De nos jours, les technologies évoluent rapidement et il est parfois difficile de résister à l’envie de les adopter, sans savoir si leur impact sera durable. À l’inverse, on peut regretter d’avoir trop attendu pour s’intéresser à une technologie révolutionnaire. Dans ce texte, je vous propose des pistes de solutions pour faire de la veille technologique efficace.
Le piège du buzz
Chaque année, en septembre, j’épluche de nombreux rapports et articles afin de sélectionner les technologies émergentes dont je vais parler durant l’année. Plusieurs articles promotionnels mettent de l’avant le caractère exceptionnel de telle ou telle technologie sans vraiment expliquer le pourquoi du comment.
On parle par exemple de :
Autant de concepts émergents promettant un grand bouleversement, une rupture, ou encore un changement irréversible. Comment s’assurer de ne pas gonfler les rangs des aficionados des nouvelles technologies, largement influencés par les grandes entreprises technologiques qui veulent faire du buzz autour de leur produit pour créer le besoin? Comment tirer profit de la veille technologique en éducation sans tomber dans le piège du consumérisme?
Voici des outils pour mieux comprendre le phénomène de l’innovation à outrance et en tirer le meilleur parti.
Comprendre la courbe de l’innovation
La courbe du hype (hype cycle) et la théorie de la diffusion de l’innovation sont 2 façons d’examiner la manière dont les innovations se propagent.
Vous avez peut-être déjà vu le graphique de la courbe du hype (hype cycle) [en anglais] de la société de recherche et de conseil technologiques Gartner [en anglais]?
Selon cette théorie, quelqu’un crée ou prétend créer quelque chose de nouveau et tout le monde commence à en parler (petit clin d’œil au métavers de l’entreprise Méta, qui a choisi d’utiliser un terme extrait d’un roman dystopique afin de baptiser un concept de plateforme de réalité virtuelle qui existait déjà). Le battage médiatique s’accumule et devient une bulle. La bulle de hype éclate… et tout le monde est cynique à propos de cette innovation.
Identifier la phase de valorisation
On observe que l’innovation se fait en 2 phases :
- phase de découverte (du lancement de l’innovation à la phase de désillusion)
- phase de valorisation (de la pente d’éclaircissement au début du palier de productivité)
La phase de découverte correspond au lancement d’une innovation. On entretient à l’endroit de la technologie émergente des espoirs disproportionnés (le pic des espérances correspond à l’effet du buzz), alors que l’application de ladite technologie, par le commun des mortels, déçoit. Puis, l’effet sensationnel de l’innovation diminue drastiquement pour laisser place à la réflexion, à la familiarisation et au questionnement.
La phase de valorisation, elle, correspond, selon moi, à une période un peu apaisée où l’on peut réfléchir aux usages de cette innovation en enseignement et en l’apprentissage.
Analyser le phénomène des vagues d’innovation
D’un point de vue macro, nous avons affaire à des vagues d’innovation de plus en plus courtes.
«Ça va vite la technologie, de nos jours!»
C’est la sempiternelle phrase qui évoque la sensation d’un monde en perpétuel changement, rythmé par les innovations technologiques. De ce fait, le caractère cyclique de l’économie (qui rythme malheureusement notre société) ne provient ni des transformations sociales, ni des évolutions démographiques, ni des variations de la monnaie. Il trouve son origine dans l’innovation (Schumpeter, 1942 [en anglais])
Joseph Aloïs Schumpeter, économiste autrichien du 20e siècle, explique que les idées naissent en grappe à l’issue d’une innovation de rupture technologique ou scientifique. Dans cette ère du tout numérique dopée à l’intelligence artificielle, à la démocratisation du web et à l’accumulation des données, il va de soi que les innovations fulminent de tous bords.
Nous avons l’impression de devoir nous lancer dans un train en pleine marche. Cela explique l’intérêt de nombreux établissements à développer un processus de veille pour entrer dans la fameuse transition numérique.
Il est donc d’autant plus important de prendre une posture d’adoption seulement dans la phase 2 de la courbe de Gartner. En gros, quand c’est nouveau, on en parle beaucoup, mais on attend que ça se refroidisse un peu.
Cela dit, cette approche à ses limites. Il faut attendre, mais pas trop longtemps, sous peine de se retrouver dépassé par la technologie en développement.
