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27 mars 2023

Une demi-journée de réflexion sur ChatGPT et l’intelligence artificielle au Cégep de Saint-Jérôme

Le 15 mars 2023, j’ai participé comme panéliste à une demi-journée de réflexion sur l’intelligence artificielle (IA) et ChatGPT au Cégep de Saint-Jérôme. L’événement avait pour objectif d’aborder, collectivement, la question de l’usage de ChatGPT au sein du réseau collégial. Cet événement ouvre la discussion sur l’adaptation du système éducatif aux changements imposés par l’intelligence artificielle. Dans cet article, je reviens sur ce panel et vous propose des éléments de réflexion sur l’effet disruptif de ChatGPT en enseignement.

Enregistrement de la conférence et du panel organisés au Cégep de Saint-Jérôme le 15 mars 2023

Je ne saurais ajouter une meilleure définition de ChatGPT, que celle apportée par les milliers de ressources en ligne qui traitent déjà de cette technologie basée sur le traitement du langage naturel d’Open AI [en anglais]. D’ailleurs, ma collègue Lisa-Marie Gauthier a écrit un article très intéressant sur le sujet.

À Saint-Jérôme, pour les personnes qui ne connaissaient pas encore l’outil, la rapidité, la fluidité et la richesse du langage de ChatGPT, ainsi que sa capacité à s’adapter au contexte et au ton de la conversation ont causé un véritable effet «wow».

Édouard Morrissette devant un lutrin. Un écran de projection derrière lui montre une image des lettre « AI » au centre d’un circuit imprimé

Édouard Morissette, conseiller technopédagogique au Cégep de Saint-Jérôme, présente ChatGPT et de son historique, puis en fait une démonstration. (Source de la photo: Cégep de Saint-Jérôme)

Édouard Morrissette, conseiller technopédagogique, et Nadine Le Gal, directrice générale de Saint-Jérôme, animaient l’événement. Après le discours prononcé par Édouard Morrissette, Nadine Le Gal a invitait 4 panélistes sur scène:

  • François Simard, enseignant en Techniques d’éducation spécialisée
  • Julien Martineau, conseiller pédagogique à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec
  • Ariane Grenier-Paquette, conseillère d’orientation et aide pédagogique individuelle au Centre collégial e Mont-Tremblant
  • moi-même

Nous avons discuté de 2 thèmes principaux :

  • l’utilisation de ChatGPT dans les sphères personnelle et professionnelle
  • les enjeux associés à l’usage de ChatGPT en enseignement

Une question pour donner le ton de la rencontre

L’échange entre les panélistes a débuté avec la question suivante:

Devons-nous être inquiets, ou, au contraire, devons-nous être emballés par la situation? Comment devons-nous négocier avec la place de plus en plus grande que prennent les robots conversationnels et l’intelligence artificielle, notamment ChatGPT, dans le milieu de l’éducation?
—Nadine Le Gal

Selon Julien Martineau, l’analyse de ces 30 dernières années nous permet de dire que les avancées technologiques ont toujours créé un mouvement de panique en éducation. Ce mouvement de recul a souvent permis une adaptation. De l’arrivée d’internet en passant par l’apparition de Wikipédia, il y a toujours eu un moment dans lequel la communauté éducative s’est détachée de l’outil pour s’intéresser au processus.

Effectivement, en 1986, des enseignants et des enseignantes protestaient contre une politique du Conseil national américain des professeurs de mathématiques (National Council of Teachers of Mathematics) [en anglais] recommandant l’intégration de la calculatrice dans le programme de mathématiques de l’école. Cette politique préconisait qu’à chaque niveau scolaire, chaque élève devait apprendre comment et quand utiliser la calculatrice. Il y a eu alors de nombreuses recherches, des réflexions pour démystifier l’outil et des expérimentations pour passer du bannissement à l’usage pédagogique de cet outil.

Aux enseignants et enseignantes de mathématiques qui me lisent, quand est-il de l’utilisation de la calculatrice en enseignement aujourd’hui?

Face à la rapidité de développement des technologies numériques qui rend de plus en plus difficile la réflexion sur les processus, quelle posture adopter?

