État de la question
D’après Jolicoeur et Pagé (2015):
- Le plagiat est le fait de ne pas respecter les règles de citation des sources. Ce peut être un acte volontaire ou non (lié à la méconnaissance des règles ou à de fausses croyances, par exemple).
- La tricherie et la fraude sont liées à des agissements volontaires (ou à de la négligence).
Ainsi, quand les règles de citation des sources ne sont pas respectées de façon intentionnelle, il s’agit à la fois de plagiat et de tricherie.
Toujours selon Jolicoeur et Pagé (2015), l’axe d’intervention à privilégier par rapport au plagiat est la prévention. Pour agir sur la fraude et la tricherie, c’est plutôt la dissuasion.
J’ai synthétisé mes recherches au sujet du plagiat et de la tricherie dans une carte conceptuelle. J’en présente les différents éléments plus bas.
Carte conceptuelle qui synthétise mes recherches sur le plagiat et la tricherie
Facteurs entourant le plagiat et la tricherie
Facteurs pédagogiques
Pondération de l’épreuve
Farland et Childs-Kean (2021) [en anglais] avancent que les élèves sont plus susceptibles de tricher si les enjeux d’une évaluation sont plus élevés.
Puisque les évaluations notées sont associées à des enjeux plus élevés que celles qui ne le sont pas, les autrices proposent de privilégier les travaux sans notes (comme dans le ungrading).
Pour les travaux notés, plusieurs évaluations à plus faible pondération (ou un travail divisé en plusieurs étapes) diminuent sans doute la tentation de tricher.
Type d’évaluation
Gremeaux (2019) avance que les examens à livre ouvert (ou les examens pour lesquels un aide-mémoire est permis) limitent la tentation de tricher, en comparaison des examens à livres fermés basés sur la mémorisation.
Lors d’un examen à livre ouvert, les élèves ont davantage l’impression d’appliquer les connaissances, plutôt que de seulement avoir à apprendre par cœur, et ils et elles apprécient cela. Reste que, si les examens à livres ouverts réduisent les incidences de tricherie, ils ne l’éliminent pas complètement.)
Pour Peters et Cadieux (2019) [en anglais], les habiletés informationnelles et rédactionnelles des élèves et leurs habiletés à citer leurs sources (savoir quand, comment et pourquoi citer leurs sources) sont essentielles pour éviter le plagiat. Ces habiletés doivent être enseignées (Monney et collab., 2019). Liu et collab. (2021) [en anglais] ont démontré que des ateliers de développement des habiletés informationnelles et habiletés de recherche ont été bénéfiques aux étudiants internationaux et étudiantes internationales qui y ont participé.
De même, la méconnaissance par les élèves des outils de détection du plagiat utilisés par le corps enseignant peut augmenter leur anxiété (par la crainte d’être victime d’un faux positif de l’outil, ou de plagier involontairement et d’être sanctionné trop sévèrement à cause d’une détection par l’outil) (Zaza et McKenzie, 2018 [en anglais]).
Niveau de langue des élèves
Une étude de Perkins et collab. (2018) [en anglais] réalisée dans une université du Vietnam dans laquelle les cours se donnent en anglais auprès d’élèves dont l’anglais n’est pas la langue maternelle montre que les élèves les moins habiles en anglais sont plus susceptibles de plagier. S’il en est de même dans le réseau collégial, alors améliorer le niveau de langue d’enseignement des élèves allophones pourrait réduire le nombre de cas de plagiat.
Personnellement, j’enseigne en anglais langue seconde et j’ai observé que les élèves que j’ai pris en flagrant délit au fil des ans affirment souvent que leur classement initial est inexact (c’est à dire que le niveau du cours est trop élevé pour eux) ou qu’ils ressentent un sentiment de compétence faible (ce qui revient au même). Cela suggère un lien entre la triche et leur vécu.
Facteurs institutionnels
Réponse institutionnelle
Brooks, Marini et Radue (2011) [PDF, en anglais] argumentent que les manquements à l’intégrité intellectuelle constituent des actes d’incivilité et que leur impact sur l’environnement d’apprentissage est souvent ignoré. Il est aussi observé que la réponse institutionnelle est inégale, tant d’une institution à une autre que d’une personne enseignante à une autre.
