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6 octobre 2022

Humanités en jeu – Apprentissage expérientiel par les jeux de rôle

Pour notre cours Contemporary ethical and political issues, l’un des cours de Humanities offerts au Collège LaSalle, nous avons adapté Shock, un jeu de rôle, pour y faire jouer nos élèves. C’est une façon remarquable de rendre l’apprentissage amusant et, surtout, engageant!

Nous vous partageons le matériel que nous avons utilisé pour le jeu (manuel, fiches nécessaire lors d’une partie). Vous pourrez l’adapter à vos besoins et tenter l’expérience vous aussi!

Utilisation pédagogique des jeux de rôle

La littérature (Carnes, 2018 [en anglais]; Andersen et coll., 2021 [en anglais]) suggère plusieurs avantages pédagogiques liés à l’utilisation de jeux de rôle en classe. Cela permet, entre autres, aux élèves de:

  • développer leur sens de l’empathie et de la compassion
  • surmonter leur gêne
  • augmenter leur motivation et leur implication
  • développer leur esprit critique

De notre côté, nous voyons également là une façon de limiter le plagiat pendant les évaluations. Il n’y a pas vraiment de plagiat possible, puisque chaque équipe bâtira une fiction différente.

Le jeu Shock

Shock est un jeu de «science-fiction sociale».

En équipes de 3 ou 4, les joueurs doivent décider d’un «choc» survenu dans le monde. Par exemple, ils peuvent décider que, du jour au lendemain, certaines personnes découvrent  qu’elles ont des superpouvoirs.

En équipe, les joueurs établissent une liste d’enjeux éthiques, sociaux ou politiques à traiter pendant la partie. Chaque joueur sera responsable de l’un de ces enjeux durant le jeu.

Chaque joueur incarne un «protagoniste»: un personnage affecté par l’un des enjeux ciblés . Chaque protagoniste sera opposé à un autre personnage: un «antagoniste». L’antagoniste sera interprété par le joueur responsable de l’enjeu principal qui affecte le protagoniste.

Ainsi, le jeu sera formé de 3 ou 4 histoires en parallèle qui se dérouleront dans le même monde.

Chaque joueur interprètera 2 personnages différents (un protagoniste pour un enjeu et un antagoniste pour un enjeu différent).

Le ou les joueurs qui ne sont ni protagonistes ni antagonistes pendant une histoire donnée jouent le rôle de l’«auditoire»: ils peuvent ajouter des éléments de contexte à une histoire ou interpréter des personnages secondaires si nécessaire. Ils évaluent aussi les stratégies utilisées par les personnages. Après les jets de dés, le verdict de l’auditoire peut faire pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre des personnages.

La documentation nécessaire pour jouer

Pour jouer avec nos élèves, nous avons entièrement repensé les règles originales de Shock, avec le consentement du créateur du jeu, Joshua A.C. Newman.

Nous avons déposé toute la documentation nécessaire pour jouer sur EDUQ.info:

  • la grille d’identification des enjeux
  • les fiches de description des personnages (protagonistes et antagonistes)
  • notre traduction en français du manuel de notre version simplifiée du jeu (toujours avec le consentement de l’auteur)

Tout est là pour que vous puissiez jouer, vous aussi, avec vos élèves!

Nous avons produit un tutoriel vidéo pour nos élèves (en anglais) et l’avons déposé sur YouTube.

Tutoriel en anglais pour initier nos élèves à la façon dont nous jouerons à Shock en classe. Nous expliquons les règles à travers d’une partie de démonstration.

Déroulement des parties

Autour de la 6e semaine de cours, nous présentons succinctement le jeu Shock aux élèves. Nous leur demandons de regarder le tutoriel que nous avons préparé et de lire les règles du jeu hors des heures de cours.

Puis, autour de la 9e semaine de la session, ils commencent à jouer. Nous réservons 4 cours de 3 heures pour le jeu. Étant donné que les élèves se sont approprié les règles quelques semaines plus tôt, 4 périodes de 3 heures permettent de faire en sorte que le jeu se déroule presque entièrement pendant les périodes en classe. En fin de session, alors que les élèves ont plusieurs projets à gérer dans leurs autres cours, cela leur facilite la vie et fait en sorte qu’ils peuvent apprécier l’expérience davantage.

