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23 octobre 2023

La prévention du plagiat et de la tricherie à l’ère de l’intelligence artificielle

Ce texte a été publié en octobre 2023 et mis à jour en décembre 2023.

La tricherie et le plagiat sont généralement considérés comme des péchés capitaux en enseignement supérieur. Toutefois, le vent tourne et on promeut de plus en plus une attitude de réhabilitation, alors même que surgissent des outils de plagiat numérique toujours plus difficiles à détecter.

S’en suivent des questions importantes qui ont fait l’objet d’une présentation en juin 2023, au colloque RASCALS:

  • Comment agir en amont pour limiter le risque que nos élèves succombent à la tentation?
  • Pourquoi est-ce que les étudiants et les étudiantes trichent?
  • Comment pouvons-nous aider les élèves à faire de meilleurs choix?
  • Comment recadrer la relation pédagogique, de manière inclusive et productive, une fois qu’un étudiant ou une étudiante a franchi ce Rubicon éthique?

Dans ce dossier, je présenterai une revue de la recherche sur la tricherie et le plagiat post-pandémie et je proposerai des approches alternatives de prévention de l’inconduite.

Table des matières

2 cas bien différents

Un récidiviste irrécupérable?

Lors d’une évaluation orale enregistrée, une enseignante surprend un étudiant à lire un texte trouvé sur internet. Puis, dans une autre évaluation, elle constate que l’étudiant a volé du texte sur GradeSaver [en anglais] et l’a probablement paraphrasé avec Wordtune [en anglais]. (Un passage distinctif pris sur GradeSaver détecté par Compilatio met la puce à l’oreille de l’enseignante. En faisant l’analyse du texte, elle confirme qu’il s’agit de plagiat par paraphrase, mais on y investit une demi-journée de travail…)

L’étudiant reçoit ainsi un 2e échec consécutif dans le même cours. Puis, il refait le cours avec un autre enseignant et le réussit. Il se retrouve dans le cours du bloc B (le 2e cours d’anglais obligatoire) et… se fait à nouveau prendre en flagrant délit de plagiat!

Une situation comme ça est complètement décourageante. Il est clair que les gestes posés sont délibérés, voire prémédités. La personne est consciente de la nature illicite du geste posé et en conséquence, tente de le dissimuler..

Cependant, à mon avis, un tel cas n’est pas représentatif de la majorité des cas de plagiat qui se produisent au collégial.

Une 1re offense presque excusable?

Un autre scénario: lors d’une évaluation où les élèves complètent un examen de compréhension sur Moodle, mais n’ont pas le droit d’accéder à internet, l’enseignant surprend une étudiante sur Google Translate.

L’enseignant tombe des nues, car c’était une étudiante modèle: participative, impliquée, intéressée, polie… Il se sent quasiment trahi! Il avait développé une belle relation pédagogique avec cette élève qui venait fréquemment lui poser des questions. Après sa tentative de tricherie, l’étudiante va voir son enseignant à son bureau. Elle lui explique que ce qui l’a poussé à tricher, c’est la peur que son enseignant pense du mal d’elle si son travail n’était pas suffisamment bon.

L’étudiante explique à son enseignant qu’elle ressent une pression énorme et éprouve une grande fatigue mentale. Tout cela n’excuse rien, mais explique pourquoi elle est passée d’élève modèle à élève qui prend une très mauvaise décision lors d’une évaluation. Elle était dans un état de vulnérabilité et c’est probablement ce qui l’a poussée à tricher ce jour-là, d’autant plus que Google Translate était à portée de main…

L’étudiante présentée ici a triché par désarroi, et non par malice: sans mauvaises intentions. L’enseignant a signalé son cas à la direction comme il se doit, mais est convaincu qu’elle ne récidivera pas.

À mon avis, la majorité des plagiaires sont sans doute plutôt comme l’étudiante en désarroi que comme le récidiviste. C’est pourquoi il est important de réfléchir aux différents facteurs entourant le plagiat et la tricherie.

État de la question

D’après Jolicoeur et Pagé (2015):

  • Le plagiat est le fait de ne pas respecter les règles de citation des sources. Ce peut être un acte volontaire ou non (lié à la méconnaissance des règles ou à de fausses croyances, par exemple).
  • La tricherie et la fraude sont liées à des agissements volontaires (ou à de la négligence).