Mulholland (2020) [en anglais] écrit que les politiques institutionnelles liées au plagiat et à la tricherie associent souvent le plagiat à un problème de moralité (l’amalgamant du même coup, en quelque sorte, à la tricherie) plutôt qu’à un manque d’éducation de la part des élèves. Elle avance que cela est néfaste pour les élèves, qui ont plutôt besoin d’acquérir les habiletés nécessaires pour ne pas plagier (habiletés de recherche documentaire et habiletés à citer des sources). Pour Mulholland, les institutions post-secondaires canadiennes doivent changer de paradigme, abandonnant une pratique punitive au profit d’une vision réhabilitatrice de l’enseignement supérieur dans la réponse aux actes plagiaires.
Jolicoeur et Pagé (2015), elles, identifient 5 cibles d’intervention pour les actions des collèges dans la lutte contre le plagiat:
- restreindre la facilité de tricher et de plagier
- agir contre l’ignorance des élèves au sujet du plagiat
- réduire les possibilités qui s’offrent aux plagiaires ou aux personnes qui trichent de recourir au manque de clarté des consignes pour argumenter
- agir sur le niveau de risque perçu par les élèves
- stimuler la mobilisation des enseignants et des enseignantes et les inciter à déclarer les cas de plagiat
Charge de travail
Parmi les nombreux facteurs influençant le plagiat, Espinoza et Najerà (2015) [en anglais] mettent l’accent sur l’importance, par le corps enseignant, de travailler en équipe afin de s’assurer que la charge de travail des élèves d’un programme donné soit gérable.
Facteurs intrinsèques
Perception de la gravité de l’acte
Gremeaux (2019) a «découvert que, lorsqu’il s’agit d’entraide au moment d’examens, [les élèves] jugent ce comportement de façon moins sévère que lorsqu’un étudiant triche en solitaire, sans l’aide d’un autre. Dans la même ligne d’idée, les étudiants qui admettent tricher sont plus tolérants voire indifférents face à ce comportement que ceux qui ne trichent pas. Les étudiants honnêtes jugent la tricherie de façon beaucoup plus sévère.»
Perception d’impunité
Selon Choo et Paull (2013) [en anglais] et Bennett (2010) [en anglais], les élèves trichent pour de multiples raisons, dont la perception que le risque de conséquences négatives significatives est faible. Pour Choo et Paull, le personnel enseignant a l’obligation d’agir pour changer cette perception.
Gestion du temps
Selon Michelle Bergadaà (citée par Perreault, 2014), pour certaines personnes étudiantes, le plagiat est tout simplement une façon de gagner du temps, d’équilibrer un horaire trop chargé pour elles.
Narcissisme
Laily, Ermayda et Azzardina (2021) [en anglais] ont montré qu’il y avait une corrélation entre le narcissisme et le plagiat ou la tricherie. Celik et Kanak (2021) [en anglais] établissent un lien entre narcissisme et auto-sabotage.
Anxiété langagière
Abasi (2008) [PDF] analyse l’impact de l’anxiété langagière sur les pratiques plagiaires des étudiants et étudiantes dont l’anglais est la langue seconde, ainsi que l’impact des stratégies de communication coercitive sur leur anxiété.
L’auteur explique que les élèves vivent de l’anxiété à l’idée de se faire prendre comme plagiaire, entre autres parce qu’ils et elles ne savent pas toujours bien ce que c’est d’être plagiaire; ce qui constitue ou non du plagiat. Par exemple, dans l’enseignement d’une langue seconde: est-ce que reprendre une tournure de phrase constitue un acte de plagiat?
Désir de réussir le cours
Al Darwish et Sadeqi (2016) [en anglais] estiment que ce qui amène les élèves à tricher, c’est le sentiment de ne pas avoir la capacité de réussir par soi-même, combiné au désir de réussir le cours en vue d’obtenir leur diplôme.
Facteurs extrinsèques
Influences culturelles ou par les pairs
Fontaine, Frenette et Hébert (2020) [en anglais] écrivent que l’influence des pairs est le facteur qui a le plus d’influence sur la propension d’une personne à tricher aux examens.
Zhao et collab. (2022) [en anglais] confirment que les pairs jouent un rôle dans la décision de commettre un manquement éthique et que les stratégies de promotion de l’intégrité académique doivent tenir compte du contexte culturel.
De même, Scrimpshire et collab. (2016) [en anglais] ont constaté que la tricherie, et en particulier la tricherie mineure (copier un devoir ou collaborer quand c’est interdit — par opposition à la tricherie majeure, qui serait de tricher pendant un examen), est un acte social et personnel:
- Les élèves tendent à ne pas tricher seuls, mais à tricher avec des amis.