Le 1er des 4 cours sert à former les équipes et à familiariser les élèves avec les outils employés. Les élèves travaillent en équipe sur un contrat [en anglais] pour baliser les thèmes avec lesquels ils et elles sont à l’aise et s’assurer de jouer dans un environnement sécuritaire et respectueux.

Dans les 3 cours suivants, les élèves ont suffisamment de temps pour:

  • créer l’univers de leur jeu:
    • imaginer un choc
    • identifier les enjeux
    • créer des personnages
  • jouer toutes les scènes
  • faire un travail d’analyse de leur partie:
    • Dominic demande à ses élèves de rédiger un travail écrit
    • Richard demande à ses élèves d’enregistrer une vidéo en équipe

Certains élèves ont besoin d’un peu de temps hors du cours pour compléter leur analyse, mais le travail est léger.

Une 1re expérience à distance pendant la pandémie

Les 1res fois que nous avons joué à Shock avec des élèves, c’était au début de la pandémie dans une formule à distance.

Pour permettre à nos élèves de jouer à distance, nous avons utilisé un serveur Discord (sans frais). Nous avons fourni des dés virtuels aux élèves. (Dominic a déniché un robot qui interprète les lancers de dés. Richard, pour sa part, a simplement dirigé ses élèves vers les dés de Google.)

Au Collège LaSalle, nous enseignons à plusieurs étudiants étrangers. Pendant la pandémie, plusieurs étaient très isolés. En formation générale (comme dans nos cours), les étudiants ne se connaissaient pas les uns les autres.

Les jeux de rôle ont permis de :

  • briser l’isolement
  • sortir les élèves de l’anonymat
  • initier des contacts sociaux

Cela a facilité les discussions en classe par la suite et a permis de mieux aborder les enjeux éthiques pendant le reste du cours.

En équipe, les étudiants et les étudiantes ont tissé des liens. Certains ont même formé des groupes d’étude ensuite.

Et en présence…

Avec le retour en présence, nous avons continué à jouer avec le même succès. Nous utilisons toujours Discord et des dés virtuels.

Discord nous permet d’avoir une petite idée du déroulement des parties et les dés virtuels sont fort pratiques, ne serait-ce que parce qu’ils sont silencieux et ne tombent jamais par terre! De plus, avec le robot que Dominic utilise pour les dés, il peut voir les lancers de dés sur Discord. Ainsi, quand il remarque qu’une équipe est en ligne, mais n’a pas fait de lancers depuis un moment, il peut aller les voir pour les aider à «débloquer» leur partie (leur histoire), au besoin.

3 façons d’exploiter Shock dans notre cours

Quand Dominic fait jouer ses élèves à Shock, il leur demande de se placer en groupe de 3 ou 4 et de jouer une partie. Puis, les élèves répondent à des questions d’analyse et d’introspection qui portent sur l’univers fictif qu’ils ont créé et sur les personnages qui y ont évolué. Les étudiants réalisent individuellement une analyse écrite. C’est un peu comme faire l’analyse d’une œuvre de fiction «ordinaire» (un roman ou une nouvelle), excepté que les élèves ont vraiment «vécu» dans le monde dont il est question et ont eu une relation très directe avec les personnages.

Quand Richard fait jouer ses élèves, il procède de façon similaire. Toutefois, plutôt que de leur demander un travail écrit individuel, il leur demande de produire une vidéo en équipe. Dans cette vidéo, les élèves doivent:

  • expliquer le «choc» et les enjeux qu’ils ont choisis pour le jeu
  • présenter à tour de rôle leurs personnages et expliquer ce chacun a fait.
    • Les élèves doivent identifier un choix qui était évident pour leur protagoniste et un choix qui était plus difficile. Ils et elles évalueront ce choix difficile du point de vue de l’un des penseurs célèbres étudié dans le cours.
  • répondre à quelques questions comme: « Le monde est-il un meilleur endroit après le choc? Est-il plus juste ou plus injuste?»

Notre collègue (aussi enseignant en Humanities) Brad Koldyk utilise également Shock avec ses élèves. Il se sert des paramètres de Shock (enjeux, protagonistes, antagonistes, etc.)  pour que les élèves génèrent en équipe un univers et des personnages qui feront partie d’un récit. Individuellement, les élèves rédigent un récit qui a pour lieu l’univers imaginé par leur équipe. L’objectif est d’amener les étudiants à appliquer des notions de visions du monde et d’éthique dans l’élaboration de leur récit.