Ainsi, quand les règles de citation des sources ne sont pas respectées de façon intentionnelle, il s’agit à la fois de plagiat et de tricherie.

Toujours selon Jolicoeur et Pagé (2015), l’axe d’intervention à privilégier par rapport au plagiat est la prévention. Pour agir sur la fraude et la tricherie, c’est plutôt la dissuasion.

J’ai synthétisé mes recherches au sujet du plagiat et de la tricherie dans une carte conceptuelle. J’en présente les différents éléments plus bas.

Carte conceptuelle qui synthétise mes recherches sur le plagiat et la tricherie

Facteurs entourant le plagiat et la tricherie

Facteurs pédagogiques

Pondération de l’épreuve

Farland et Childs-Kean (2021) [en anglais] avancent que les élèves sont plus susceptibles de tricher si les enjeux d’une évaluation sont plus élevés.

Puisque les évaluations notées sont associées à des enjeux plus élevés que celles qui ne le sont pas, les autrices proposent de privilégier les travaux sans notes (comme dans le ungrading).

Pour les travaux notés, plusieurs évaluations à plus faible pondération (ou un travail divisé en plusieurs étapes) diminuent sans doute la tentation de tricher.

Type d’évaluation

Gremeaux (2019) avance que les examens à livre ouvert (ou les examens pour lesquels un aide-mémoire est permis) limitent la tentation de tricher, en comparaison des examens à livres fermés basés sur la mémorisation.

Lors d’un examen à livre ouvert, les élèves ont davantage l’impression d’appliquer les connaissances, plutôt que de seulement avoir à apprendre par cœur, et ils et elles apprécient cela. Reste que, si les examens à livres ouverts réduisent les incidences de tricherie, ils ne l’éliminent pas complètement.)

Habiletés informationnelles

Pour Peters et Cadieux (2019) [en anglais], les habiletés informationnelles et rédactionnelles des élèves et leurs habiletés à citer leurs sources (savoir quand, comment et pourquoi citer leurs sources) sont essentielles pour éviter le plagiat. Ces habiletés doivent être enseignées (Monney et collab., 2019). Liu et collab. (2021) [en anglais] ont démontré que des ateliers de développement des habiletés informationnelles et habiletés de recherche ont été bénéfiques aux étudiants internationaux et étudiantes internationales qui y ont participé.

De même, la méconnaissance par les élèves des outils de détection du plagiat utilisés par le corps enseignant peut augmenter leur anxiété (par la crainte d’être victime d’un faux positif de l’outil, ou de plagier involontairement et d’être sanctionné trop sévèrement à cause d’une détection par l’outil) (Zaza et McKenzie, 2018 [en anglais]).

Niveau de langue des élèves

Une étude de Perkins et collab. (2018) [en anglais] réalisée dans une université du Vietnam dans laquelle les cours se donnent en anglais auprès d’élèves dont l’anglais n’est pas la langue maternelle montre que les élèves les moins habiles en anglais sont plus susceptibles de plagier. S’il en est de même dans le réseau collégial, alors améliorer le niveau de langue d’enseignement des élèves allophones pourrait réduire le nombre de cas de plagiat.

Personnellement, j’enseigne en anglais langue seconde et j’ai observé que les élèves que j’ai pris en flagrant délit au fil des ans affirment souvent que leur classement initial est inexact (c’est à dire que le niveau du cours est trop élevé pour eux) ou qu’ils ressentent un sentiment de compétence faible (ce qui revient au même). Cela suggère un lien entre la triche et leur vécu.

Facteurs institutionnels

Réponse institutionnelle

Brooks, Marini et Radue (2011) [PDF, en anglais] argumentent que les manquements à l’intégrité intellectuelle constituent des actes d’incivilité et que leur impact sur l’environnement d’apprentissage est souvent ignoré. Il est aussi observé que la réponse institutionnelle est inégale, tant d’une institution à une autre que d’une personne enseignante à une autre.

Mulholland (2020) [en anglais] écrit que les politiques institutionnelles liées au plagiat et à la tricherie associent souvent le plagiat à un problème de moralité (l’amalgamant du même coup, en quelque sorte, à la tricherie) plutôt qu’à un manque d’éducation de la part des élèves. Elle avance que cela est néfaste pour les élèves, qui ont plutôt besoin d’acquérir les habiletés nécessaires pour ne pas plagier (habiletés de recherche documentaire et habiletés à citer des sources). Pour Mulholland, les institutions post-secondaires canadiennes doivent changer de paradigme, abandonnant une pratique punitive au profit d’une vision réhabilitatrice de l’enseignement supérieur dans la réponse aux actes plagiaires.