Se familiariser avec la courbe de l’innovation
Le sociologue et statisticien américain Everett Rogers, à qui on doit la création de la théorie de la diffusion de l’innovation au début des années 1960, explique comment une idée (ou une innovation) se diffuse, se répand. Il parle de la hiérarchisation des consommateurs en 5 catégories :
- les innovateurs
- les utilisateurs précoces
- la majorité précoce
- la majorité tardive
- les retardataires
Les innovateurs choisissent de continuer à croire en une technologie même quand le battage médiatique s’estompe et que le grand public remet en question son utilité.
Les adoptants précoces sont favorables à l’utilisation d’une technologie émergente. La majorité précoce, elle, a tendance à suivre l’adoption d’une technologie seulement une fois qu’elle a atteint une certaine partie de la population.
Enfin, la majorité tardive et les retardataires tombent dans la population qui se tourne vers une innovation devenue commune et désuète, que tout le monde utilise.
Pistes de solutions
Et si la clé pour ne pas tomber à la fois dans le piège du buzz et de la désuétude, c’était la piste de cocréation ou coconstruction?
Comme je l’ai dit, les innovateurs prennent des risques en continuant à s’intéresser à une technologie. Ils se documentent, développent des expertises et peuvent aider les organismes, institutions, départements, etc., à surmonter la phase de désillusion et à identifier les technologies qui vont tenir la route. En cela, pour citer Pierre-Julien Guay, ancien coordonnateur de la Vitrine technologie-éducation, la cocréation est une avenue pour que « [les innovateurs] qui sont des locomotives, éclairent les établissements sur les chemins à prendre » à travers la collaboration.
On parlera, entre autres :
- de veille collaborative
- d’ateliers de coconstruction ou de laboratoires participatifs
- etc.
L’esprit d’un organisme comme Collecto, et de surcroît de l’équipe d’Éductive, permet d’aider à cibler ces innovateurs, à créer le lien entre les équipes et à promouvoir la cocréation afin de tester en amont si une technologie est viable dans le milieu de l’éducation. Mon approche n’est pas une solution, mais ouvre la porte de la réflexion sur nos manières de suivre l’innovation, d’y réfléchir, et d’en tirer profit.
Merci pour cet article. Quand il s’agit de dépenser les fonds publics, l’approche de la majorité précoce me semble appropriée.
Quant aux innovations, il me semble qu’elles « fusent de toutes parts » plutôt que « fulminent de tous bords », non ? Quand ça fulmine, dans ma tête il y a un petit troll barbu qui trépigne pendant que de la fumée lui sort par les oreilles, et ça ne me semble pas la meilleure image pour parler de la prolifération des innovations… 😉
Bonne journée,
@MiaRivard « Fulminer » pour « exploser ».
Les innovations explosent de tous bords et ça déborde de partout.
Fulminer = exploser/déborde ou dans votre compréhension : enrager/tempêter.
Jouons avec la polysémie des mots ! Merci pour le commentaire 😉
Il y a beaucoup à dire au sujet de l’innovation dans la fonction publique (donc, financée par les contribuables).
La prudence est souvent de mise, en effet. Le fameux “move fast and break things” (« bougez rapidement et brisez des choses ») est bien dangereux quand il s’agit de prendre des décisions qui affectent les vies de millions de personnes. Avant d’imposer une nouveauté, il faut procéder à de multiples analyses qui participent à une « gestion des risques ». Accessibilité, cybersécurité, protection des renseignements personnels, critères d’inclusion, politiques linguistiques, apparence de conflit d’intérêt, partage ouvert de ce qui est produit avec le denier public… Peu surprenant que les dossiers traités par les fonctionnaires puissent paraître lourds.
Donc, plusieurs arguments pour une démarche lente et bien considérée. C’est un peu le modèle en Suisse. Vigilance.
D’un autre côté, il y a une piste de solution dans ce qu’on appelle « approvisionnement agile ». Une proportion significative des projets de plus de 10 millions de dollars (USD) est vouée à l’échec alors que des projets modestes ont une plus haute probabilité d’avoir des impacts significatifs (et appropriés). Prototype, projet pilote, initiative locale, validation fonctionnelle… Avant de mettre à l’échelle, on peut tester bien des choses… et avancer ensemble.
Ce qui entre bien dans la logique d’expérimentation de l’équipe Éductive et l’esprit de coopération qui nous anime.