Bref, il y a toutes sortes de façons d’utiliser Shock en classe!

S’assurer que le déroulement du jeu convient à tout le monde

Avant le jeu, chaque équipe rédige un contrat [en anglais] par rapport aux rôles et responsabilités des joueurs et aussi par rapport aux sujets à éviter. Ainsi, l’équipe peut décider qu’il n’y aura pas de scènes de romance pendant la partie ou pas de scène de violence contre les enfants ou les animaux, etc.

Il est arrivé que des équipes viennent nous voir, après avoir créé leur monde et leurs personnages, pour nous dire que l’idée d’avoir à jouer pour vrai (incarner les personnages, improviser, etc.) les stressait beaucoup. Nous leur avons offert d’écrire un récit (un peu comme ce que notre collègue Brad Koldyk fait avec ses élèves) plutôt que de jouer oralement, ce qui a très bien fonctionné pour eux.

Réactions des élèves

Les rétroactions que nous recevons de la part des élèves par rapport au jeu sont très majoritairement positives. Les élèves apprécient évidemment le côté ludique de l’activité. Pendant la partie, ils «embarquent» dans le jeu à 100% et ne pensent pas au travail d’analyse qu’ils auront à faire. Cela rend les travaux d’analyse plus intéressants ensuite, car les décisions des personnages étaient «authentiques» et les parallèles que les élèves découvrent entre les actions des personnages et les idées de penseurs célèbres les surprennent!

En général, les élèves aiment l’aspect novateur de l’activité, le fait que ce ne soit pas «un travail comme les autres». Évidemment, il n’est pas rare que des élèves soient un peu anxieux en début de session quand ils apprennent que le projet de session sera de jouer à un jeu de rôle. Ça sort plusieurs étudiants de leur zone de confort. Toutefois, ils sont vite rassurés quand ils comprennent que ce n’est pas leur habileté à incarner un personnage qui sera évaluée, mais plutôt l’analyse qu’ils font des décisions des différents personnages. Les élèves les plus réticents au départ sont souvent les plus enthousiastes à la fin de la session!

Nous avons donné la piqûre du jeu de rôle à plusieurs élèves! Un étudiant a demandé à Richard «la permission» de jouer à Shock avec ses amis autour d’une bière un soir… Nous avons transmis certains commentaires d’étudiants au créateur du jeu Shock et il en est ravi!

Pourquoi Shock? Conseils pour choisir un jeu de rôle à utiliser en classe

Dans Shock, il n’y a pas de maître de jeu. Tous les joueurs sont à la fois maîtres de jeu et joueurs.

Si vous êtes à la recherche d’un jeu de rôle auquel jouer avec vos élèves, nous vous recommandons d’en choisir un comme Shock, sans maître de jeu, ou alors un jeu dans lequel le rôle du maître de jeu est très simple (sans scénario à préparer). Cela facilite la tâche aux élèves néophytes en matière de jeux de rôle.

Choisissez également un jeu assez court, avec une histoire qui a un début, un milieu et une fin. (Pas comme les parties de Donjons et Dragons qui peuvent s’étaler sur 30 ans!)

Une partie de Shock est constituée d’une succession de scènes structurées autour de différentes paires de personnages. Ainsi, personne ne risque de monopoliser la conversation. Le projecteur passe de personnage en personnage. Les personnes plus volubiles peuvent faire des suggestions aux autres, mais chacune doit prendre ses propres décisions dans le jeu. C’est parfait pour répondre à nos besoins pédagogiques!

D’autres jeux de rôle intéressants

Misspent Youth

Dominic a expérimenté un autre jeu dans le cours: Misspent Youth [en anglais].

Dans ce jeu également, les joueurs et joueuses créent en commun un univers fictif. Un des joueurs incarne l’«autorité»: la personne, la chose ou l’idée qui a fait du futur une dystopie. Les autres joueurs et joueuses incarnent des adolescents qui forment un groupe de rebelles.

La structure du jeu est claire et épisodique. Les personnages sont essentiellement décrits de manière qualitative.

Avant de rejouer à Misspent Youth avec ses élèves, Dominic attend la sortie de la nouvelle édition du jeu qui est en préparation. Autrement, il aime alterner les jeux d’une session à l’autre pour varier un peu!

The Bloody-Handed Name of Bronze

Dans un autre cours de Humanities, World Views, Dominic utilise le jeu The Bloody-Handed Name of Bronze [en anglais].

