temps aux instructions. J’avais initialement prévu une période de 5 à 10 minutes pour expliquer le TCS, mais, avec le recul, je constate qu’au moins 30 minutes auraient été nécessaires. Le TCS représente une approche et une philosophie d’évaluation qui ne sont pas instinctives. De ce fait, de nombreuses questions demeurent concernant l’organisation d’une telle activité et les objectifs que la personne enseignante cherche à atteindre. En conséquence, plusieurs personnes étudiantes ont perçu le TCS comme une activité désorganisée, soit en raison de sa forme novatrice et peu familière, soit à cause d’un manque de connaissance sur ce type de test.

Ma 2e erreur a été de ne pas prévoir assez de temps pour le dialogue. Après avoir répondu à une question du TCS et comparé leurs résultats à ceux des experts et des expertes, j’ai été surpris par le nombre de questions générées. C’est là un autre atout du TCS: il encourage véritablement la discussion et la rétroaction (Deschênes et Goudreau, 2020 [PDF]). À l’avenir, je ferai en sorte que le temps consacré à cette activité soit flexible. Les échanges varient significativement d’un groupe à l’autre. J’avais finalement prévu 5 questions de type TCS dans l’heure théorique et j’ai eu beaucoup de mal à finir à temps.

Au-delà du TCS: l’innovation immersive au service de la pédagogie

Après avoir achevé mon expérience pédagogique, j’ai eu l’audace de poursuivre dans cette voie et d’explorer les tests de concordance avec les personnes enseignantes du département. Je tiens à les remercier pour leur participation active: sans elles, mon apprentissage n’aurait pas été aussi riche.

Malgré les défis rencontrés, je reste convaincu des bénéfices pédagogiques du TCS. Néanmoins, certaines modifications s’imposent, et l’une d’entre elles me tient particulièrement à cœur. Dans le but de rendre l’outil plus séduisant et interactif, j’ai décidé de mettre en place une simulation immersive à 360 degrés avec un patient virtuel en attente d’une ambulance.

Les personnes étudiantes seront amenées à interagir activement avec leur environnement pour collecter le contexte et les variables qui influenceront leurs décisions dans le cadre du TCS. Cette mise en scène, qui allie le jeu ludique au TCS, vise à stimuler l’attention, la motivation et l’engagement des personnes étudiantes (Drummond et coll., 2017 [en anglais]; Girard et coll., 2012 [en anglais]).

Photo grand-angle montrant un mannequin couché sur un matelas double au sol dans une pièce qui ressemble à une chambre. (Des pièces de bois sont empilées au mur, comme si l’occupant des lieux n’avait pas encore assemblé la base de son lit.) Une personne est accroupie près du matelas et regarde la caméra. Des sacs appartenant à un ou une paramédic sont ouverts sur le matelas et au sol. Un moniteur défibrillateur est branché au mannequin. Des icônes de loupe pointent vers différents éléments de l’image (le nez du mannequin, son cœur, 2 points de l’écran du défibrillateur, etc.) Un icône “i” point vers l’intérieur de l’un des sacs. Dans un encadré blanc superposé à l’image, on lit “Votre collègue souhaite placer un MHC”.

Une image de la simulation immersive sur laquelle je suis en train de travailler

L’intégration de la technologie dans le TCS, notamment à travers l’utilisation de scénarios immersifs à 360 degrés, offre une dimension supplémentaire à l’apprentissage. Les personnes étudiantes ne sont plus de simples récepteurs passifs de l’information; elles deviennent des actrices engagées dans un processus d’apprentissage actif (Poumay, 2014). Cette immersion dans un environnement virtuel, mais crédible, prépare efficacement les personnes étudiantes à la prise de décision rapide et éclairée, une compétence essentielle dans les situations d’urgence où chaque second compte.

Ma version 2.0 du TCS, que je compte déployer à l’automne 2024, a pour objectif d’affiner le raisonnement clinique des personnes étudiantes en SPU. Ce projet s’intègre dans le cadre de ma maîtrise en pédagogie de l’enseignement supérieur au collégial à l’Université de Sherbrooke.

Forger l’avenir des SPU: l’essor du raisonnement clinique par le TCS

La mise en œuvre du TCS dans l’enseignement des SPU représente une avancée significative dans la pédagogie appliquée. En confrontant les personnes étudiantes à des scénarios réalistes et complexes, le TCS les incite à mobiliser leurs connaissances théoriques et à les appliquer dans un contexte pratique. Cette méthode d’évaluation, centrée sur le raisonnement clinique, permet de dépasser les limites des examens traditionnels en proposant une approche plus nuancée et représentative des défis rencontrés sur le terrain. Elle encourage les personnes étudiantes à développer une pensée critique et à apprendre à gérer l’incertitude, des compétences indispensables pour tout futur professionnel de la santé.

Références

Audétat, M.-C., Rieder, A. et Sommer, P. J. (2017). Comment enseigner le raisonnement clinique: un fascinant travail de détective…. Revue Médicale Suisse, 13, 981-985.

Deschênes, M. F. et Goudreau, J. (2020). L’apprentissage du raisonnement clinique infirmier dans le cadre d’un dispositif éducatif numérique basé sur la concordance de scripts. Pédagogie Médicale, 21(3), 143-157. [PDF]

Drummond, D., Hadchouel, A. et Tesnière, A. (2017). Serious games for health: three steps forwards. Advances in Simulation, 2(1), 1-8.

Gagnon, R., Charlin, B., Coletti, M., Sauvé, E., et Van der Vleuten, C. (2005). Assessment in the context of uncertainty: how many members are needed on the panel of reference of a script concordance test?. Medical education, 39(3), 284-291.

Girard, C., Ecalle, J. et Magnan, A. (2013). Serious games as new educational tools: how effective are they? A meta‐analysis of recent studies. Journal of computer assisted learning, 29(3), 207-219.

Lubarsky, S., Dory, V., Duggan, P., Gagnon, R., & Charlin, B. (2013). Script concordance testing: from theory to practice: AMEE guide no. 75. Medical teacher, 35(3), 184-193.

Nendaz, M., Charlin, B., Leblanc, V., et Bordage, G. (2005). Le raisonnement clinique : données issues de la recherche et implications pour l’enseignement. Pédagogie Médicale, 6(4), 235-254.

Poumay, M. (2014). Six leviers pour améliorer l’apprentissage des étudiants du supérieur. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 30(1), 1-18.

À propos de l'auteur

Alexandre Trépanier

Innovateur et pragmatique, Alexandre excelle dans la transformation sectorielle. Ses solutions avant-gardistes redéfinissent les standards. Convaincu que le succès naît de la collaboration, il mise sur l’intelligence collective pour des réalisations marquantes. Sa vision, alliant pensée critique et adaptabilité, fait de lui un leader dans un monde en évolution.

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Katie Duhamel
Katie Duhamel
30 avril 2024 10h02

Très intéressant Alexandre, je pense que ton expérience permet d’aller plus loin dans le développement du raisonnement clinique. Bravo!