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21 novembre 2024

Renouveler les cours de littérature au Cégep Limoilou

Au Cégep Limoilou, le Département de littérature a entamé une réflexion approfondie sur ses méthodes d’enseignement et revu en profondeur ses plans-cadres pour axer ses cours sur le développement de la littératie et faire plus de place au plaisir d’apprendre et d’enseigner ainsi qu’à la subjectivité des élèves!

Ce travail de fond a été entamé en 2022 par mon collègue Richard Duchaine, qui coordonnait le Département à l’époque.

Ce qui a mis ce train en branle, ce sont les constats que nous avons dressés à propos des compétences en lecture de nos élèves, après l’implantation d’un projet d’accompagnement individuel pour les élèves en difficulté. Nous avons réalisé que nous tenions pour acquis que nos élèves étaient plus habiles en lecture qu’ils et elles ne l’étaient réellement. Nous avons décidé de remettre en question l’approche traditionnelle utilisée pour l’enseignement de la littérature pour

  • inclure l’enseignement de stratégies de lecture
  • pratiquer un enseignement impliquant la coconstruction du sens par le biais d’échanges et de discussions
  • envisager d’autres façons d’analyser des textes littéraires que la rédaction d’une analyse littéraire ou d’une dissertation
  • donner une place à la posture subjective chez l’élève
Table des matières

L’élément déclencheur: l’Accompagnement individuel en littérature (AIL)

Au cégep, on s’attend à ce que les élèves soient plus autonomes qu’au secondaire. En littérature spécifiquement, les tâches demandées aux élèves se distinguent de celles qu’ils et elles devaient réaliser dans leurs cours de français au secondaire. Au cégep, on s’attaque à l’interprétation des textes, aux intentions des auteurs et autrices, mais surtout aux propos qui émergent des textes littéraires. Ça demande beaucoup d’efforts pour certains élèves.

La transition du secondaire au collégial est donc difficile pour plusieurs. En 2021, le Département de littérature a mis en place un projet novateur pour accompagner les élèves en difficulté du point de vue du contenu des cours de littérature: le projet d’Accompagnement individuel en littérature (AIL).

Des besoins individuels variés relativement à la littératie

L’idée de l’AIL vient du fait que ce ne sont pas tous les étudiants et toutes les étudiantes qui ont les mêmes besoins. Ainsi, dans le cadre de l’AIL, depuis l’hiver 2021, 3 enseignants et enseignantes volontaires ont été libérés d’une partie de leur tâche d’enseignement (1 ETC au total) pour organiser des rencontres en grand groupe en début de session pour informer les élèves sur les cours de littérature. Ensuite, ils rencontrent des élèves individuellement chaque semaine afin de répondre à leurs besoins spécifiques sur le plan de la littératie.

Le but premier de l’AIL est d’amener les élèves à comprendre le sens des textes qu’ils et elles ont à lire, des textes qui sont plus complexes au cégep qu’au secondaire. Les sujets abordés peuvent être variés:

  • Comment lire?
    (Objectif de lecture, durée d’une séance de lecture, installation, etc.)
  • Quelles sont les questions à se poser?
    (Qui? Quoi? Où? Quand?)
  • Comment annoter un texte?
    (texte court ou texte long)
  • Comment identifier et contourner les obstacles à la compréhension?
    (biais de lecture, informations à compléter)
  • etc.

L’AIL a aussi pour but d’aider les élèves à comprendre le processus de rédaction d’un texte:

  • analyse de la question
  • recherche et organisation des idées
  • formulation des idées
  • explication des idées
  • cohérence textuelle
  • etc.

Certains élèves ont rencontré l’enseignant ou l’enseignante qui les accompagnait 8 ou 10 fois, d’autres 4 ou 5 (et d’autres 1 seule fois, en constatant qu’ils et elles n’avaient pas besoin du service ou que cela ne les intéressait pas). La personne enseignante qui les rencontre pour l’AIL n’est pas nécessairement celle qui leur donne leur cours de littérature.

J’insiste sur le fait que ces rencontres ne portent pas sur les notions de grammaire et d’orthographe: pour les notions en lien avec la maîtrise de la langue, les élèves peuvent se rendre au Centre d’aide en français du cégep et bénéficier de tutorat s’ils et elles le désirent. Ici, avec l’AIL, il s’agit vraiment d’aider les élèves à comprendre ce qu’ils et elles lisent et à rédiger un texte.