Jolicoeur et Pagé (2015), elles, identifient 5 cibles d’intervention pour les actions des collèges dans la lutte contre le plagiat:

  • restreindre la facilité de tricher et de plagier
  • agir contre l’ignorance des élèves au sujet du plagiat
  • réduire les possibilités qui s’offrent aux plagiaires ou aux personnes qui trichent de recourir au manque de clarté des consignes pour argumenter
  • agir sur le niveau de risque perçu par les élèves
  • stimuler la mobilisation des enseignants et des enseignantes et les inciter à déclarer les cas de plagiat
Charge de travail

Parmi les nombreux facteurs influençant le plagiat, Espinoza et Najerà (2015) [en anglais] mettent l’accent sur l’importance, par le corps enseignant, de travailler en équipe afin de s’assurer que la charge de travail des élèves d’un programme donné soit gérable.

Facteurs intrinsèques

Perception de la gravité de l’acte

Gremeaux (2019) a «découvert que, lorsqu’il s’agit d’entraide au moment d’examens, [les élèves] jugent ce comportement de façon moins sévère que lorsqu’un étudiant triche en solitaire, sans l’aide d’un autre. Dans la même ligne d’idée, les étudiants qui admettent tricher sont plus tolérants voire indifférents face à ce comportement que ceux qui ne trichent pas. Les étudiants honnêtes jugent la tricherie de façon beaucoup plus sévère.»

Perception d’impunité

Selon Choo et Paull (2013) [en anglais] et Bennett (2010) [en anglais], les élèves trichent pour de multiples raisons, dont la perception que le risque de conséquences négatives significatives est faible. Pour Choo et Paull, le personnel enseignant a l’obligation d’agir pour changer cette perception.

Gestion du temps

Selon Michelle Bergadaà (citée par Perreault, 2014), pour certaines personnes étudiantes, le plagiat est tout simplement une façon de gagner du temps, d’équilibrer un horaire trop chargé pour elles.

Narcissisme

Laily, Ermayda et Azzardina (2021) [en anglais] ont montré qu’il y avait une corrélation entre le narcissisme et le plagiat ou la tricherie. Celik et Kanak (2021) [en anglais] établissent un lien entre narcissisme et auto-sabotage.

Anxiété langagière

Abasi (2008) [PDF] analyse l’impact de l’anxiété langagière sur les pratiques plagiaires des étudiants et étudiantes dont l’anglais est la langue seconde, ainsi que l’impact des stratégies de communication coercitive sur leur anxiété.

L’auteur explique que les élèves vivent de l’anxiété à l’idée de se faire prendre comme plagiaire, entre autres parce qu’ils et elles ne savent pas toujours bien ce que c’est d’être plagiaire; ce qui constitue ou non du plagiat. Par exemple, dans l’enseignement d’une langue seconde: est-ce que reprendre une tournure de phrase constitue un acte de plagiat?

Désir de réussir le cours

Al Darwish et Sadeqi (2016) [en anglais] estiment que ce qui amène les élèves à tricher, c’est le sentiment de ne pas avoir la capacité de réussir par soi-même, combiné au désir de réussir le cours en vue d’obtenir leur diplôme.

Facteurs extrinsèques

Influences culturelles ou par les pairs

Fontaine, Frenette et Hébert (2020) [en anglais] écrivent que l’influence des pairs est le facteur qui a le plus d’influence sur la propension d’une personne à tricher aux examens.

Zhao et collab. (2022) [en anglais] confirment que les pairs jouent un rôle dans la décision de commettre un manquement éthique et que les stratégies de promotion de l’intégrité académique doivent tenir compte du contexte culturel.