Dans ce jeu, les joueurs et joueuses incarnent un héros ou une héroïne de l’âge du bronze. Le déroulement du jeu mène à la création d’histoires qui s’apparentent aux mythes de style biblique.

Dans son cours, Dominic demande aux élèves d’adapter le jeu pour exprimer une autre «vision du monde» (world view). Ainsi, ils font plus que jouer à un jeu; ils conçoivent (design) un jeu! La réponse des élèves est encore meilleure dans ce cours que dans celui où nous jouons à Shock!

Nous avons déposé des tutoriels sur The Bloody-Handed Name of Bronze (Bronze, pour les habitués) sur notre chaîne YouTube.

D’autres contextes d’utilisation du jeu

Notre collègue Sébastien Patry, qui enseigne la philosophie dans notre collège, a implanté lui aussi Shock dans le 3e cours de philosophie, Éthique et politique.

Dans les prochaines semaines, nous allons animer des ateliers auprès d’enseignants de philosophie d’un autre collège pour leur présenter Shock et notre démarche.

Les jeux de rôle peuvent être intéressants dans d’autres cours que ceux de Humanities ou de philosophie! Ceux-ci pourraient très bien s’insérer, par exemple:

  • dans les cours de langue seconde (et en particulier les cours d’immersion)
  • dans certains cours de sciences humaines ou d’administration
  • etc.

La clé (et la difficulté) est de trouver des jeux qui sont liés à la matière que vous enseignez. Nous, nous avons la chance de connaître un très grand nombre de jeux. N’hésitez pas à nous contacter et à nous parler de votre besoin pédagogique. Nous ferons de notre mieux pour vous conseiller un jeu qui y répond! Ce ne sont pas les jeux qui manquent…

Des projets pour l’avenir

Nous aimerions beaucoup étendre l’utilisation de jeux de rôle à d’autres cours du collégial. Et pas seulement les nôtres! Nos démarches avec les enseignants et enseignantes de philosophie nous enchantent. Nous espérons que vous serez plusieurs à nous contacter pour nous parler de votre contexte d’enseignement et pour discuter de l’intégration de jeux de rôle.

Dans notre collège, nous avons animé 2 ateliers lors d’une journée pédagogique au printemps 2022. En avant-midi, nous avons présenté notre démarche pédagogique, un peu comme nous l’avons fait ici dans ce récit. Puis, en après-midi, nous avons joué à Misspent Youth pour vrai avec 4 volontaires (les autres participants et participantes de l’atelier formaient l’auditoire). Tout le monde a vraiment «embarqué».

Il faut vivre un jeu de rôle (comme joueur ou spectateur) pour bien comprendre à quel point ça peut être utile en enseignement! Et, au-delà de ça, jouer à un jeu de rôle avec des collègues enseignants est aussi une excellente activité de consolidation d’équipe (team building). Il n’y a que du positif à l’essayer!

Alors, qu’attendez-vous? Consultez le matériel du jeu Shock tel que nous l’avons adapté pour jouer en classe (en français et en anglais), visionnez notre tutoriel et, surtout, n’hésitez pas à nous écrire si l’intégration pédagogique d’un jeu de rôle vous intéresse!

À propos des auteurs

Dominic Claveau

Dominic Claveau est diplômé de l’Université Laval en philosophie en 2006. Il enseigne la philosophie et les Humanities au Collège LaSalle depuis 2010. Ses principaux champs d’intérêts sont la philosophie politique, l’épistémologie, ainsi que la convergence des 2 au sein de la philosophie de l’éducation. Passionné de jeux de rôles, il a découvert ce hobby il y a presque 30 ans. Après en avoir essayé plus d’une centaine, il se lance maintenant dans la conception de jeux de rôle autant pour le divertissement que dans un contexte de l’enseignement.

Richard Fortier

Richard Fortier est enseignant au Collège LaSalle depuis 2010. Il enseigne les Humanities en formation générale et la psychologie sociale en Sciences Humaines

Il est détenteur d’un diplôme en Comportement organisationnel obtenu à l’Université McGill. Il a également réalisé des études libres en histoire et journalisme. Il possède un diplôme de 2e cycle en enseignement collégial de l’Université Laval.

Il s’intéresse à la philosophie politique, à la psychologie morale, à l’influence sociale et aux médias.

Richard Fortier est passionné de jeux de rôles depuis son enfance.

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