Perception et mise en œuvre d’un processus d’innovation – Synthèse 1/2
Inno.. quoi ? Innovation !
Oui, l‘innovation est un terme qui souvent prête à confusion. Pour certains, elle s’exprime par l’adoption d’un outil existant ou d’une approche existante, mais nouvelle dans le milieu, pour d’autres, elle signifie un changement radical, voire une révolution. Entre ces deux visions extrêmes de l’innovation, il y a cependant un espace pour une très grande variété de changements et d’actions que l’on peut qualifier d’innovantes. Le manuel d’Oslo [1] de l’OCDE nous dit qu’une innovation, c’est la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré […] d’une nouvelle méthode dans les pratiques […]. Nous retenons de cette définition deux points importants :
- Une innovation est une nouveauté ou une amélioration sensible d’un produit, service ou procédé existant.
- Pour dire qu’il y a innovation, il faut qu’elle ait été mise en œuvre et appropriée.
Examinons de plus près chacun de ces points. Il existe deux grandes catégories d’innovations : les innovations dites radicales et les innovations incrémentales. L’innovation radicale impose souvent des changements très importants dans nos méthodes, dans nos façons d’accomplir certaines tâches. Lorsqu’elle se produit, elle peut générer des changements de paradigmes. Notre environnement, notre perception du monde, celle de notre travail et de nos relations en sont modifiés. Toutefois, la majorité des innovations sont de type incrémental. Elles produisent des changements plus ou moins importants, mais significatifs, qui améliorent les produits, les services ou les pratiques. À cet égard, il est important de ne pas confondre innovation et révolution. Bien que ces dernières puissent être liées à l’occasion, l’innovation, au quotidien, revêt un caractère beaucoup plus progressif.
L’innovation est aussi de plus en plus complexe. Elle transcende les frontières de plusieurs disciplines. C’est la rencontre des expertises pour un partage des idées. C’est d’abord une question de communications intra et interorganisationnelles. Elle est tributaire de la capacité d’ouvertures, de cocréation et de coconstruction des différents partenaires entre eux ainsi que de leur créativité.
Elle rencontre plusieurs obstacles. Le premier et sans doute le plus important, c’est la confiance que doit porter chaque individu en sa propre créativité. L’innovation c’est insécurisant, car exposer au grand jour des idées, « discutables ou non conformes aux règles et aux dogmes acceptés », peut nous donner une impression de vulnérabilité. Il faut franchir ces obstacles et ne pas s’arrêter en raison d’un contexte qui nous modèle, nous paralyse à l’occasion et qui est tenu pour acquis. Toutes ces conditions exigent une capacité d’adaptation continue et une ouverture au changement de la part de tous les intervenants et des utilisateurs dans le processus d’innovation.
Vision et engagement institutionnel
Parmi les éléments essentiels d’une organisation et de l’innovation, la formalisation d’une mission et d’une vision de son développement arrive en tête de liste. Une vision commune et partagée par tous les intervenants au processus d’innovation, pour le moyen et le plus long terme, facilite la prise de décision. Chaque individu possède l’information sur les directions à privilégier, la part de risques qui peuvent être assumés et l’ouverture allouée à l’expérimentation. L’innovation s’inscrit dans une continuité et exige un ancrage organisationnel et institutionnel incontournable. C’est une décision stratégique qu’il faut prendre et être conscient qu’il faudra y consacrer les ressources.
Un processus à apprivoiser
Souvent, l’innovation passe par les communautés de pratiques. Elle mobilise la communication, la création de nouvelles idées et l’entraide. Il faut créer un terrain fertile et le rendre favorable à l’éclosion des idées et leur mise en œuvre. La structure des organisations, une culture de l’innovation et le leadership exercé par les cadres supérieurs et la direction contribuent à créer ce climat de confiance où les idées circulent librement et où le droit à l’erreur est reconnu et accepté.
Il n’y a pas de début qui soit trop modeste. Aussi petit que puisse être un changement, il peut croître, se répandre, fertiliser de nouvelles idées. Lorsqu’en cours de développement, des idées intéressantes surgissent, des résultats inattendus se présentent, il est important de revoir les perspectives, les possibilités et les risques du projet. Il faut éviter de persister si l’évidence suggère l’abandon. Il est préférable de changer de direction, d’accepter l’erreur ou l’échec et de se réorienter vers des projets offrant de meilleures perspectives.