De même, Scrimpshire et collab. (2016) [en anglais] ont constaté que la tricherie, et en particulier la tricherie mineure (copier un devoir ou collaborer quand c’est interdit — par opposition à la tricherie majeure, qui serait de tricher pendant un examen), est un acte social et personnel:

  • Les élèves tendent à ne pas tricher seuls, mais à tricher avec des amis.
  • Les élèves sont plus à risque d’aider des amis ou des amies à tricher que des personnes étrangères.
  • Les personnes prudentes sont moins à risque de participer à un exercice de triche.
  • Les tricheurs avérés ou tricheuses avérées sont plus portés à aider d’autres personnes à tricher.
Normalisation du plagiat

La normalisation du plagiat sur les réseaux sociaux a été décrite par Amigud et Lancaster (2020) [en anglais] et Bailey et Trudy (2018) [en anglais]. Cela passe beaucoup par le plagiat contractuel, c’est-à-dire «le processus par lequel un élève sous-traite l’exécution de son travail à une tierce partie» (Clarke et Lancaster, 2006 [PDF, en anglais]; [ma traduction]).

À ce sujet, il faut se demander si ChatGPT n’est pas un fournisseur de plagiat contractuel… qui travaille gratuitement.

Infrastructure informationnelle de Google

Boubée (2019) pose comme hypothèse que «l’accès trop simplifié [via Google] aux sources d’information, conjugué à l’exposition à des sources qui ne sont pas toutes sélectives, empêche la recherche d’information de jouer son rôle dans l’appropriation des théorisations par les étudiants. Paraphraser ces dernières, c’est-à-dire les reformuler en les éclaircissant, compétence «antiplagiat» majeure, devient alors difficile.»

Situation d’emploi

Bennett (2010) [en anglais] a constaté que les étudiants et les étudiantes les plus susceptibles de plagier sont ceux et celles qui ont une attitude laxiste à l’égard du plagiat et qui occupent un emploi rémunéré à temps partiel dont ils et elles jugent qu’il interfère avec leurs études.

Une situation complexe

Ainsi, les facteurs qui entrent en ligne de compte quand il est question de la prévention du plagiat et de la tricherie sont multiples. Comme enseignants et enseignantes, il nous arrive d’oublier que nos élèves ne sont pas que des cerveaux sur 2 pattes [en anglais]. Ce sont des êtres complexes, et leur comportement dans nos cours ne dépendent pas que de ce que nous disons dans nos cours:

  • si un étudiant a un emploi 40 heures par semaine et 8 cours, il est plus susceptible de tricher
  • si une étudiante a un trouble anxieux, elle est plus susceptible de tricher
  • si une étudiante vient d’une culture où le plagiat est normalisé, elle est plus susceptible de tricher
  • si l’examen est à livre fermé, les élèves sont plus susceptibles de tricher
  • etc.

Pour lutter contre le plagiat ou savoir comment réagir dans une situation de tricherie, il est utile de connaître tous les facteurs en jeu.

Le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante

En tant qu’enseignantes et enseignants, nous avons assurément un grand rôle à jouer dans la prévention du plagiat et la promotion de l’intégrité intellectuelle.

Ignorer les cas de plagiat?

Dans une étude de Coren (2011), 40% du personnel enseignant participant a admis avoir déjà ignoré un ou plusieurs cas de tricherie. Les raisons avancées par les enseignants et enseignantes pour ignorer les inconduites incluaient:

  • des preuves insuffisantes
  • la trivialité de l’offense
  • le manque de temps

Cependant, l’auteur a observé que les enseignants et enseignantes qui avaient ignoré les manquements:

  • ressentaient plus de stress en parlant de tricherie avec leurs élèves
  • préféraient éviter les situations chargées émotionnellement
  • disaient qu’ils et elles seraient moins enclins ou enclines à parler à une personne étudiante si elle était susceptible de devenir émotive

Évidemment, si un enseignant ou une enseignante ignore un ou plusieurs cas de plagiat, cela a un effet sur la perception d’impunité des élèves.

Isolement vis-à-vis de l’administration

Comme l’écrivent Jolicoeur et Pagé (2015), la mobilisation du corps enseignant et leur implication à déclarer les cas de plagiat doivent aussi être des objectifs activement poursuivis par l’établissement.

La prise en charge d’une partie de la stratégie globale de prévention par l’établissement ainsi que l’encadrement du processus de déclaration des cas permettent de réduire l’isolement que vivent les professeurs concernant différentes situations de plagiat et de tricherie. À moyen terme, on peut supposer que les professeurs qui se sentent appuyés lorsqu’ils déclarent un cas de plagiat ou de tricherie seront moins tentés d’adapter les sanctions prévues ou encore de ne pas les appliquer du tout. Il en va de même pour le personnel enseignant qui a pu consulter une ou des personnes-ressources dans un tel contexte.