Pour répondre aux besoins de chaque personne, les enseignants et enseignantes responsables de l’AIL préparent chaque semaine des activités spécifiques à faire avec chaque élève qu’ils et elles suivent. Pour bien diagnostiquer les besoins, ces enseignants et enseignantes, avec le consentement des élèves, peuvent discuter avec leurs enseignants ou leurs enseignantes titulaires. Par exemple, si un enseignant d’Écriture et littérature constate qu’une étudiante a de la difficulté à interpréter les textes, l’enseignante qui fait l’AIL peut développer un atelier pour ce besoin.

Pendant les rencontres individuelles hebdomadaires, les enseignants et enseignantes responsables de l’AIL réalisent plusieurs courtes analyses de textes avec les élèves. Ils et elles décortiquent les textes (et les phrases) étape par étape.

Exemples de textes utilisés dans le cadre de l’AIL 

  • Incipit de Véra de Villiers de l’Isle-Adam
  • Incipit de Germinal d’Émile Zola
  • Extrait du Horla de Maupassant
  • Extrait du Château des Carpathes de Jules Verne
  • Nouvelle «Ça» de Monique Proulx (Les Aurores montréales)
  • Extraits du recueil Nouvelles d’une page publié par XYZ (2019)
  • Chansons et poèmes

Des résultats qui dépassent nos attentes

Les résultats de l’AIL ont vraiment dépassé nos espérances: jusqu’à maintenant, tous les étudiants et toutes les étudiantes qui ont entrepris et suivi un cheminement ont réussi leur cours de littérature. Pourtant, certains et certaines avaient déjà vécu 2 ou 3 échecs dans ce même cours.

Chaque enseignant et enseignante responsable de l’AIL accompagne environ 6 à 8 élèves par semaine. Au total, à l’échelle du collège, ce n’est qu’un petit nombre d’élèves qui profitent du service, mais ceux et celles qui participent en bénéficient vraiment! J’ai la conviction que ce sont des élèves qui auraient peut-être abandonné autrement, mais qui, grâce à l’AIL, réussissent. À mon sens, l’investissement en vaut largement la chandelle!

Constats à la suite de l’AIL

L’AIL a permis aux enseignants et enseignantes impliqués de formuler des constats qu’ils et elles ont communiqués au Département.

Parmi ces constats, l’un des plus frappants a été que les difficultés de lecture d’œuvres littéraires sont plus importantes et plus répandues que nous le pensions. Plusieurs élèves peinent à décoder des textes. Ce n’est pas parce qu’une personne sait lire les mots d’un texte qu’elle comprend vraiment le sens des phrases. Par exemple, plusieurs peuvent avoir de la difficulté à identifier l’antécédent du pronom «il» dans une phrase donnée; ils et elles ne font pas nécessairement les liens qu’il faut entre les phrases (ou les vers!) d’un texte.

Malgré les cours, plusieurs personnes étudiantes se sentent dépourvues devant le travail à faire. Elles ont:

  • des difficultés d’organisation
  • un manque de méthodologie de travail
  • un manque d’autonomie  

Nous avons compris qu’un enseignement plus spécifique de stratégies de lecture permettant de comprendre le sens de textes littéraires serait extrêmement pertinent dans le 1er cours de littérature de la séquence (Écriture et littérature), pour tous les étudiants et toutes les étudiantes. Nous pourrions ainsi nous assurer que des connaissances de base en littératie seraient enseignées à tout le monde. Du même coup, nous ferions en sorte que les élèves occupent une plus grande place dans l’interprétation d’une œuvre en grand groupe, par le biais de discussions et d’échanges auxquels ils et elles prendraient part activement.

Cependant, l’aspect individuel de l’AIL est sans contredit l’une de ses grandes forces. Nous avons donc choisi de maintenir ce soutien, qui répond à des besoins spécifiques et, surtout, qui a un impact majeur sur la réussite en début de parcours des élèves qui rencontrent des difficultés importantes en littérature.