Difficile de répondre à cette question lorsque on a l’impression que le monde qui nous entoure prend une posture d’utilisateur précoce vis-à-vis d’une technologie qui fascine et génère des pics de dopamine aussi bien dans les sphères personnelles que professionnelles.

L’usage de ChatGPT dans notre quotidien et dans la sphère éducative

Dans la sphère personnelle, un des exemples mentionnés lors du panel était l’usage de l’outil pour faire une liste d’épicerie ou proposer des recettes.

Alors que la version 3 de ChatGPT proposait souvent des recettes désastreuses et ne faisait pas de traitement d’image, la version 4 de ChatGPT peut suggérer des recettes réalistes après avoir visualisé une photo du contenu d’un frigo et proposer un guide sur la façon de préparer la recette.

La version 4 de ChatGPT est sortie la veille de l’événement à Saint-Jérôme. Au moment où nous parlions, François Simard et moi étions loin de nous rendre compte qu’en l’espace de 3 mois, la faille des mauvaises recettes de cuisine proposées par la version 3 de ChatGPT que nous mentionnions avait été éliminée par une version d’IA générative boosté par le traitement et l’analyse de l’image.

De plus, selon un article du Harvard Crimson [en anglais], l’IA générative peut également servir de tuteur personnel aux étudiants et aux étudiantes, comme le propose actuellement le site de tutorat Khan Academy.

L’agent conversationnel de Khan Academy, baptisé Khanmigo, est capable de comprendre les questions. Selon Khan Academy, cela signifie qu’il pourra poser aux élèves des questions personnalisées qui « favoriseront un apprentissage plus approfondi».

On peut se poser encore une fois la sempiternelle question de la posture enseignante dans l’évolution rapide de cette technologie. Comment allons-nous faire la différence?

Les enjeux de l’usage des technologies d’IA générative et du rôle de l’éducation dans l’ère numérique

À la question de Nadine Le Gal sur le fait d’être inquiet ou emballé par l’arrivée de ChatGPT dans le monde de l’enseignement, je réponds que je ne me sens ni emballée ni inquiète. En revanche, c’est le terme «conscience» qui me vient à l’esprit, car il me semble primordial de rester attentif aux enjeux liés à l’usage de l’IA générative et au rôle de l’éducation qui va prendre toute sa place dans le virage serré que nous fait prendre cette technologie.

La conscience, un processus cognitif tellement humain

J’ai été ravie que le thème de la rencontre, qui était de prime abord un sujet qui mettait de l’avant la technologie, se soit transformé en un questionnement sur notre véritable rapport à l’éducation et au rôle que nous avons en tant qu’enseignant ou enseignante dans l’accompagnement à la réussite éducative des élèves.

La communauté collégiale a tout de suite pointé du doigt les enjeux liés à l’usage de ChatGPT:

  • la fiabilité des ressources (la version 4 de ChatGPT propose, lorsqu’on lui pose la question, des références et des sources. Cela dit, il y a beaucoup de ressources qui ne sont pas fiables)
  • le partage des données
  • les usages répétitifs et non éthique
  • la transmission des biais et préjugés propagés par des informations erronées

Cependant, la technologie est déjà utilisée par les étudiants et étudiantes, les pédagogues, le personnel de soutien. Elle est aussi relayée par de nombreuses applications qui faisaient partie intégrante de nos habitudes de travail et implantée dans des moteurs de recherche comme Bing.

Capture d'écran du moteur de recherche Bing et de l'explorateur Microsoft Edge. À droite de l'écran, on voit le module qui intègre la technologie d'IA générative pour l'accompagnement à l'écriture.

Capture d’écran du moteur de recherche Bing et de l’explorateur Microsoft Edge. À droite de l’écran, on voit le module qui intègre la technologie d’IA générative pour l’accompagnement à l’écriture.

Alors, quelle posture prendre en tant qu’enseignant ou enseignante? Comment s’approprier l’outil dans nos pratiques pédagogiques?