- Les élèves sont plus à risque d’aider des amis ou des amies à tricher que des personnes étrangères.
- Les personnes prudentes sont moins à risque de participer à un exercice de triche.
- Les tricheurs avérés ou tricheuses avérées sont plus portés à aider d’autres personnes à tricher.
Normalisation du plagiat
La normalisation du plagiat sur les réseaux sociaux a été décrite par Amigud et Lancaster (2020) [en anglais] et Bailey et Trudy (2018) [en anglais]. Cela passe beaucoup par le plagiat contractuel, c’est-à-dire «le processus par lequel un élève sous-traite l’exécution de son travail à une tierce partie» (Clarke et Lancaster, 2006 [PDF, en anglais]; [ma traduction]).
À ce sujet, il faut se demander si ChatGPT n’est pas un fournisseur de plagiat contractuel… qui travaille gratuitement.
Infrastructure informationnelle de Google
Boubée (2019) pose comme hypothèse que «l’accès trop simplifié [via Google] aux sources d’information, conjugué à l’exposition à des sources qui ne sont pas toutes sélectives, empêche la recherche d’information de jouer son rôle dans l’appropriation des théorisations par les étudiants. Paraphraser ces dernières, c’est-à-dire les reformuler en les éclaircissant, compétence «antiplagiat» majeure, devient alors difficile.»
Situation d’emploi
Bennett (2010) [en anglais] a constaté que les étudiants et les étudiantes les plus susceptibles de plagier sont ceux et celles qui ont une attitude laxiste à l’égard du plagiat et qui occupent un emploi rémunéré à temps partiel dont ils et elles jugent qu’il interfère avec leurs études.
Une situation complexe
Ainsi, les facteurs qui entrent en ligne de compte quand il est question de la prévention du plagiat et de la tricherie sont multiples. Comme enseignants et enseignantes, il nous arrive d’oublier que nos élèves ne sont pas que des cerveaux sur 2 pattes [en anglais]. Ce sont des êtres complexes, et leur comportement dans nos cours ne dépendent pas que de ce que nous disons dans nos cours:
- si un étudiant a un emploi 40 heures par semaine et 8 cours, il est plus susceptible de tricher
- si une étudiante a un trouble anxieux, elle est plus susceptible de tricher
- si une étudiante vient d’une culture où le plagiat est normalisé, elle est plus susceptible de tricher
- si l’examen est à livre fermé, les élèves sont plus susceptibles de tricher
- etc.
Pour lutter contre le plagiat ou savoir comment réagir dans une situation de tricherie, il est utile de connaître tous les facteurs en jeu.
Le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante
En tant qu’enseignantes et enseignants, nous avons assurément un grand rôle à jouer dans la prévention du plagiat et la promotion de l’intégrité intellectuelle.
Ignorer les cas de plagiat?
Dans une étude de Coren (2011), 40% du personnel enseignant participant a admis avoir déjà ignoré un ou plusieurs cas de tricherie. Les raisons avancées par les enseignants et enseignantes pour ignorer les inconduites incluaient:
- des preuves insuffisantes
- la trivialité de l’offense
- le manque de temps
Cependant, l’auteur a observé que les enseignants et enseignantes qui avaient ignoré les manquements:
- ressentaient plus de stress en parlant de tricherie avec leurs élèves
- préféraient éviter les situations chargées émotionnellement
- disaient qu’ils et elles seraient moins enclins ou enclines à parler à une personne étudiante si elle était susceptible de devenir émotive
Évidemment, si un enseignant ou une enseignante ignore un ou plusieurs cas de plagiat, cela a un effet sur la perception d’impunité des élèves.
Isolement vis-à-vis de l’administration
Comme l’écrivent Jolicoeur et Pagé (2015), la mobilisation du corps enseignant et leur implication à déclarer les cas de plagiat doivent aussi être des objectifs activement poursuivis par l’établissement.
La prise en charge d’une partie de la stratégie globale de prévention par l’établissement ainsi que l’encadrement du processus de déclaration des cas permettent de réduire l’isolement que vivent les professeurs concernant différentes situations de plagiat et de tricherie. À moyen terme, on peut supposer que les professeurs qui se sentent appuyés lorsqu’ils déclarent un cas de plagiat ou de tricherie seront moins tentés d’adapter les sanctions prévues ou encore de ne pas les appliquer du tout. Il en va de même pour le personnel enseignant qui a pu consulter une ou des personnes-ressources dans un tel contexte.
—Jolicoeur et Pagé (2015)