Jolicoeur et Pagé (2015)

Une communauté d’appui?

Dans le passé, j’ai enseigné au secondaire où le concept de communauté d’appui est plus répandu. Les parents, les enseignants et les enseignantes, le personnel professionnel de l’école: tout le monde se mobilise pour assurer la réussite de l’élève.

Au collégial, en grande partie sans doute à cause de nos obligations de confidentialité, le travail se fait davantage en silo.

Une attitude bienveillante

Mulholland (2020) [en anglais] propose que si la prévention plagiat était traité parmi les objectifs d’apprentissage plutôt que dans les codes de conduite, alors les établissements, les programmes et le personnel enseignant devraient assumer une plus grande responsabilité dans le développement des habiletés méthodologiques (dont les habiletés de recherche de base ou plus avancées — incluant la façon de citer des sources). Ils devraient également s’assurer que ces habiletés aient du sens pour les élèves. Il s’agirait de créer des expériences d’apprentissages plus personnelles, de privilégier les voix de nos élèves dans leurs travaux, et non uniquement les voix des personnes expertes.

Toujours selon Mulholland (2020), pour atteindre ces objectifs, les établissements devraient:

  • minimiser la taille des groupes d’élèves
  • offrir des libérations d’enseignement aux personnes qui développent des évaluations et du matériel pédagogique pour faciliter la transition
  • limiter la précarité enseignante

Les messages prosociaux

Bruschke et Gartner (2009) [en anglais] ont étudié l’impact des messages prosociaux sur la gestion de classe. Un message prosocial est un message qui dénote un souci de l’autre, une attitude positive, une volonté d’aider. Comme l’écrivent Grant et Hofmann (2011) [en anglais], les messages prosociaux sont des messages idéologiques. Ils permettent aux individus de comprendre comment leurs contributions seront bénéfiques aux autres.

Smith (2020) [en anglais] décrit 2 catégories de messages qui peuvent créer des conditions gagnantes pour la réussite quand ils sont transmis aux élèves par des enseignants et enseignantes:

  • des messages qui transmettent des attentes inspirantes

«J’ai de grandes attentes pour votre apprentissage et votre croissance, et je veux vous accompagner dans cette progression.» [ma traduction]

  • des messages qui transmettent une grande considération
    «Je vous considère comme une personne à part entière, dotée d’une diversité d’identités, de valeurs et d’intérêts.»[ma traduction]

Smith écrit que les élèves qui perçoivent ces messages de la part de leur enseignant ou de leur enseignante réussissent mieux. Ces messages prosociaux pourraient-ils également avoir un impact dans la prévention du plagiat et la promotion de l’intégrité? Personnellement, je crois que oui!

À tout le moins, ces messages semblent fonctionner en milieu de travail. Hildebrand et Barclay (2022) [en anglais] ont mené une étude en milieu de travail et ont conclu que la relation entre l’anxiété et les comportements non éthiques «peut être atténuée par des messages prosociaux qui dirigent l’attention vers les considérations et besoins des autres» [ma traduction].

Dans la pratique: prévenir ou guérir?

La détection de cas de plagiat dans des travaux écrits est souvent difficile et chronophage. Un outil gratuit comme le détecteur d’intelligence artificielle de Compilatio [en anglais] fait actuellement un bon travail pour détecter les écrits de ChatGPT, même quand ils sont paraphrasés par WordTune ou traduits avec DeepL. Mais pour combien de temps? Et surtout, il faut garder en tête que les détecteurs de plagiat donnent un résultat probabiliste; sans une directive administrative, leur utilisation est délicate et plutôt de l’ordre de la négociation avec l’élève que de l’ordre du smoking gun; ils ne peuvent pas être présentés comme une preuve irréfutable.

Je pense donc que la prévention est une meilleure piste pour enrayer le problème.

Si on se concentre particulièrement sur l’objectif d’éviter l’utilisation de ChatGPT par les élèves, certaines des stratégies que j’ai utilisées à l’hiver 2023 ne sont plus viables. En effet, la plus récente itération de GPT-4 est plus puissante que celle qui était disponible cette session-là. Par exemple, je demandais à mes élèves d’écrire un texte qui respecte 5 critères. À l’époque, ChatGPT ne comprenait pas très bien les instructions complexes. L’IA aurait pu produire un texte qui respectait seulement 2 de mes critères. Cependant, ce n’est plus vrai: ChatGPT peut maintenant parfaitement comprendre les consignes complexes.

