Le retour de la subjectivité
Un des aspects que nous avons souhaité changer dans nos cours est ce mythe du professeur agissant comme seul maître du sens du texte qu’il met au programme. Bien sûr, les enseignants et les enseignantes sont des spécialistes de leur matière et sont habilités à analyser en profondeur les textes, à établir des liens avec d’autres éléments, à pousser plus loin l’analyse, etc. Or, avec notre nouvelle façon de faire, on ne propose généralement plus, devant la classe, de cours théoriques sur le sens des livres que l’on met au programme. On travaille davantage à guider les élèves dans leur réflexion ou leur analyse, de façon à recevoir leurs observations, à les mettre en commun et à tirer des conclusions tous ensemble.
La personne étudiante vit donc moins ce moment désagréable de se faire enseigner le sens d’un texte alors qu’elle n’a pas nécessairement vu ou retenu les mêmes aspects que l’enseignante ou l’enseignant. Même d’un groupe à l’autre, les points saillants d’une analyse de texte peuvent différer sensiblement, ce qui est à la fois très étonnant et stimulant du point de vue de la personne enseignante. La personne étudiante, elle, a pu développer son autonomie dans la lecture des œuvres à l’aide des stratégies de lecture, donc elle est plus confiante dans son interprétation. D’autres travaux, comme les «tout sur une page», qui convoquent à la fois des éléments factuels et un aspect créatif, laissent aussi la place à la subjectivité de l’élève, un aspect qui était plutôt laissé de côté auparavant. Au final, même dans la création des comptes-rendus d’analyse, l’élève reste aussi plus libre, dans la mesure où il ou elle peut jouer avec certains éléments de la structure, tant que le contenu y est, et qu’il est exprimé de façon cohérente.
Ça crée un dialogue entre les étudiants et avec la personne qui enseigne. Ainsi, on laisse généralement une moins grande place, dans le cours 101, à l’histoire littéraire, on a tendance à prioriser les éléments du contexte socio-historique qui ont un impact direct sur le sens de l’oeuvre, mais on n’insiste pas immédiatement sur une vision évolutive de la littérature, plusieurs professeurs de notre Département privilégient plutôt les liens thématiques entre les oeuvres, qui sont souvent riches pour approfondir l’analyse.
Un sondage auprès des étudiants et étudiantes
À ce jour, le Département est très satisfait des résultats des modifications que nous avons apportées au cours.
Au terme de notre session d’expérimentation à l’automne 2023, nous avons réalisé un sondage auprès des élèves qui avaient testé la formule renouvelée du cours. (Nous répétons ce sondage chaque session depuis!)
Dans l’ensemble, les différentes stratégies de lecture et d’analyse enseignées ont été jugées utiles par la grande majorité des personnes qui ont répondu au sondage.
Résultats du sondage réalisé à la session d’hiver 2024 auprès des élèves d’Écriture et littérature
Nous constatons que les élèves ont plus de plaisir à lire et à participer aux discussions en classe. Nous avons l’impression d’être plus proches d’elles et eux, mais percevons aussi davantage de proximité entre elles et eux; les élèves tissent davantage de liens, sans doute parce que nous leur offrons davantage d’opportunités d’interagir et de participer en classe.
Leur capacité à analyser des textes et à en extraire le sens semble mieux ressortir dans les cours. Leur sentiment de compétence a également augmenté et leur rapport à la littérature parait aussi s’être amélioré (certaines personnes disent lire davantage à la maison).
La réussite des cours a augmenté. Les abandons sont stables. Les résultats de l’évaluation finale (la rédaction de 700 mots) sont aussi bons qu’avant.
Plusieurs élèves arrivent à présenter des idées qui vont plus en profondeur qu’avant. Toutefois, on observe aussi que certaines personnes contribuent à un groupe de discussion de façon très riche, avec des idées bien étayées, mais qu’elles arrivent difficilement à les véhiculer par écrit. Nous travaillons là-dessus! Nous développons des outils pour aider nos élèves à transposer les idées qu’ils et elles ont en tête en des phrases claires (de maîtriser le métadiscours)!
De notre côté, comme enseignants et enseignantes, nous avons généralement besoin de moins de temps pour préparer les cours alloués aux œuvres. En revanche, il faut être plus à l’aise de guider le groupe sans savoir à l’avance vers où les discussions vont aller. Ça demande plus de souplesse que lorsque nous avons un diaporama tout prêt. La correction de productions plus variées (tant sur le plan de la forme que du fond) est moins assommante, aussi. Surtout, nous avons davantage de plaisir à être en classe et à interagir avec nos élèves. Après tout, enseigner la littérature à des gens qui prennent davantage de plaisir à lire, c’est beaucoup plus stimulant et valorisant!
Renouveler la séquence en entier
Notre session d’expérimentation a été si concluante que nous avons convaincu le Département d’embarquer et de renouveler toute notre séquence de cours. (Évidemment, l’AIL se poursuit en parallèle!)
Après le cours Écriture et littérature, nous nous sommes attaqués aux plans-cadres des 2 cours suivants, en gardant en tête que l’on souhaitait une réelle progression entre les cours, et une plus grande cohérence. On a gardé certains objectifs : réactiver les stratégies de lecture, développer l’autonomie de l’étudiant, valoriser la co-construction du sens et laisser une certaine place à la posture subjective de l’étudiant.
L’aboutissement de la séquence de cours
Actuellement, nous travaillons sur le 4e cours, qui s’appelle chez nous Communication et discours. On souhaite alors que les compétences acquises dans les 3 cours précédents puissent être convoquées pour analyser et produire différents types de discours. L’idée est que ce cours soit le véritable «point d’arrivée» de notre séquence. Après avoir appris à faire des analyses littéraires et à analyser la vision d’auteurs et d’autrices dans les 2 premiers cours, l’élève a pu montrer davantage de subjectivité en appréciant la valeur de textes dans le 3e cours. Dans le 4e cours, qui porte sur la compréhension des discours sociaux (dans les médias ou dans des essais, par exemple), la subjectivité est encore plus grande; le discours de l’élève peut devenir moins scolaire. Aussi, les compétences acquises par l’élève durant son parcours, tant dans la formation générale que dans son programme, sont mises à profit.