Enseigner les stratégies de lecture en classe

Ainsi, l’implantation de l’AIL a été pour notre département l’occasion de réaliser à quel point nous tenions les compétences en lecture de nos élèves pour acquises. Nous nous sommes demandés si, au-delà des élèves en grande difficulté qui participent à l’AIL, il n’y aurait pas matière à améliorer nos cours pour mieux répondre aux besoins de tous les étudiants et de toutes les étudiantes. Pourrait-on repenser la façon de concevoir nos cours (souvent orientés sur les notions d’histoire littéraire et la lecture d’œuvres complexes)? Nous avons convenu que nous pourrions avoir tout à gagner à travailler davantage les stratégies de lecture et d’analyse et à renouveler certains aspects de nos cours.

En mettant davantage l’accent sur les stratégies de lecture, nous voulions:

  • développer et intégrer une méthode de lecture du texte littéraire qui soit transférable dans les autres cours de littérature, voire dans d’autres cours de la formation générale ou même spécifique
  • favoriser l’autonomie dans la construction du sens d’une œuvre littéraire

Cela pourrait aussi être une façon de développer le plaisir de lecture et le sentiment de compétence de l’élève devant un texte littéraire. Et, pourquoi pas, cela pourrait même augmenter le plaisir d’enseigner, en analysant des œuvres avec des étudiants et des étudiantes plus engagés dans leur processus de lecture!

Une formation offerte par Catherine Bélec au sujet des stratégies de lecture

Parallèlement à l’implantation de l’AIL, nous avons eu la chance, dans notre département, d’avoir une formation offerte par Catherine Bélec, chercheuse (ELLAC) et enseignante de littérature au Cégep Gérald-Godin. Ses travaux – qui sont majeurs – portent entre autres sur les stratégies de lecture, dont elle est venue nous entretenir. Cela a évidemment été très pertinent pour les enseignants et enseignantes impliqués dans le projet d’AIL, mais aussi pour tout le Département puisque cela a contribué à changer notre perspective, nourri notre réflexion et fourni de nombreux outils pour l’intégration de l’enseignement des stratégies de lecture à nos cours.

C’est Richard Duchaine, ancien coordonnateur, qui a instigué un projet-pilote pour faire l’essai d’une version renouvelée du cours Écriture et littérature. Dans cette version, on permettait plus de souplesse dans les évaluations. Par exemple, il était possible d’évaluer l’analyse d’une œuvre par le biais d’un autre type d’évaluation que la rédaction d’une analyse littéraire. Il s’attendait à ce que 3 ou 4 personnes soient volontaires pour explorer de nouvelles voies, mais ce sont neuf enseignants et enseignantes (moi y compris) qui ont levé la main (sur la quinzaine qui donnait le cours cette session-là).

Renouveler le cours Écriture et littérature

Donc, pendant la session d’expérimentation à l’automne 2022, nous avons travaillé à partir d’un plan-cadre temporairement modifié.

Traditionnellement, dans le cours Écriture et littérature, ce qui est demandé aux étudiants et aux étudiantes, c’est de lire un texte, puis de produire un texte qui en parle. C’est principalement le métadiscours – fruit d’une analyse – qui est évalué dans les cours. Ce qu’on appelle une «analyse littéraire», au cégep, ce n’est pas l’action d’analyser un texte, c’est le texte qui fait le compte-rendu de cette action. Or, la compétence du cours Écriture et littérature, c’est «Analyser des textes littéraires», mais cela n’impose pas, a priori, un médium pour le compte-rendu qui est fait de l’analyse. Oui, certains éléments de compétence et critères de performance qui figurent dans le devis ministériel du cours se rattachent à la rédaction d’un texte suivi de 700 mots divisé en paragraphes. Cependant, cela ne signifie pas que la majorité des évaluations du cours doivent prendre la forme d’une rédaction d’un compte-rendu de 700 mots.

Se concentrer sur le paragraphe d’analyse plutôt que sur un long texte

En fait, pour amener nos élèves à rendre compte de la lecture analytique d’une œuvre littéraire, nous avons choisi de nous concentrer sur la structure de base d’un paragraphe de développement (une idée est énoncée et justifiée par des exemples tirés du texte; les liens entre l’idée et les exemples sont expliqués). Nous voulions insister sur la distinction entre une idée (dégagée de l’œuvre) et un exemple (une illustration de l’idée). Nous voulions aussi mettre l’accent sur l’explication du propos du texte en lien avec sa forme, mais en élargissant l’éventail d’aspects formels à observer.