En janvier 2023, Rudolph et collab. (2023) [en anglais] ont fait quelques recommandations valides à court terme, dont:

  • demander aux élèves d’analyser des discussions qui ont eu lieu en classe
  • faire des examens oraux

Mais certaines de ces idées pourraient ne pas fonctionner longtemps. À plus long terme, Rudolph et collab. (2023) suggèrent de:

  • faire des évaluations en classe
  • miser sur des évaluations impliquant des présentations, des performances, etc. (Rudolph et collab. (2023) suggéraient également la création de pages web, mais GPT-4 peut maintenant le faire.)
  • concevoir des évaluations authentiques
  • exploiter l’évaluation par les pairs et l’enseignement par les pairs (teach-back method)

Et, évidemment… de sensibiliser les élèves à l’importance de l’intégrité intellectuelle.

En effet, il est certain que la prévention du plagiat passe par la promotion de l’intégrité intellectuelle. De toute façon, si nos étudiants et nos étudiantes atteignent le 2e cycle universitaire, on ne peut s’attendre à ce qu’ils et elles rédigent leur mémoire papier-crayon sous surveillance en présentiel… Mieux vaut agir dès maintenant pour qu’ils et elles prennent conscience de l’importance de l’intégrité intellectuelle!

Alors, à quoi une évaluation écrite à l’épreuve du plagiat ressemblerait-elle?

À la lumière de mes recherches, à mon avis, une évaluation écrite à l’épreuve du plagiat:

Mon expérience en classe

Pour ma part, depuis le retour en classe post-pandémique, la grande majorité de mes évaluations se déroulent en classe, sur des ordinateurs sans accès à internet. Les élèves déposent leur sac à dos à l’avant du local et s’assoient là où je leur indique de s’asseoir. Mais, surtout, je mise sur les messages prosociaux pour promouvoir l’intégrité intellectuelle. Je communique mes attentes à mes élèves et je leur fais part de l’estime et de la considération que j’ai pour elles et eux. Je leur fais savoir que je crois qu’ils et elles sont capables de réaliser le travail et que ça vaut la peine qu’ils et elles le fassent.

De plus, je laisse mes élèves choisir les sujets de leurs travaux, afin qu’ils et elles soient plus motivés par la tâche.

Je leur donne aussi beaucoup de rétroactions, ce qui les aide dans leurs apprentissages. Les élèves me remettent leurs travaux sur Moodle et je les commente. Le 1er jet est formatif et fortement annoté. Leurs corrections (et donc, l’apprentissage qui a lieu dans l’usage de la rétroaction fournie) fait l’objet d’un 2e jet en situation d’examen. Celui-ci est autoévalué par l’étudiant ou l’étudiante avant que je ne lui donne une note et une nouvelle rétroaction.

Puisque cette stratégie met de l’avant l’apprentissage plutôt que la performance, je pense qu’elle contribue à minimiser les risques de plagiat.

J’ai vraiment l’impression que l’autoévaluation fait une différence pour la qualité des travaux. Chez les personnes qui étaient déjà très motivées au départ, c’est évident. Mais même pour les personnes moins performantes, la grille d’autoévaluation que je leur fournis leur permet de s’assurer de n’avoir rien oublié, et cela leur est très utile, surtout en ce qui concerne la structure et le contenu.

À l’hiver 2023, dans le cours d’anglais spécifique au programme (bloc B), le livre que j’ai fait lire à mes élèves portait sur l’éthique (A Practical Guide to Ethics). Au début de la session, j’ai demandé aux étudiants et aux étudiantes de penser à une question éthique qui concerne leur programme et qui les intéressait. Par exemple:

  • Des étudiantes en techniques administratives se sont penchées sur le harcèlement en milieu de travail.
  • De futurs pompiers ont étudié la prévention du cancer en tant que maladie professionnelle.
  • Un étudiant en Technologie du génie civil s’est intéressé à la collusion et à la corruption.
  • etc.

Je pense que le fait que l’éthique était au centre du cours a contribué à instaurer un climat de classe favorable à l’intégrité.