Une occasion d’apprentissage
L’innovation est également un processus d’apprentissage. C’est l’occasion d’apprendre de l’expérience et de s’interroger sur la pertinence des consignes de travail. Dans le premier cas, l’apprentissage par l’expérience nous conduit davantage à adapter nos méthodes de travail ou nos ressources pour rencontrer les consignes et les objectifs fixés. Dans le deuxième cas, les enjeux sont beaucoup plus importants. Il ne s’agit plus simplement de corriger des écarts ou des erreurs pour une consigne déterminée, mais bien de remettre en question la consigne elle-même. Est-ce que l’on fait réellement la bonne chose pour atteindre nos objectifs ? Bien sûr, un tel questionnement dérange. Il bouscule les habitudes, les modèles d’actions ancrées dans des routines et il exige d’accepter le changement.
Démarrage d’un projet d’innovation
Qui est responsable de l’innovation ? Posez la question et vous verrez sans doute des ????? dans les yeux de la plupart des individus en milieux organisationnels ou institutionnels. C’est comme si on déléguait toujours à quelqu’un d’autre la responsabilité d’innover, le plus souvent ceux qu’on appelle les décideurs, les cadres ou les gestionnaires. Une culture institutionnelle orientée vers l’innovation doit être présente avec une ouverture d’esprit qui encourage l’exploration. Une culture en mesure d’accepter les risques et que certains projets puissent être abandonnés en cours de route ou échouent. En soi, l’idée est de lancer un plus grand nombre de projets et de mettre fin, très tôt, à ceux qui n’offrent pas de bonnes perspectives. Sur l’ensemble des projets, certains prendront leur envol et compenseront largement les efforts investis dans ceux qui n’ont pas donné les résultats attendus. Si cette culture existe, tout le personnel se sentira interpellé et concerné par l’innovation. Ultimement, il s’opérera un changement de perspective et un changement de valeurs. Chacun aura le devoir de s’engager dans l’animation de son milieu dans le but de répondre positivement au démarrage de projets d’innovation.
La formulation du problème
La perception du problème à résoudre est souvent abordée par la recherche immédiate de solutions. Le risque d’une telle démarche est de chercher à soulager un symptôme et non de résoudre le problème sous-jacent. La partie la plus complexe, au départ, c’est toute l’analyse du problème. Un énoncé de vision du problème doit être formulé, clarifiant les intentions et les objectifs à atteindre.
La prochaine étape est l’analyse elle-même du problème. Comment peut-on retravailler le problème ? Quelles seraient les diverses façons de l’aborder ? Quels obstacles devrons-nous franchir ? Il s’agit ici de formuler le défi à relever de façon à ce que l’on puisse passer à une étape de génération d’idées.
Préparer et suivre l’innovation
Un processus d’innovation ne peut pas être dissocié d’un processus de recherche. L’innovation doit se faire dans un cadre général d’une démarche de considération scientifique, c’est important. Il faut donc se donner des objectifs initiaux, les rendre explicites pour tous les intervenants et se donner des mécanismes de suivi en cours de réalisation, des indicateurs confirmant l’atteinte de ces objectifs-là. C’est un processus qui exige, comme tout autre projet d’ailleurs, d’élaborer un cadre de gestion et d’en assurer le suivi des budgets et du calendrier de réalisation. Chaque intervenant est alors consulté sur la programmation des travaux et sa participation mieux intégrée au projet. L’innovation n’est pas un processus linéaire. Ce sont des cycles que l’on revoit et sur lesquels se construit graduellement l’objectif du projet. Souvent, on découvrira des résultats inattendus pour des usages intéressants, mais imprévus. L’innovation n’est pas un acte purement créatif. C’est un processus, elle se réalise selon un certain cheminement et elle engendre des responsabilités à l’égard des intervenants et des énergies qui ont été investies dans un projet. Un esprit de collaboration, de respect et de confiance est très important à maintenir.
Une approche de documentation, une partie qui est trop souvent négligée dans le domaine de l’innovation, est essentielle. La documentation doit se faire sur tous les projets. Petits ou plus importants, une revue de projet et un rapport s’imposent à la fin. Et, lorsque l’on obtient des résultats encourageants, il faut célébrer les bons coups. Il n’y a rien de plus motivant pour une équipe que de savoir qu’elle a réussi et que cette réussite est reconnue et partagée par ses pairs.