Avant, pour aider les élèves à comprendre un texte, nous faisions beaucoup de place à l’enseignement des figures de style, sur lesquelles les élèves devaient appuyer leurs idées. Maintenant, nous abordons le texte de façon plus globale, en s’intéressant d’abord et avant tout au sens du texte et à son propos.

Une métaphore peut être extrêmement pertinente pour analyser un texte, mais il peut aussi y avoir autre chose de plus évocateur qu’une métaphore de trois mots. Par exemple, l’élève peut appuyer son analyse sur le contenu d’un dialogue qui est à l’intérieur du texte ou alors, sur la structure narrative globale du texte, si cela permet de mieux rendre compte du propos.

Nous avons donc ouvert l’éventail des aspects formels que l’élève peut analyser quand il ou elle étudie une œuvre, pour y inclure:

  • la structure
  • le genre et les caractéristiques qui lui sont propres
  • les tonalités
  • les actions
  • les personnages
  • les descriptions
  • les dialogues
  • le cadre spatiotemporel
  • la narration
  • les procédés langagiers

Des évaluations variées

Dans notre nouveau plan-cadre pour le cours Écriture et littérature, nous imposons que l’évaluation finale prenne la forme d’un compte-rendu d’analyse littéraire, une rédaction d’au moins 700 mots.

À part l’évaluation finale (rédaction de 700 mots), les autres évaluations du cours peuvent prendre des formes variées. À titre d’exemples, des enseignants et enseignantes peuvent proposer:

  • une discussion de groupe en classe au sujet de l’œuvre étudiée
    Un travail préparatoire est souvent exigé pour s’assurer que tout le monde puisse contribuer à la discussion.
  • la rédaction d’une lettre à un personnage
    Si l’élève est capable d’écrire une lettre cohérente avec les événements du texte, la personnalité du destinataire, le niveau de langue des personnages dans le texte, etc., on est capable de voir qu’il ou elle a compris les enjeux du texte.
  • de créer un «tout sur une page» pour résumer l’information relative à un texte.
    Les élèves schématisent les concepts importants, un peu à la manière d’une carte conceptuelle. Ils doivent ajouter une dimension artistique, ou du moins créative, à leur travail pour le rendre unique. Moi, j’ai demandé à mes élèves de le faire pour Boule de suif de Maupassant. Il y a des élèves qui ont dessiné la carriole dans laquelle une bonne partie de l’action se déroule. Ils et elles ont indiqué les noms des personnages, les thèmes et les éléments clés de l’histoire, comme le schéma narratif ou des citations marquantes. Et tout ça, sur une seule page, sur laquelle ils ont mis leur touche personnelle.

    Exemple du travail «tout sur une page» réalisé par une personne étudiante

    Autre exemple du travail «tout sur une page» réalisé (en 2 pages!) par une personne étudiante

  • un journal de lecture
    Tenir un journal de lecture est un exercice assez costaud (et le résultat est long à corriger également!), mais ça en vaut la peine.

    Personnellement, pour que la charge de travail soit gérable pour mes élèves comme pour moi, je l’ai fait faire sur un  roman graphique (Le petit astronaute de Jean-Paul Eid). On a convenu en Département de privilégier la lecture de textes brefs en 101, pour se permettre d’enseigner les stratégies. Ça aide! Je me dis que si l’élève effectue le travail de manière très détaillée une fois pour une œuvre donnée, après il ou elle sera capable de réutiliser l’outil au besoin. En somme, le but est que les stratégies enseignées soient transférables. On veut présenter aux élèves des outils qu’ils et elles pourront réutiliser de façon autonome et qu’ils et elles développent une méthode de lecture qui s’appliquera à n’importe quelle œuvre littéraire par la suite. Autrement dit, plusieurs enseignent une sorte de méthode de lecture, plutôt que de poser des questions spécifiques portant sur une œuvre.
    La formule du journal de lecture que j’ai de mon côté choisie s’inspire largement des travaux de Catherine Bélec [PDF] (un exemple est donné par la chercheuse [PDF]).

Bref, il y a toutes sortes de moyens d’analyser un texte littéraire qui se distinguent des classiques rédactions «introduction-développement-conclusion». Nous avons choisi d’ouvrir les possibilités pour notre Département et nous avons vu des conséquences positives sur le plaisir d’enseigner et peut-être un peu sur le plaisir qu’ont les élèves à suivre nos cours et sur leur sentiment de compétence.