Les élèves ont eu des tâches à faire au courant de la session en lien avec leur question en vue de l’examen final. Par exemple, une semaine, je leur ai demandé de faire un plan de recherche (très basique):

  • nommer une action à poser pour vérifier leur hypothèse ou pour approfondir leur question
  • décrire l’échantillon de personnes qu’ils et elles allaient interroger
  • dire s’ils et elles allaient utiliser un outil pour les aider pendant leur investigation (et le décrire, le cas échéant)
  • etc.

Entre autres pour tirer parti du lien entre les enjeux de l’évaluation et le plagiat, j’ai décidé que tous les travaux formatifs seraient à faire à la maison. Ces travaux pouvaient ensuite être utilisés, post-rétroaction, en situation d’examen.  

À l’examen, les élèves avaient une série de questions auxquelles ils et elles devaient répondre. Ces questions incluaient celles qui leur avaient déjà été posées parmi leurs tâches hebdomadaires ainsi qu’une nouvelle: faire une mise à jour au sujet de l’avancement final de leur projet. Les élèves ne savaient pas à l’avance quelles seraient les questions de l’examen, mais ne pouvaient pas réellement être surpris…

Ainsi, l’évaluation sommative se faisait entièrement en classe, en contexte contrôlé. Cependant, elle portait sur un sujet que les élèves maîtrisaient et avaient amplement eu le temps de préparer. De plus, puisque chaque élève avait une question différente, copier sur un pair était impossible.

J’ai aussi demandé aux étudiants et aux étudiantes de s’auto-évaluer avant de rendre leurs copies d’examen. Je crois que cet exercice de métacognition a eu un effet positif sur la qualité de travaux et, en recentrant l’attention sur l’apprentissage, peut avoir contribué à limiter l’envie de plagier ou de tricher.

À la fin de la session, la majorité des élèves ont dit avoir aimé que tout le travail de rédaction ait été fait en classe. Mais quelques personnes ont indiqué que, si elles avaient pu faire le travail à la maison, elles auraient pu y consacrer plus de temps et ainsi produire un travail plus riche, de meilleure qualité. Puisque ces commentaires venaient de personnes dont je n’ai pas de raison de douter de la sincérité (c’est-à-dire, je ne pense pas que ce soit la possibilité de tricher qui leur faisait vanter les mérites du travail hors-classe), je dois avouer que cela m’a fait réfléchir. Comme quoi, il n’y a pas de solution idéale…

De même, j’ai discuté de ChatGPT avec mes élèves d’un autre cours. J’ai constaté que les élèves voyaient l’utilité des IA génératives dans la vie quotidienne, mais aussi qu’ils et elles disaient vouloir apprendre. À cet égard, les élèves comprenaient que le recours à des robots conversationnels pouvait être contreproductif.

Mise à jour

À l’automne 2023, j’ai fait un changement: tous les travaux sont faits en classe, même les formatifs. Pourquoi? Parce qu’à l’hiver 2023, en réévaluant les travaux, je n’étais pas entièrement convaincue que tout ce qui avait été fait à la maison était authentique.

Une crise; une opportunité…

Nous vivons actuellement un abrupt virage technologique. Cela nous donne la responsabilité de veiller à ce que notre enseignement continue à favoriser la croissance intellectuelle de nos élèves. En ce sens, nous sommes dans une position privilégiée. Nous pouvons encore préserver l’autonomie de nos élèves vis-à-vis de la technologie, pour que, une fois sur le marché du travail, ils et elles puissent l’utiliser avec libre arbitre. Ainsi, quand ils et elles utiliseront l’intelligence artificielle, ce sera par choix, et non par dépendance.

Car en effet, la prévention du plagiat, c’est aussi la promotion de l’apprentissage: une personne qui triche n’apprend pas. Dans les mots de Tricia Bertram Gallant (cités par Poitras Pratt et Gladue (2022) et traduits par moi), plutôt que de se demander «Comment empêcher les élèves de tricher?», on devrait se demander «Comment s’assurer que les élèves apprennent?».

Références

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À propos de l'auteure

Marie-Gervaise Pilon

Marie-G. Pilon enseigne depuis 2012. Elle est enseignante d’anglais langue seconde au Collège Montmorency depuis 2016. Titulaire d’une maîtrise en études anglaises et étudiante à la maîtrise en pédagogie collégiale à l’Université de Sherbrooke, ses intérêts de recherche se situent à l’intersection de l’enseignement inclusif et du numérique. En 2021, elle a reçu la mention d’honneur de l’AQPC pour son travail.

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