L’engagement des acteurs
Un projet d’innovation se réalise difficilement en solo. C’est d’abord et avant tout un travail d’équipe, de communication, de partage d’idées, de mise en commun d’expertises diverses, complémentaires et souvent transdisciplinaires. Le responsable du projet doit soutenir et motiver chacun des acteurs impliqués et adopter envers ceux-ci une approche inclusive. Dans la recherche de solutions, parmi les acteurs impliqués et pour qu’un utilisateur s’approprie l’innovation, ce dernier doit être consulté dès le départ. Personne d’autre que l’utilisateur potentiel lui-même ne connaît mieux ses propres besoins.
Tous les autres acteurs dans l’élaboration de la solution innovante sont aussi importants. Il ne s’agit pas de leur signifier simplement que leur contribution est nécessaire, mais plutôt, de les impliquer dans la démarche et la recherche des solutions. Comment voyez-vous le projet, qu’est-ce que vous en pensez, quelles peuvent être vos interventions, votre participation ? Donc, les impliquer, les intégrer et construire le projet avec eux. Ce sont des parties prenantes essentielles au bon fonctionnement du projet. Les différents intervenants s’impliqueront d’autant plus s’ils perçoivent l’appui et la confiance accordée à l’équipe de projet.
Et la résistance ?
L’innovation dérange parfois et bouscule l’ordre établi. Elle n’est pas toujours perçue comme un avantage ou un progrès vers une meilleure situation. Chaque personne porte en elle une culture, une culture globale et partagée par un ensemble d’individus ou une population, mais également une culture plus personnelle avec son propre système de valeurs et de croyances. Dans ces conditions, l’innovation qui exige un changement de comportement peut parfois être perçue comme un conflit avec le milieu ou la culture dans laquelle s’insère un individu. Elle devient une source de résistance et génère son lot de détracteurs. Il faut être conscient que ces détracteurs (ou résistants) sont souvent les porte-parole d’une culture et d’un milieu social et que d’autres personnes vont les appuyer. Il faut donc se préoccuper du milieu duquel est issu ce détracteur et quel type de pression, personnelle, ou comme représentant d’un groupe, il subit. Souvent, les détracteurs ne seront pas systématiquement contre l’innovation. Ils ont peut-être mal compris les enjeux. Ils peuvent interpréter le changement comme un obstacle à leur liberté de choix ou d’actions. Il est important de clarifier les intentions de l’innovation et d’inclure les détracteurs dans la démarche vers son implantation. Évidemment, certains auront plus de difficultés à s’adapter. Dans de tels cas, plutôt que de focaliser sur un seul but, dans une seule direction, on examine les solutions de rechange, les autres voies, celles qui font en sorte qu’un plus grand nombre de personnes vont être incluses dans le processus. Il faut leur trouver une place, précisant qu’il y aura des changements dans les routines et méthodes de travail, mais qu’avec le temps, en agissant de telle ou telle autre façon, la tâche en sera facilitée.
Offrir et vendre son innovation
Un aspect qui peut paraître plus commercial en milieu institutionnel, c’est le volet marketing d’un projet d’innovation. Lorsqu’il est réalisé, il faut vendre les résultats à l’utilisateur, les diffuser, les faire connaître. Si l’on veut faire rayonner un projet et que ses résultats soient implantés, il faut en piloter la diffusion, en faciliter l’adoption, y consacrer les efforts et les ressources nécessaires. Il ne faut pas s’imaginer que les gens vont s’approprier une innovation sans qu’on en parle, sans qu’on fasse l’effort d’aller frapper aux portes pour la présenter. Il y a aussi une autre responsabilité que l’on porte lorsqu’on réalise des projets d’innovation. Très souvent, ceux-ci sont réalisés avec une participation de fonds publics. Il incombe donc aux innovateurs une responsabilité de les faire connaître pour que d’autres puissent par la suite en profiter, ou encore, favoriser de nouvelles collaborations pour des projets.
[1] OCDE, (2005), Manuel d’Oslo, Principes directeurs pour le recueil et l’interprétation des données sur l’innovation, 3e édition, 188 p.
Merci Émilie de nous offrir une chronique de si belle qualité. Tu fais le lien entre objectif pédagogique, approche pédagogique et technologie, tout cela avec moult exemples tirés de la réalité collégiale et des ressources pour aller plus loin. Chapeau !
Félicitations à Émilie pour avoir su regrouper les expériences dans le réseau collégial. Les ressources présentées seront très utiles pour les conseillers TIC et les enseignants.