Évaluer les stratégies de lecture dans le cadre d’une rédaction d’au moins 700 mots

Ce qui est nouveau dans l’évaluation finale, c’est que nous pouvons maintenant évaluer les stratégies de lecture déployées par l’élève pour lire le texte à analyser. Que ce soit par le biais d’un journal de lecture, d’un «tout sur une page» ou autrement, peut valider que l’élève a bel et bien employé une stratégie de lecture et évaluer ce qui a été fait en amont de la rédaction.

Le fait de pouvoir évaluer des stratégies de lecture ou le cheminement ayant mené à l’analyse d’un texte est aussi très utile, en littérature, afin de contrer la tentation de consulter des robots conversationnels comme ChatGPT pour générer des comptes-rendus d’analyse. Si la préparation ou l’annotation n’est pas en adéquation avec le produit (texte ou autre évaluation) fini, cela sonne évidemment une cloche pour l’enseignant ou l’enseignante.

Personnellement, quand j’évalue les annotations d’un texte, je n’exige pas que l’élève identifie tousles procédés dans la marge. Ce que je veux, c’est que la personne identifie les thèmes abordés dans différents passages et qu’elle formule une observation en lien avec cela, qui s’appuie sur un passage précis. En effet, il est difficile d’amener les élèves vers le métadiscours. Spontanément, ils et elles ont tendance à se contenter de citer le texte plutôt que de l’interpréter. Je veux que leurs annotations me montrent qu’ils et elles sont capables de formuler leurs propres idées au sujet de leur lecture, ou du moins qu’ils et elles peuvent énoncer des observations analytiques sur le texte étudié.

On soupçonne qu’avant, des personnes étudiantes peu motivées pouvaient s’en sortir sans même lire les textes à l’étude (en lisant seulement un résumé du texte, par exemple). Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Notre nouvelle formule exige un minimum d’engagement de la part de l’élève, une préparation en amont et la participation à des discussions en petits ou grand groupe (souvent accessibles uniquement si une préparation préalable a été faite). Les élèves doivent donc se mobiliser et se mettre en action pour les différentes évaluations.

Le retour de la subjectivité 

Un des aspects que nous avons souhaité changer dans nos cours est ce mythe du professeur agissant comme seul maître du sens du texte qu’il met au programme. Bien sûr, les enseignants et les enseignantes sont des spécialistes de leur matière et sont habilités à analyser en profondeur les textes, à établir des liens avec d’autres éléments, à pousser plus loin l’analyse, etc. Or, avec notre nouvelle façon de faire, on ne propose généralement plus, devant la classe, de cours théoriques sur le sens des livres que l’on met au programme. On travaille davantage à guider les élèves dans leur réflexion ou leur analyse, de façon à recevoir leurs observations, à les mettre en commun et à tirer des conclusions tous ensemble.

La personne étudiante vit donc moins ce moment désagréable de se faire enseigner le sens d’un texte alors qu’elle n’a pas nécessairement vu ou retenu les mêmes aspects que l’enseignante ou l’enseignant. Même d’un groupe à l’autre, les points saillants d’une analyse de texte peuvent différer sensiblement, ce qui est à la fois très étonnant et stimulant du point de vue de la personne enseignante. La personne étudiante, elle, a pu développer son autonomie dans la lecture des œuvres à l’aide des stratégies de lecture, donc elle est plus confiante dans son interprétation. D’autres travaux, comme les «tout sur une page», qui convoquent à la fois des éléments factuels et un aspect créatif, laissent aussi la place à la subjectivité de l’élève, un aspect qui était plutôt laissé de côté auparavant. Au final, même dans la création des comptes-rendus d’analyse, l’élève reste aussi plus libre, dans la mesure où il ou elle peut jouer avec certains éléments de la structure, tant que le contenu y est, et qu’il est exprimé de façon cohérente.

Ça crée un dialogue entre les étudiants et avec la personne qui enseigne. Ainsi, on laisse généralement une moins grande place, dans le cours 101, à l’histoire littéraire, on a tendance à prioriser les éléments du contexte socio-historique qui ont un impact direct sur le sens de l’oeuvre, mais on n’insiste pas immédiatement sur une vision évolutive de la littérature, plusieurs professeurs de notre Département privilégient plutôt les liens thématiques entre les oeuvres, qui sont souvent riches pour approfondir l’analyse.