Le rôle de l’éducation à l’ère du numérique

La discussion a été suivie d’une période de questions par l’auditoire. Véronique Bonin, conseillère pédagogique au Centre collégial de Mont-Tremblant, a partagé ses préoccupations sur le fait que ChatGPT, qui est programmé pour nous satisfaire, pourrait exacerber la tendance de la société à se polariser sur des opinions et à prendre moins de recul.

C’est à ce moment-là que j’ai fait un lien et que j’ai compris quel était véritablement le rôle des enseignants et des enseignantes dans l’accompagnement des apprenants et des apprenantes.

Et si ce rôle était de se concentrer sur le développement de l’esprit critique dans toutes les disciplines abordées en éducation? Et si nous nous étions égarés dans notre présomption de la connaissance et notre capacité à conserver l’exclusivité de la logique? C’est un peu ce qui fascine dans nos interactions avec l’agent conversationnel. Nous n’avons plus l’exclusivité de la logique ni de la connaissance. J’avoue que je ressens un sentiment de satisfaction lorsque je me rends compte qu’une réponse générée par la technologie est fausse. Oui, le fameux ChatGPT3 se trompe! La version 4, un peu moins. Qu’en sera-t-il de la version 10?

N’a-t-on pas pendant longtemps valorisé l’uniformité, le savoir encyclopédique et la logique au détriment de la connaissance de nos propres capacités humaines, que sont la créativité, la neurodiversité, l’interaction sociale, l’intelligence émotionnelle, etc.?

N’avons-nous pas trop privilégié les mathématiques, la science, la technologie au détriment des sciences humaines? Attention, je ne dis pas que les disciplines dites de sciences pures ne sont pas importantes, au contraire, mais n’ont-elles pas pris toute la place?

En soi, et si le rôle de l’éducation était de faire ressortir chez l’élève, l’individualité qui va faire la toute la différence face au diktat de la technologie de l’IA? Il s’agit de l’utiliser en comprenant qu’il ne s’agit que d’un outil pour nous accompagner à exceller dans notre singularité qui est, elle, irremplaçable.

Pour cela, nous avons encore du chemin à faire ensemble. Il s’agira de sortir de notre zone de confort, de se lancer dans le développement professionnel et le perfectionnement. Il y a certainement un avant ChatGPT et un près. Dans cet après, époque de remise en question, il nous faudra réécrire une page commune sur notre posture, en tant qu’éducateur et éducatrice. Cette page expliquera comment coexister avec l’IA et perpétuer les valeurs de la connaissance.

Il faudra aussi accepter que nous ne savons rien et que, pour évoluer dans ce monde, il faudra continuer à apprendre.

Le savoir de notre ignorance : c’est le début de l’intelligence
—Socrate

Remerciements

Je profite de cet article pour remercier le Cégep de Saint-Jérôme et tous les participants et participantes qui ont permis cette grande réflexion coconstructive sur le sujet de l’intelligence artificielle en éducation qui me passionne tant.

À propos de l'auteure

Florence Sedaminou Muratet

Inspirée par la conviction que l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde, Florence Sedaminou Muratet a forgé un solide parcours académique en anthropologie et en éducation. Avec plus de 20 ans d’expérience, elle a non seulement enseigné le français langue seconde et les sciences humaines mais a aussi intégré très tôt dans ses cours l’interculturalité et la pédagogie numérique. Ses contributions majeures incluent la refonte de programmes éducatifs, où elle a habilement intégré des approches pluridisciplinaires et des technologies numériques, améliorant significativement l’expérience d’apprentissage.

En tant que conseillère en pédagogie numérique chez Collecto, Florence se distingue par son travail pionnier dans l’implantation des technologies émergentes en éducation. Elle est particulièrement engagée dans l’exploration des applications et des implications de l’intelligence artificielle dans la société, contribuant activement à façonner l’avenir de l’éducation numérique.

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Nicole Perreault
28 mars 2023 10h35

Bonjour Florence, j’ai participé à la demi-journée à distance et j’ai beaucoup aimé. Je profite de l’occasion pour vous dire que bien des participants à distance, dont moi-même, avons beaucoup apprécié les interventions des panélistes et particulièrement les vôtres.