Un sondage auprès des étudiants et étudiantes

À ce jour, le Département est très satisfait des résultats des modifications que nous avons apportées au cours.

Au terme de notre session d’expérimentation à l’automne 2023, nous avons réalisé un sondage auprès des élèves qui avaient testé la formule renouvelée du cours. (Nous répétons ce sondage chaque session depuis!)

Dans l’ensemble, les différentes stratégies de lecture et d’analyse enseignées ont été jugées utiles par la grande majorité des personnes qui ont répondu au sondage.

Résultats du sondage réalisé à la session d’hiver 2024 auprès des élèves d’Écriture et littérature

Nous constatons que les élèves ont plus de plaisir à lire et à participer aux discussions en classe. Nous avons l’impression d’être plus proches d’elles et eux, mais percevons aussi davantage de proximité entre elles et eux; les élèves tissent davantage de liens, sans doute parce que nous leur offrons davantage d’opportunités d’interagir et de participer en classe.

Leur capacité à analyser des textes et à en extraire le sens semble mieux ressortir dans les cours. Leur sentiment de compétence a également augmenté et leur rapport à la littérature parait aussi s’être amélioré (certaines personnes disent lire davantage à la maison).

La réussite des cours a augmenté. Les abandons sont stables. Les résultats de l’évaluation finale (la rédaction de 700 mots) sont aussi bons qu’avant.

Plusieurs élèves arrivent à présenter des idées qui vont plus en profondeur qu’avant. Toutefois, on observe aussi que certaines personnes contribuent à un groupe de discussion de façon très riche, avec des idées bien étayées, mais qu’elles arrivent difficilement à les véhiculer par écrit. Nous travaillons là-dessus! Nous développons des outils pour aider nos élèves à transposer les idées qu’ils et elles ont en tête en des phrases claires (de maîtriser le métadiscours)!

De notre côté, comme enseignants et enseignantes, nous avons généralement besoin de moins de temps pour préparer les cours alloués aux œuvres. En revanche, il faut être plus à l’aise de guider le groupe sans savoir à l’avance vers où les discussions vont aller. Ça demande plus de souplesse que lorsque nous avons un diaporama tout prêt. La correction de productions plus variées (tant sur le plan de la forme que du fond) est moins assommante, aussi. Surtout, nous avons davantage de plaisir à être en classe et à interagir avec nos élèves. Après tout, enseigner la littérature à des gens qui prennent davantage de plaisir à lire, c’est beaucoup plus stimulant et valorisant!

Renouveler la séquence en entier

Notre session d’expérimentation a été si concluante que nous avons convaincu le Département d’embarquer et de renouveler toute notre séquence de cours. (Évidemment, l’AIL se poursuit en parallèle!)

Après le cours Écriture et littérature, nous nous sommes attaqués aux plans-cadres des 2 cours suivants, en gardant en tête que l’on souhaitait une réelle progression entre les cours, et une plus grande cohérence. On a gardé certains objectifs : réactiver les stratégies de lecture, développer l’autonomie de l’étudiant, valoriser la co-construction du sens et laisser une certaine place à la posture subjective de l’étudiant.

L’aboutissement de la séquence de cours

Actuellement, nous travaillons sur le 4e cours, qui s’appelle chez nous Communication et discours. On souhaite alors que les compétences acquises dans les 3 cours précédents puissent être convoquées pour analyser et produire différents types de discours. L’idée est que ce cours soit le véritable «point d’arrivée» de notre séquence. Après avoir appris à faire des analyses littéraires et à analyser la vision d’auteurs et d’autrices dans les 2 premiers cours, l’élève a pu montrer davantage de subjectivité en appréciant la valeur de textes dans le 3e cours. Dans le 4e cours, qui porte sur la compréhension des discours sociaux (dans les médias ou dans des essais, par exemple), la subjectivité est encore plus grande; le discours de l’élève peut devenir moins scolaire. Aussi, les compétences acquises par l’élève durant son parcours, tant dans la formation générale que dans son programme, sont mises à profit.

Préparation à l’Épreuve uniforme de français

L’une des questions que l’on nous pose lorsqu’il est question de ces changements concerne l’Épreuve uniforme de français (ÉUF). Certains se demandent si la préparation à l’ÉUF de nos élèves est adéquate: bien sûr!

Les élèves apprennent à rédiger des textes cohérents qui portent sur des textes littéraires. Les enseignants et enseignantes du 3e cours doivent allouer au moins un de leurs cours à l’ÉUF. Ils et elles la démystifient, expliquent comment s’y préparer, etc. Les compétences analytiques et rédactionnelles des élèves leur seront utiles et pertinentes le jour de l’examen ministériel!

Les élèves auront peut-être fait moins de longues rédactions «formelles» pendant leur parcours qu’auparavant, mais ils et elles auront analysé de nombreux textes, développé leur autonomie, mis des œuvres en relation avec leur contexte d’écriture, avec d’autres œuvres, etc. En fait, je pense qu’ils et elles pourront même être meilleurs dans leur argumentation. Certains étudiants et certaines étudiantes oseront aller plus en profondeur dans leurs idées.

Traditionnellement, le fait d’insister beaucoup sur la dissertation et sa structure amenait certaines étudiantes et certains étudiants à présenter de façon très superficielle 3 idées principales, chacune avec 2 idées secondaires, etc. Elles et ils savaient que cela suffisait pour réussir, mais l’analyse de texte était moins riche. Notre approche les encourage à «oser» davantage, ce qui ne peut être que positif.

Travailler pour y arriver

Évidemment, de tels changements en profondeur ne se font pas sans efforts.

Le personnel enseignant doit être formé pour bien appliquer la nouvelle approche.

En juin 2024, nous avons organisé une demi-journée de formation sur les stratégies de lecture (donnée par Isabelle Cartier, du Cégep Garneau), afin que tous les membres du département (même les personnes qui n’avaient pas été impliquées dans le renouvellement du plan-cadre) puissent prendre conscience de la panoplie de stratégies de lecture qu’il est possible d’enseigner et de la profondeur des changements qu’impose la nouvelle mouture de nos cours. La formation a été très appréciée!

Nous avons aussi eu une formation sur l’évaluation de textes rédigés avec une posture subjective et même de créations littéraires. En effet, auparavant, nous n’évaluions jamais de discours subjectif; nos élèves n’utilisaient jamais le «je» dans leurs textes. Maintenant oui! Mais même si le discours est subjectif, nous voulons l’évaluer de façon objective. D’ailleurs, nos plans-cadres permettent maintenant aux enseignants et aux enseignantes de demander des créations littéraires à leurs élèves. Notre avis est que si une personne étudiante est capable d’utiliser elle-même une figure de style, cela signifie qu’elle comprend comment fonctionne l’image.

Un travail cohérent avec les recommandations du rapport sur les «cours défis» de la formation générale

J’ai eu à consulter  le rapport Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep [PDF], du groupe de travail mis en place dans le cadre de la mesure 3.5 du Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur (PARES). Je constate avec satisfaction que plusieurs des actions que nous avons entreprises sont en adéquation (à notre échelle) avec les recommandations du rapport au sujet du 1er cours de littérature. Si notre travail peut inspirer d’autres enseignants et enseignantes, nous en serons heureux et heureuses!

Remerciements

Je signe ce texte aujourd’hui, mais je tiens à souligner la contribution exceptionnelle de:

  • Richard Duchaine, l’idéateur et le maître d’œuvre de l’entreprise de renouvellement de nos cours et plans-cadres
  • Isabelle L’Italien-Savard, très impliquée dans la rédaction de plusieurs de nos nouveaux plans-cadres
  • Marie Laliberté, qui a dès les débuts travaillé au développement du projet d’Accompagnement individuel en littérature (AIL) et qui est encore très impliquée dans le projet

Et, plus largement, merci à tous les collègues de notre département pour leur engagement, leur ouverture et leur volonté de valoriser la littérature!

À propos de l'auteure

Maude Poissant

Maude Poissant enseigne la littérature au Cégep Limoilou depuis une quinzaine d’années et agit à titre de coordonnatrice du département de littérature depuis 2023. Elle s’intéresse particulièrement aux approches pédagogiques qui mettent de l’avant l’engagement étudiant et son autonomie, ainsi qu’à la place de la création littéraire pour mieux comprendre la littérature.

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